«Le défi pour Air France-KLM est de rester dans le Top 15 mondial » (Jean-Cyril Spinetta, PDG)

Après 16 ans à la tête d'Air France et d'Air France-KLM, Jean-Cyril Spinetta quittera ses fonctions le 1er juillet, à presque 70 ans. Pour sa dernière interview à ce poste, il livre à La Tribune, sa vision de l'évolution du transport aérien mondial et les défis à relever pour le groupe français pour rester parmi les 15 grands groupes qui structureront demain le secteur. Il quitte également ses fonctions de président du conseil de surveillance d'Areva.
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La Tribune : Quel regard portez-vous sur vos 16 ans à la tête d'Air France et d'Air France-KLM ?

Jean-Cyril Spinetta : Quand j'ai été nommé en 1997, l'une des missions qui m'a été confiée était de combler le retard d'Air France en termes d'alliances, soit en intégrant une alliance, soit en construisant une. C'est une chose qui a été faite et même bien faite avec la création de Skyteam avec Delta, Korean Air Aeromexico en 2000 et son développement depuis, le rapprochement avec KLM en 2004, qui était la première fusion transnationale en Europe, et les joint-ventures que nous avons créées sur les vols transatlantiques avec Delta puis en Chine avec nos alliés China Southern et China Eastern.

 -Pourquoi Air France-KLM, qui paraissait si solide entre 2005 et 2008, a été aussi fragilisé pendant la crise?

 En 2009, en raison de la tempête économique provoquée par la faillite de Lehman Brothers, il y a eu, en quelques semaines, un décrochage brutal de 15% de la recette unitaire. Depuis, celle-ci est certes revenue à son niveau d'avant crise sur le long-courrier, mais reste toujours à -15% sur le court et moyen-courrier. Cela représente une perte de recettes d'un milliard d'euros ! Ce que nous avions prévu devoir se produire de manière progressive sur plusieurs années (avec une baisse continue de la recette unitaire, comme c'était le cas depuis 1995) est intervenu brutalement. Ce choc a été d'autant plus dur qu'il s'est accompagné d'une flambée du prix du carburant.

 -Quatre ans après la situation d'Air France-KLM est encore très difficile

 Pour Air France-KLM, la situation est nettement meilleure aujourd'hui qu'en 2011 où l'entreprise était en risque avec un endettement et un niveau de coûts insupportables. Le plan Transform 2015 de réductions des coûts lancé début 2012 porte ses fruits. L'operating cash-flow est passé de 300 millions d'euros en 2011 à 800 millions en 2012. L'objectif est de dépasser le milliard d'euros en 2013. Ces chiffres en nette amélioration sont encore insuffisants. En effet Air France-KLM doit être capable d'investir à terme 2 milliards d'euros par an sans s'endetter. Cela passe par la génération de 2 milliards d'euros de cash par an.

 -N'est-ce pas trop ambitieux ?

Nous en générions 3 milliards en 2004, 2005 ou 2007. Les choses vont très vite dans le transport aérien. La trajectoire des coûts est bonne en 2013 puisque nos coûts au siège continuent de se réduire et que nos coûts totaux sont stables par rapport à 2012. S'il y a un frémissement de la recette, la génération de cash sera par conséquent immédiate et importante.

 -Pour autant, le moyen-courrier et le cargo sont toujours en grande difficulté et votre successeur Alexandre de Juniac entend prendre des mesures complémentaires.

 Il reste en effet ces deux sujets stratégiques qu'il faut continuer à traiter. Le moyen courrier souffre de la situation économique européenne qui reste très difficile, et le cargo d'une situation épouvantable en raison de la stagnation du commerce mondial et d'une offre en très forte surcapacité. La situation économique d'aujourd'hui est pire que celle que nous envisagions en 2011 lorsque le plan Transform 2015 a été arrêté. Un bilan sera fait en septembre. Il y aura des décisions à prendre sur des mesures complémentaires.

 -Le corps social peut-il encaisser de nouveaux efforts ? Des mouvements sociaux ne sont-ils pas à craindre ?

 L'attachement des salariés à l'entreprise est très fort. Ces deux dernières années il a permis à l'entreprise de réagir et de prendre des mesures difficiles. La renégociation de tous les accords collectifs entre janvier et juillet 2012, en témoigne. Elle s'est déroulée de manière très positive. La modification de la culture d'entreprise des salariés depuis mon arrivée à Air France est l'une de mes plus grandes satisfactions. Il y a aujourd'hui, à tous les niveaux de l'entreprise, une compréhension très forte des problèmes économiques et de la nécessité de changer pour rester compétitif.

 -Comment va évoluer le transport aérien selon vous ?

 La libéralisation du secteur va se poursuivre pour s'étendre progressivement à l'ensemble des marchés mondiaux. Le mouvement, enclenché aux Etats-Unis en 1977 avec la dérégulation du transport aérien américain, puis au milieu des années 90 en Europe avec l'institution du grand Marché unique européen, continuera parce qu'il est en phase avec un mouvement de globalisation de l'économie mondiale de plus en plus rapide. Dès lors que la régulation de notre métier sera organisée selon le principe de la liberté d'établissement, comme c'est le cas dans l'industrie ou les services financiers, les compagnies aériennes devront se déployer sur tous les grands marchés mondiaux.

 -Quels seront les enjeux pour Air France-KLM

 Cette libéralisation va accélérer le processus de consolidation du secteur. Entre 1990 et 2010, celui-ci s'est déroulé sur une base régionale. C'est ce qui s'est passé aux Etats-Unis, en Chine, en Amérique latine, et bien entendu en Europe où la consolidation est aux trois quarts achevée. La consolidation mondiale sera la prochaine étape. Le secteur se structurera autour de 10-15 grands groupes aériens mondiaux. Le défi pour Air France-KLM est de faire partie de ce top 15 de manière durable pour les 30 à 40 ans qui viennent. Il faudra donc se positionner encore plus sur les grands marchés mondiaux, en Chine, au Brésil...Air France-KLM restera un groupe européen, avec des racines nationales, françaises et néerlandaises, avec pour vocation première de relier l'Europe au reste du monde mais nous deviendrons aussi, soit directement, soit par le biais de partenariats, un groupe aérien mondial avec des positions de marchés hors d'Europe. Notre allié américain Delta mène déjà cette stratégie et il a raison.

 -L'ouverture des marchés mondiaux entraîne de facto celle du marché européen. N'est-ce pas dangereux pour les compagnies européennes face aux concurrents du Golfe ou d'Asie ?

 Cette ouverture des marchés ne doit pas se faire n'importe comment. Il ne faut pas être naïf et accepter l'ouverture de nos marchés à nos compétiteurs sans nous assurer, au préalable qu'ils partagent des règles de concurrence équitables. Pas en termes de salaires ou de coûts du travail, qui sont des éléments habituels de la compétition mondiale, mais plutôt pour tout ce qui concerne un ensemble de règles qui doivent être communes, comme par exemple le financement des aéroports ou l'accès au crédit pour le financement d'avions.

 - Air France-KLM risque de devoir se positionner d'ici à la fin de l'année pour une prise de contrôle d'Alitalia. Faut-il y aller ?

Nous possédons plus de 10% du marché haute contribution italien sur le long-courrier, juste derrière Lufthansa. La question à nous poser est en fait très simple : comment pouvons-nous maintenir ou renforcer nos positions en Italie, qui est, et restera le quatrième marché européen ? Avec ou sans Alitalia ? C'est sur cela qu'il faudra prendre position dans quelques mois.

 

 

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Commentaires 16
à écrit le 29/06/2013 à 16:38
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Sur le moyen courrier, les majors américaines ont réussi à stopper la progression du low cost en faisant elle même du low cost. Sur un vol d'une heure ou deux (l'essentiel des vols européens), le client se contre fiche d'avoir une collation, des jour...

à écrit le 28/06/2013 à 14:32
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Air France et moi dont j'étais fidèle depuis 15 ans, c'est fini : beaucoup trop cher. Mes deux derniers vols sur d'autres compagnies, et mon prochain également ! déjà réservé et payé. (45% de moins, et non low cost). Air France, en voulant faire tan...

le 29/06/2013 à 14:56
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Sauf qu'Air France ne fait presque pas de marge sur ses vols ... Quant aux compagnies que vous prenez maintenant, ce sont celles du Golfe non? Sans charges, taxes d'aéroports et salaire minimum, pas difficile de pouvoir proposer des tarifs bien plus ...

à écrit le 28/06/2013 à 14:10
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J'attends depuis plus de 2 mois que AF me rembourse les indemnités dues suite à une annulation/ refus d'embarquer+ retard*rd d'un vol vers Paris et Istanbul ayant entraîné plus de 2500 euros de frais ( nouveaux billets, nuitées perdues + stress...). ...

le 29/06/2013 à 18:00
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eurofederal , vous répétez votre histoire inlassablement , sauf que vous oubliez là que vous avez fait des tronçons differents pour aller prendre un avion à Istanbul pour les US et que si AF est responsable de votre vol metropolitain ,ce qu'elle a je...

à écrit le 28/06/2013 à 12:02
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http://www.youtube.com/watch?v=qtm23R4CZt0

le 28/06/2013 à 22:43
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Vous allez mettre ce lien sur chaque article concernant AF? Je vous soupçonne d'être le commandant de bord qui assassine AF dans ce reportage et pour cause...il en a été licencié avec pertes et fracas (vous imaginez un peu ? licencié d'Air France ..u...

le 29/06/2013 à 0:48
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Je pense qu'il faut voir les réalités en face pour trouver une solution. Je sais que la remise en question n'est pas la qualité première dans ce pays.

le 29/06/2013 à 10:39
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Et manifestement pas la votre, cela vous ayant coûté une place de CDB chez AF, à une époque ou il était impossible d'être viré... Fallait en tenir une sacre couche...

à écrit le 28/06/2013 à 11:54
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"Cette ouverture des marchés ne doit pas se faire n'importe comment. Il ne faut pas être naïf et accepter l'ouverture de nos marchés à nos compétiteurs sans nous assurer, au préalable qu'ils partagent des règles de concurrence équitables." déclare Sp...

à écrit le 28/06/2013 à 11:32
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Un bien piètre bilan pour ce monsieur. Et quand on voit qu'ils sont encore à miser sur les clients haut de gamme on se dit qu'ils n'y arriveront jamais. Pendant ce temps Ryan air et Easyjet on construit des entreprises leader en partant de rien. Pers...

le 28/06/2013 à 11:48
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... sûrement fait mieux. Quant à Ryanair, elle ne vit que grâce aux subventions, ou presque.

le 29/06/2013 à 10:43
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Ryanair n'a pas créé son business en partant de rien mais en ramenant tout (coût et personnel) a rien .... Vous allez agréablement voler chez eux mais vous vendriez père et mère pour ne pas y aller travailler... Continuez de vous voiler la face en pr...

le 29/06/2013 à 18:05
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a votre place , j'arrêterai de voler chez ces négriers de ryanair qui mettent votre vie en péril .3 atterrissages d'urgence en Espagne , l'an dernier , pour emport limite de carburant , et ce n'est connu que grâce au contrôle aérien espagnol , alors...

le 29/06/2013 à 19:41
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Mis à part ces 3 petites situations "short of fuel", est ce que Ryanair a déjà tué ses passagers? Car AF est une grande spécialiste dans ce domaine...

le 30/06/2013 à 0:02
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Une manière aussi de récupérer du cash flow : les 75 millions d'? destinés aux dirigeants d'AF pour leur retraite. Gourgeon était parti avec 4 millions...

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