Tourisme : la Normandie entretient la flamme du D-Day

Les bougies du précédent anniversaire du débarquement ne sont pas éteintes que les Normands sont déjà à pied d’œuvre pour célébrer le 80ème anniversaire du Jour J. Derrière le devoir de mémoire, se cache un enjeu économique.
Tous les ans, la compagnie américaine Delta Airlines achemine d'anciens GI's sur les plages du débarquement en association avec la Best Defence Foundation, mais les rangs des bataillons de vétérans s'étiolent.
Tous les ans, la compagnie américaine Delta Airlines achemine d'anciens GI's sur les plages du débarquement en association avec la Best Defence Foundation, mais les rangs des bataillons de vétérans s'étiolent. (Crédits : Delta Airlines)

Les plus de vingt ans s'en souviennent. En 1984, c'est avec un faste inconnu jusqu'alors que François Mitterrand préside au quarantième anniversaire de l'opération militaire du 6 juin. Sur les plages du débarquement, le chef de l'Etat a vu grand. Il s'est entouré de la reine d'Angleterre, de Ronald Reagan et d'une cohorte impressionnante de dirigeants étrangers.

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Le tam-tam médiatique aidant, la cérémonie, la première à revêtir une dimension internationale, ranime la fièvre commémorative. Quantité de sites mémoriels sortent de terre à sa suite à commencer par le Mémorial de Caen inauguré en 1988 par le même François Mitterrand.

Quatre décennies plus tard, le littoral normand s'apprête à connaître une nouvelle poussée de température à l'occasion du 80e anniversaire du Jour J. L'événement décennal prendra un relief particulier. Selon toute vraisemblance, il sera le dernier auquel participeront les vétérans ou témoins du conflit, ravivant la crainte que le D-Day s'efface progressivement du cortex de leurs descendants.

Une rente mémorielle

Pour la Normandie qui s'est autopromue « terre de paix », l'enjeu n'est pas seulement historique, il est aussi économique. Chaque année, entre cinq et six millions de touristes affluent autour de la centaine de sites du souvenir, des 44 musées et des 29 cimetières qu'abrite la région. Une manne. En 2022, ce tourisme de mémoire a généré près de 10 millions de nuitées d'hôtels (sur un peu moins de 80 millions au global), presqu'autant que la baie du Mont-Saint-Michel, le deuxième site le plus visité de France.

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Les réservations émanaient pour un bon tiers d'étrangers, « américains et britanniques en tête », selon le dernier pointage de l'agence normande de l'attractivité, qui surveille ces indicateurs comme le lait sur le feu. On comprend, dans ces conditions, que les exécutifs locaux s'appliquent à entretenir la flamme. La rente mémorielle rapporte gros en devises, activités et - ce n'est pas neutre - en capital sympathie. « De toutes les régions françaises, la Normandie est l'une des rares que les Américains savent situer sur la carte », a coutume de rappeler Hervé Morin, président de la Région.

Cibler les plus jeunes

Ce n'est pas un hasard si l'ancien ministre de la Défense s'est transporté la semaine dernière aux Etats-Unis, où le souvenir du D-Day reste vivace. Maniant le « en même temps », il a assuré la promotion du 80ème anniversaire du Jour J devant 200 invités réunis au consulat de France, en ces termes : « Ce sera un grand moment d'émotion et de mémoire. Et c'est un événement économique très important pour la Normandie ».

Mais quid du futur ? Aucune rente n'étant éternelle, les Normands sont conscients qu'il leur faudra renouveler leur offre pour séduire les jeunes générations. En réponse, beaucoup de sites ont entamé une cure de jouvence. Fermé depuis deux ans, le vénérable musée d'Arromanches, inauguré dès 1953, rouvrira ses portes le 1er avril, après avoir réalisé 10 millions d'euros d'investissement pour enrichir ses salles de procédés immersifs.

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A Sainte-Mère-Eglise, l'Airborne Museum finalise une extension de 1.000 mètres carrés pour loger dignement le fameux planeur Waco. A la clef, une dépense de près de 9 millions d'euros. « Ces musées entament une mue profonde pour passer de la mémoire à l'histoire », expliquent leurs dirigeants respectifs. Même chose à Caen où le Mémorial est entré en travaux pour moderniser une partie de sa scénographie. Les nouveaux parcours se dévoileront au public à l'été 2024.

De son côté, la Région vient de relancer la demande de reconnaissance des cinq plages du débarquement au patrimoine mondial de l'Unesco dans la catégorie des biens culturels. Un classement qui permettrait, selon les élus « d'attirer 30% de visiteurs supplémentaires ».

Entre Histoire et tourisme, une ligne de crête

Quant aux prestataires touristiques, ils redoublent d'inventivité pour ferrer les millenials, avides de sensations. Ballades en canoë au milieu des vestiges du Jour J, randonnés sur Omaha Beach en fatbike (un vélo à gros pneus), promenades en Jeep sur les traces de la 101ème aéroportée .... Les propositions thématiques se multiplient, au risque d'irriter les exégètes de la Seconde Guerre mondiale.

« Les initiatives tendent à saturer l'espace faisant ressembler certains lieux à une brocante à ciel ouvert », regrette l'historien Patrice Gourbin dans un ouvrage paru aux Presses Universitaires. « Cela tourne un petit peu au parc de loisirs », déplore pour sa part Bertrand Legendre, professeur à l'université Paris 13 originaire de Sainte-Mère-Eglise dans une interview à l'AFP.

Les réserves qui ont accueilli le projet de cinéscénie à 100 millions d'euros porté par des professionnels de la télévision et du spectacle dans la Manche sous le nom d'Hommage aux héros, montrent que le sujet peut devenir éruptif Qualifié de « DDay Land » par les opposants qui dénoncent une appropriation de l'histoire à vocation commerciale, il est l'objet d'un tir de barrage de la part d'un certain nombre d'historiens et de descendants de vétérans, malgré les 600.000 visiteurs annuels promis par ses concepteurs..

Prise entre les deux feux du devoir de transmission et de l'attractivité touristique, il arrive que la flamme vacille.

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