Une bulle des centres commerciaux en Île-de-France ?

Malgré la crise, Aéroville, Qwartz, l'Ilo, One nation ont ouvert ces derniers mois à côté de dizaines de drive et supérettes... Ces ouvertures massives font craindre une surproduction de surfaces commerciales et l'aggravation de la dichotomie entre artères prime et secondaires.
Centre commercial de la gare Saint-Lazare.

Dès 2011, Pascal Madry alertait sur le risque d'une bulle commerciale. Dans un article publié dans la revue Études foncières, il expliquait ce phénomène par la volonté conjointe des acteurs du dossier. D'une part, les élus locaux veulent des implantations ; d'autre part, les investisseurs y voient une source de revenus. Enfin, les enseignes espèrent y gagner des parts de marché. Cet appétit pour l'immobilier commercial a culminé en 2005 avec 250 dossiers autorisés par les Commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC), pour un total avoisinant les 600.000 m2.

En 2013, 356.172 m2 de nouveaux centres commerciaux ont été inaugurés en Île-de-France, un volume important dû pour l'essentiel à l'inauguration de projets de plus de 20.000 m2 comme Aéroville, plus grand centre commercial construit depuis dix ans dans la région (84.000 m2, 200 boutiques). Carole Delaporte-Bollerot, de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Île-de-France (IAU), décrypte ce décalage :

« En grande couronne, notamment en Seine-et-Marne, les projets sont rapides à réaliser, demandant environ deux ans. Mais en zone dense, il faut en général huit ans entre le projet et son ouverture. Celles d'aujourd'hui correspondent donc le plus souvent à des créations décidées avant la crise ».

« Un besoin plus rapide de renouvellement »

Mais depuis 2008, l'appétence pour la création de nouvelles surfaces commerciales n'a pas disparu. Avec presque 5 millions de mètres carrés autorisés sur la période 2000-2012, la région francilienne compte déjà 170 centres commerciaux. Pourtant, en 2014, l'IAU pointe 58 projets représentant un peu plus de 1,5 million mètres carrés, dont un peu moins de la moitié déjà autorisée par la CDAC. Une analyse plus fine montre qu'entre 2009 et 2012, les opérations les plus nombreuses concernaient des surfaces allant de 1.000 à 5.000 m2, mais que 30 % des opérations étaient supérieures à 10.000 m2. Comme le souligne l'IAU :

« En relevant de 300 à 1.000 m2 le seuil d'autorisation, la réglementation a favorisé un développement non contrôlé des surfaces commerciales ».

Un avis que partage le Conseil national des centres commerciaux (CNCC) qui rend les magasins solos d'entrées de villes responsables de l'offre pléthorique. Selon Cushman & Wakefield, spécialiste en immobilier d'entreprise, « cette évolution paraît d'autant plus préoccupante que le rythme des ouvertures reste soutenu. L'afflux de nouveaux ensembles commerciaux, alimenté par la propension croissante des opérateurs à étendre leurs sites pour les dynamiser ou capitaliser sur leur notoriété, accentue dès lors la dilution des chiffres d'affaires des enseignes ».

Le commerce évolue fortement et les enseignes doivent s'adapter et créer sans cesse un nouvel engouement. Aujourd'hui, les foules ne rêvent plus de passer leurs week-ends à pousser leurs caddies dans les allées de centres sans âme.

« Mais, souligne Carole Delaporte-Bollerot, nouveaux concepts et nouveaux services provoquent moins une régénération de l'existant qu'une offre incessante d'espaces supplémentaires, laissant planer l'ombre d'une bulle ».

Pour Christian Dubois, directeur général de Cushman & Wakefield France, « beaucoup de centres ont vieilli et certains vont devoir se réinventer. Le marché a besoin d'un renouvellement de plus en plus rapide ». Si certains des nouveaux centres sont tout simplement des drives et des supérettes, beaucoup s'avèrent « sustainable, design et fashion », démodant leurs voisins avec un risque de cannibalisation.

Depuis dix ans, la manière de consommer a évolué, notamment sous l'impulsion du e-commerce. En 2013, les ventes sur Internet ont franchi la barre des 50 milliards, soit une progression de 14% sur un an. Aujourd'hui, la France se situe au 6e rang mondial pour les ventes en ligne, et au 3e rang européen après le Royaume-Uni et l'Allemagne. L'étude de Cushman & Wakefield précise :

« L'e-commerce continuera de gagner du terrain, accentuant la dilution des chiffres d'affaires de la grande distribution. Aujourd'hui, l'e-commerce représente entre 3,5 % et 5 % du chiffre d'affaires du commerce de détail, mais son poids devrait atteindre 20 % à 25 % d'ici à 2030 ».

« Dans ce contexte de concurrence accrue, analyse Carole Delaporte-Bollerot, les distributeurs se positionnent de plus en plus entre deux extrêmes : le prix et la différenciation, se désintéressant des centres commerciaux moyens ».

La nouvelle ère du "retailtainment"

Différents concepts président à ces ouvertures. Le premier, et sans doute le plus important, est ce que les spécialistes appellent le retailtainment, contraction de retail (commerce) et entertainment (divertissement). Même si l'IAU demeure sceptique sur la capacité des Franciliens à associer loisirs et commerce, Immochan est prêt à parier deux milliards d'euros sur ce concept.

Pour Christophe Dalstein, directeur général d'EuropaCity, « notre ambition est de développer un lieu de destination avec des commerces d'un nouveau style, mais aussi avec une offre très conséquente de loisirs. Si le commerce est vital pour l'équilibre économique, l'offre culturelle et de loisirs sera l'élément déclencheur de la visite ».

À ce titre, le nouveau centre de 24000 m2, Vill'up, qui va ouvrir à Paris au coeur de la Cité des sciences et de l'industrie, est emblématique. Cet investissement de 110 millions d'euros témoigne de l'appétence des investisseurs pour les sites accueillant un important flux de visiteurs. Avec seulement 25 boutiques, Vill'up proposera un multiplex de 16 salles et 2900 fauteuils, une dizaine d'enseignes de restauration et un simulateur de chute libre IFLy, le premier en France. Philippe Catteau, président de la foncière Catinvest qui a lancé One nation (voir encadré), croit en ce modèle :

« Les propriétaires des centres existants ont besoin de ce vecteur loisirs pour défendre leurs positions. Mais attention, certains auront du mal à s'adapter, ne serait-ce qu'à cause de leur configuration ou de leur emplacement ».

En effet, cette production incessante de nouveaux mètres carrés entraîne des dommages collatéraux.

Et le grand perdant est connu. Pour Jean-Michel Silberstein, délégué général du CNCC, « le format le plus en difficulté est celui de la petite galerie marchande autour d'un hyper. Car beaucoup d'hypers se sont dotés d'un drive, faisant automatiquement baisser leur fréquentation ».

De fait, si l'Île-de-France avait un gros retard dans ce domaine, elle le comble rapidement, comptant fin 2013 environ 254 drive. L'enquête globale transport de l'IAU confirme qu'il y a une diminution des déplacements pour achats vers les hypers. Mais il y a d'autres perdants, comme le Millénaire, dont les 56.000 m2 de commerces ont ouvert en 2011 à Aubervilliers. Jean-Michel Silberstein l'affirme : « Le Millénaire est clairement en difficulté ».

Pour Christian Dubois, le constat est simple :

« Visibilité, accessibilité, convivialité sont les trois clés du succès. Or, le Millénaire se voit du côté d'Aubervilliers, mais pas du périphérique. Son accessibilité est horriblement compliquée. De plus, il a été conçu à une époque où les moyennes surfaces étaient la norme. Aujourd'hui, les marques veulent des formats plus réduits ».

« De plus, précise Carole Delaporte-Bollerot, il souffre du retrait de la Fnac et d'une mauvaise évaluation de sa zone de chalandise ».

Pourtant, ce centre est aux portes de Paris, ce qui est loin d'être le cas de très nombreuses créations.

Comme le souligne Carole Delaporte-Bollerot, « plus de la moitié des surfaces autorisées sont localisées entre 10 et 30 km de Paris, témoignant d'un décalage avec la répartition de la population ».

Pour elle, ces implantations sont purement opportunistes, les investisseurs profitant d'un foncier disponible, jugé peu onéreux.

Mais cet effet d'opportunité provoque un grignotage des terres, préjudiciable au développement durable. Il va aussi à contre-courant de l'une des grandes tendances observées, la proximité. Carole Delaporte-Bollerot souligne :

« Tous les groupes alimentaires, y compris ceux dont la culture de base était l'hypermarché, ont développé des formats adaptés à ces chalandises de plus petite taille, notamment à Paris ».

Le fort développement du "travel retail"

Et quand le consommateur ne va pas au commerce, le commerce va jusqu'à lui comme le prouve le fort développement du « travel retail ». Pour Christian Dubois, « il y a une appétence permanente et renouvelée des enseignes pour le travel retail ». Après la gare Saint-Lazare, Rachel Picard, DG de Gares & Connexions, a obtenu en juin 2014 l'accord du conseil d'administration de la SNCF pour transformer la gare Montparnasse : « Notre but est de faire de la gare un espace innovant de commerces et de loisirs ».

De fait, le marché se polarise : d'un côté les centres régionaux attractifs, les rues prime et les lieux à fort passage ; de l'autre, les centres de taille moyenne.

Ce que confirme un rapport de Cushman & Wakefield :

« Les enseignes sont pour la plupart attentistes et, quand elles poursuivent leur développement, concentrent leurs efforts sur les meilleurs sites tout en se défaisant de leurs points de vente les moins performants. Les marchés secondaires ne jouissant pas d'une configuration optimale ont logiquement pâti de ces arbitrages ».

Le premier à en profiter est bien évidemment le Triangle d'or dont les prix atteignent un plafond (voir encadré). Mais cette artère où les loyers s'élèvent à 18000 euros le m2/an n'est pas symbolique de la tendance générale. Selon le PROCOS, Fédération pour l'urbanisme et le développement du commerce spécialisé, le taux de vacance augmente.

Si l'Ile-de-France résiste mieux que l'ensemble du pays, ce taux s'établissait à 7,1 % pour l'ensemble des centres-villes français en 2012, contre 6,3% en 2001. Pour les centres comptant de 80 à 120 boutiques, il est passé de 3,8% à 5,5%. Si ces chiffres ne sont pas encore alarmants, le PROCOS souligne la dichotomie croissante entre les artères prime et secondaires, et entre les différents formats de centres - dichotomie qui devrait encore s'accentuer. Signe de cette tension, Cushman & Wakefield souligne :

« Le durcissement des conditions de négociation traduit la détermination des enseignes à diminuer leurs coûts d'occupation. Ainsi, les bailleurs ont consenti davantage de mesures d'accompagnement, sous forme notamment de contributions aux travaux, ou de franchises de loyers ».

Pour Christian Dubois, « s'il y a davantage de mètres carrés, une consommation stable et un commerce électronique en hausse, le CA par mètre carré baissera et les propriétaires devront ajuster leurs loyers. Ou bien il y aura un risque de vacance ».

Les plus alarmistes, comme Booz & Company, estiment qu'1,7 million de mètres carrés pourraient disparaître d'ici à 2020, à la suite de la fermeture de banques, agences de voyage, boutiques de téléphonie... Pourtant, l'extension du Forum des Halles, la restructuration de la Samaritaine, l'ouverture de commerces dans la Poste de la rue du Louvre et les espaces commerciaux de la gare Montparnasse sont déjà au programme.

Selon l'IAU, « l'abondance de capitaux et le recours plus fréquent à l'endettement se traduisent par un engouement pour l'immobilier commercial, jugé moins risqué. Jusqu'à quand ? Car l'ensemble des indicateurs de performance de la distribution sont dans le rouge, le chiffre d'affaires baisse depuis 2008, la vacance augmente et les rendements diminuent, quel que soit le type d'immobilier commercial. Les prix, qu'il s'agisse des valeurs locatives, des valeurs d'actifs et des valeurs foncières, sont de plus en plus déconnectés de leur valeur économique ».

L'investissement devient donc moins rentable et plus risqué.

Curieusement, alors que dans son document « Île-de-France 2030 » la Région préconisait la création d'une commission régionale d'aménagement commercial et voulait confier aux Régions une compétence en matière de planification commerciale, rien n'a vu le jour. D'ailleurs, aucun élu n'a souhaité répondre à nos questions...

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Commentaires 15
à écrit le 22/12/2014 à 21:05
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Quand le marché foncier est quasiment totalement libre, la spéculation joue. Quand on y ajoute des transports gratuits ou quasi gratuits (autoroutes urbaines gratuites, transport en commun dont le prix ne représente plus qu'une fraction de son coût)...

à écrit le 22/12/2014 à 12:09
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C'est sûr que vu l'avenir économique du pays, les MacDo tous les 50 mètres, les trois hypermarchés et magasins de bricolage par ville et les dizaines de milliers de restaurants vont vite devenus superflus; le drame c'est que visiblement ils viennent ...

à écrit le 22/12/2014 à 10:06
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a AEROVILLE, la semaine c'est du gâteau on est seul ainsi on n'est pas emm... Par les gens. On peut flâner tranquillement et pour les ploucs c'est le samedi et le dimanche.

à écrit le 22/12/2014 à 9:44
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je ne pense pas que le problème soit cantonné à l'Ile de France. L'Europe avec son seul véritable dogme la concurrence libre et non faussée amène à une multiplication des nouveaux centres commerciaux et corrélativement une multiplication des friches ...

à écrit le 21/12/2014 à 21:09
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""retailtainment", "travel retail", rue "prime", "drive"... Des "couillonades" américaines pour "couilloner" les con-sommateurs. US GO HOME.

à écrit le 21/12/2014 à 18:46
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J' ai connu un gars qui en faisait de meme avec des petits pains !!!!!!!!

à écrit le 21/12/2014 à 16:43
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Et ce n'est pas fini, voir le projet europa city.

à écrit le 21/12/2014 à 16:12
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Châteaudun : 3 hypermachés dont l'un vient de fermer. Il reste un Leclerc avec son environnement sinistre de commerces dans des baraques en préfabriqués, et un Intermarché. Aucun de ces commerces n'est sur la commune de Châteaudun, mais les commerce...

à écrit le 21/12/2014 à 11:29
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Une fois la moitié de ces centres commerciaux fermés dans quelques années, on pourra les transformer en centre d'hébergement pour les sans papiers

le 21/12/2014 à 15:10
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pourquoi qq années? Maintenant,OUi,avec E-commerce,et ses milliards d'euros,mais aussi nos 5 millions de chômeurs précaires qui n'ont pas d’accès,conso,ou plus bêtement comme le Val d'Oise qui ignore ces surfaces ,sauf vers Roissy.^pour preuve le ce...

le 22/12/2014 à 3:25
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Normal, il y a des millions de chomeurs en france, et vous croyez qu'ils ont tous une voiture pour faire les courses dans ces centres commerciaux loin de la ville ? et aussi l'argent ? Et aussi, après le passage à l'euro, les prix de la grande dis...

à écrit le 21/12/2014 à 10:13
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nos entreprises ont choisi la distribution, l'immobilier, le BTP, la finance, les services plutôt que l'industrie.

le 29/12/2014 à 23:25
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Regarde juste combien de personnes travail dans les domaine que tu viens de citer....

à écrit le 21/12/2014 à 10:11
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La langue française manque-t-elle tant de mots pour décrire ces "magnifiques" nouveaux modes de surconsommation pour que les vagues d'anglicismes viennent submerger cet article et tant d'autres de leurs mots si tendance qui vendent du rêve à l'améric...

le 21/12/2014 à 18:31
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