Livraison de repas : la nouvelle folie des citadins français

DOSSIER E-COMMERCE. Déjà en croissance avant la crise sanitaire, la livraison de repas à domicile a connu une véritable explosion dans le contexte de confinements et de fermeture des restaurants. 60% des Français l'ont désormais intégrée à leurs habitudes de consommation, contre seulement 40% à la veille de la pandémie. Un bémol : la démocratisation des livraisons de repas reste largement captée par les grandes villes et un Français sur trois n'y a pas accès de par sa situation géographique.
(Crédits : Charles Platiau)

5 milliards d'euros. C'est le chiffre d'affaires colossal qu'a généré la livraison de repas à domicile en 2020, et qui révèle une croissance du marché de 47% sur deux ans (2018-2020), selon le cabinet d'experts Food Service Vision. Autre signe que la livraison de repas à domicile se développe fortement : « sa part dans le chiffre d'affaires de la restauration a atteint 15% en 2020 », selon la directrice associée de Food Service Vision Florence Berger, et « devrait peser 19% de celui-ci en 2024 ».

Et si les données pour l'année 2021 ne sont pas encore toutes disponibles, il semble que la tendance soit toujours à la hausse, même si on note un léger ralentissement des livraisons de repas après la réouverture des restaurants. Une des rares études parues pour l'année 2021, réalisée par le panéliste IRI, dévoile toutefois que « les dépenses des Français dans les plateformes de livraison ont été multipliées par 2,4 par rapport à l'année 2020 ».

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Et les Français ont non seulement commandé davantage en ligne dans le contexte de pandémie et de fermeture des restaurants, mais ils ont également été de plus en plus nombreux à recourir à la livraison à domicile de repas.

« Nous observons un véritable effet d'accélération mais aussi de généralisation des pratiques de livraison », résume Florence Berger à La Tribune.

Force est de constater que le taux de pénétration de la livraison de repas s'est élargi, et que « la crise a permis de recruter de nouveaux utilisateurs plus âgés ». La part des 45-54 ans ayant recours à la livraison à domicile a par exemple « franchi la barre des 20% en 2020 », et au total, 60% des Français ont intégré cette pratique à leurs habitudes de consommation, contre seulement 40% avant la crise.

Un avant et un après covid pour la restauration livrée en France

Il y a donc véritablement eu un avant et un après-covid pour la livraison de repas en France. Alors que ce marché était déjà en croissance depuis plusieurs années dans l'Hexagone, porté par l'arrivée de plateformes d'agrégateurs comme Deliveroo en 2015, suivi d'Uber Eats en 2016, « la crise a été un accélérateur de ces usages », analyse Florence Berger.

« Fin 2020, le marché a enregistré plus de 10.000 nouveaux restaurants actifs sur le marché de la livraison de repas par rapport à l'année précédente », confie la directrice associée de Food Service Vision.

Et d'ajouter: « nous n'avons certes pas encore les chiffres concernant l'année 2021, mais le nombre de restaurants ayant rejoint ce marché a encore augmenté, ce qui a entraîné une vraie explosion de l'offre ».

Le volume de commandes livrées en restauration a lui aussi "explosé" depuis les épisodes de confinement et l'impossibilité pour les restaurateurs d'accueillir les clients sur place. Aujourd'hui, les groupes d'experts estiment ainsi que la pandémie et les restrictions de services qui l'ont accompagnée ont fait gagner au secteur de la livraison de repas deux à trois ans dans son développement.

Et si le covid a fait bondir l'offre et la demande de livraisons de repas, une autre tendance est perceptible : les clients ayant recours à ce type de service sont davantage fidèles.

« La moitié d'entre eux sont aujourd'hui des clients réguliers, commandant au moins une fois par semaine en livraison, contre un client sur trois qui commandait régulièrement en 2019 », observe Florence Berger.

Parmi les commandes de repas effectuées en ligne, sept sur dix passent désormais par les agrégateurs-livreurs comme Uber Eats ou Deliveroo, qui assurent le service de livraison entre les professionnels et les clients, contre cinq sur dix il y a dix ans.

Deliveroo et Uber Eats concentrent l'essentiel des commandes

À ce jour, ces deux acteurs tirent en effet nettement leur épingle du jeu sur ce marché de la livraison de repas, à tel point que certains experts parlent d'un duopole Uber Eats-Deliveroo. Selon l'étude de l'IRI parue mi-décembre 2021, et qui a étudié les dépenses liées aux achats de repas et de courses livrés à domicile de 350.000 Français sur un an (octobre 2020-octobre 2021), celles-ci s'élèvent au total, pour l'échantillon considéré, à 10,7 milliards d'euros.

Sur ces 10,7 milliards, l'étude de l'IRI révèle que les plateformes assurant la livraison entre restaurants et particuliers (notamment Deliveroo ou Uber Eats), concentrent à elles seules 8,7 milliards d'euros, soit une part conséquente du marché des services de livraison alimentaire.

Interrogé par La Tribune, le porte-parole de Deliveroo France Damien Steffan se dit optimiste sur les perspectives de croissance du marché et confie « tabler sur une croissance de 60 à 70% en 2021 sur le gross transactional value ». Des projections qui s'expliquent notamment par le fait que la demande a fortement augmenté sous l'effet de la crise sanitaire.

« Entre le premier semestre 2020 et le premier semestre 2021, le nombre de clients et de commandes sur l'ensemble des 12 marchés où est implanté Deliveroo (au nombre de 11 désormais puisque l'Espagne ne fait plus partie de la liste, ndlr) a doublé », explique ainsi Damien Steffan.

Et l'offre a elle aussi explosé : rien qu'en France, « le nombre de restaurants affiliés à Deliveroo est passé de 8.000 début 2020, à 20.000 fin 2020 ». Même tendance du côté d'Uber Eats, qui compte aujourd'hui « 37.000 restaurants affiliés à l'application, contre 25.000 en 2020 et 15.000 en 2019 », détaille à La Tribune Manon Guignard, responsable communication chez Uber Eats France.

Parmi eux, les dark kitchens, ces restaurants sans client, spécialisés dans les livraisons.

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Pour se rémunérer, les agrégateurs-livreurs comme Uber Eats et Deliveroo facturent aux restaurateurs des taux de commission compris entre 20 et 30% du prix de la commande effectuée par le client. Selon une étude menée par Food Service Vision, plus de 9 restaurateurs sur 10 jugent d'ailleurs ces commissions « trop importantes », même si près de la moitié d'entre eux reconnaissent que ce service leur a permis de « sauver leurs établissements durant la crise malgré un prix jugé trop élevé ».

D'autres services moins connus se développent également

Et si les agrégateurs-livreurs comme Deliveroo et Uber Eats concentrent l'essentiel du marché de la livraison de repas, avec « près des trois-quarts des livraisons passant par leurs canaux » selon Food Service Vision, d'autres services souvent moins connus et sensiblement différents des premiers, occupent également ce secteur en pleine croissance.

À tel point que dorénavant, les canaux "hors restaurants" pèsent davantage de parts de marché que le sur-place, même maintenant que les restaurants sont rouverts au public.

« On est dans des proportions où la livraison et la vente à emporter de repas occupent aujourd'hui une part de marché plus importante que la restauration sur-place », fait ainsi valoir Florence Berger (Food Service Vision).

Parmi les services de livraison autres que ceux intermédiés par Deliveroo ou Uber Eats, l'un d'entre eux n'existait pas il y a encore quelques années, et se démocratise de plus en plus : la livraison de paniers à cuisiner comprenant une recette et tous les ingrédients nécessaires pour la réaliser. Les enseignes s'appellent Hellofresh, Quitoque, Jow ou encore Rutabago, et permettent de tester de nouvelles recettes, à un prix qui démarre autour de 34 euros.

En outre, certains restaurants virtuels ne recevant pas de clients et pensés uniquement dans une logique de livraison, ont vu le jour au cours des dernières années. Frichti, créé en 2015, fonctionne ainsi à partir de restaurants "fantômes" n'accueillant pas de public, et se targue de travailler en direct avec des producteurs locaux.

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Côté livreurs, la startup française recourt à des auto-entrepreneurs qui n'ont donc pas le statut de salariés, comme le font aujourd'hui Uber Eats ou Deliveroo, mais affirme que ces derniers peuvent patienter dans une salle au chaud entre deux livraisons, à l'image des livreurs des startups de quick commerce.

Enfin, certaines enseignes historiques disposent depuis longtemps d'un service de livraison intégré : c'est notamment le cas des chaînes de restauration telles Pizza Hut, Speed Burger ou Sushi Shop. Et certaines plateformes comme Just Eat ou Chronoresto, proposent quant à elle d'agréger les restaurants proposant déjà un service de livraison, modèle qui a d'ailleurs été plébiscité par les Français pendant la crise puisque rien qu'entre le début et la fin 2020, Just Eat a pu ajouter 4.000 établissements à son escarcelle, portant à 15.000 les lieux où ses clients pouvaient commander.

Force est donc de constater un véritable étoffement, dans le contexte de pandémie, du nombre de restaurants proposant un service - externalisé ou intégré - de livraison de repas.

« Au total, à fin 2021, le nombre de marques de restauration assurant des livraisons (restaurants physiques et virtuels, ndlr) atteint 15.000 », résume ainsi la directrice associée de Food Service Vision.

Un Français sur trois n'a pas accès à un service de livraison

Bémol au modèle : malgré une démocratisation massive de la livraison de repas à domicile, qui est aujourd'hui partie intégrante des habitudes de nombreux Français, Food Service Vision estime qu'à date, seuls deux-tiers des Français sont en mesure d'y recourir.

« Un Français sur trois n'a pas accès à un service de livraison de par sa position géographique », note Florence Berger.

Ces données sont déclaratives et ne constituent donc qu'une estimation, mais elles révèlent une fracture géographique entre les métropoles d'une part, qui sont bien desservies par ces services, et les villes de plus petite taille, où ils peinent encore à s'implanter.

Et les statistiques communiquées à La Tribune par Uber Eats tendent à confirmer ces chiffres et cette implantation surtout dans les grandes villes, la plateforme affirmant couvrir « un peu plus de 60% de la population française », tandis que Deliveroo déclare être présent « dans toutes les villes de France métropolitaine de plus de 100.000 habitants ».

En somme, si ces pratiques se démocratisent, avec « un peu plus d'un Français sur trois étant un utilisateur régulier de livraison de repas en novembre 2021, c'est-à-dire ayant commandé au moins une fois dans les trois derniers mois », selon Food Service Vision, le principal défi des années à venir va être d'étendre le maillage des services de livraison à l'ensemble du territoire, afin de permettre à tous les Français de pouvoir en bénéficier.

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Commentaires 3
à écrit le 02/02/2022 à 17:59
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Est-ce que nos parents, dans une situation financière semblable pouvaient se permettre de se faire livré des repas à la maison??? On comprend mal la façon dont les gens dépensent leur argent qu'ils ont difficilement gagner.

à écrit le 01/02/2022 à 9:05
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Je connais une amie qui a du se mettre en quarantaine a cause du covid qui s'est fait livrer chez elle.

à écrit le 01/02/2022 à 8:49
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Déjà que j'ai mauvaise conscience à faire venir un livreur de colis par chez moi si en plus c'était un pauvre esclave de uber eats et consorts je ne commanderais jamais à manger.

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