Aérien : le rédémarrage risque de coûter plus cher que l'arrêt des vols (Air Caraïbes, Corsair, Fnam)

Après l'arrêt quasi-complet du transport aérien mondial, la période de reprise qui débute en ce mois de juin risque d'être encore plus dure pour les compagnies aériennes. La faiblesse de la demande ne permet pas de compenser la hausse des coûts qui accompagne le redémarrage. La reprise s'annonçant lente et progressive, cette situation catastrophique sur le plan économique risque de durer. Les compagnies aériennes françaises en appellent une nouvelle fois à l'Etat non seulement pour prolonger les mesures d'accompagnement décidées pendant la crise, mais aussi pour soutenir la productivité et la compétitivité tricolore.
Fabrice Gliszczynski

Trois mois après l'incroyable "shutdown" (fermeture) du transport aérien mondial, au cours desquels la quasi-totalité de la flotte mondiale était clouée au sol, la période de reprise qui débute en ce mois de juin risque d'être encore plus difficile pour les compagnies aériennes.

"La phase de sommeil a coûté beaucoup d'argent mais nous avons su l'encaisser. La phase de redécollage en revanche peut tuer des compagnies car personne ne sait combien de temps elle va durer", a expliqué ce mardi Marc Rochet, le responsable du pôle aérien du Groupe Dubreuil, maison-mère d'Air Caraïbes et de French Bee, lors d'une conférence téléphonique organisée par l'association des journalistes professionnels de l'aéronautique et de l'espace (AJPAE), à laquelle participaient également Alain Battisti, le président de Fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam) et de Chalair, et Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair.

Le redémarrage se traduit en effet par des pertes d'exploitation. Des coûts variables, qui avaient été gelés pendant l'arrêt des vols, réapparaissent (kérosène, maintenance, fin de la prise en charge du chômage partiel...), mais les recettes ne permettent pas de les couvrir en raison de la faiblesse de la demande. Problème, personne n'a une idée bien précise de la durée précise sur la durée de cette situation, et les compagnies naviguent à vue.

"Je ne sais pas à quel moment nous allons revenir au point d'équilibre de nos comptes en termes de coûts. Cette phase de redécollage peut coûter plus cher que la phase de sommeil et tuer des entreprises", admet Marc Rochet.

Chez Airbus, son directeur général, Guillaume Faury estime que le trafic reviendra à son niveau pré-crise en 2023 au mieux, voire 2025.

Lire aussi : Airbus va prendre des "décisions difficiles", "amères", "mais nécessaires pour protéger son avenir" (Guillaume Faury, CEO)

L'été 2021, le véritable baromètre

Pour Pacal de Izaguirre, le PDG de Corsair, l'été 2021 sera déterminant.

"Notre montée en puissance dépendra de l'ouverture des frontières. S'agissant de Corsair, nous prévoyons une activité fortement réduite jusqu'à mars-avril 2021. Le véritable baromètre sera l'été 2021. Va-t-on recouvrer un niveau de trafic assez proche de celui que nous avions avant la crise. C'est cela qui fera la bascule. Nous avons encore une année difficile à passer", a-t-il déclaré.

Le trafic affaires reste très impacté

Rappelant la corrélation entre la demande du transport aérien et la croissance économique, le PDG de Corsair, a insisté sur l'impact que fera peser la crise économique sur la reprise du transport aérien. Selon lui, elle va se traduire par la réduction du trafic touristique long-courrier international et des voyages d'affaires en raison des difficultés des entreprises et du développement de la visioconférence. Un avis que partage Marc Rochet pour qui le marché du voyage d'affaires "est touché".

Alain Battisti est sur la même longueur d'ondes mais attend la rentrée pour avoir un avis définitif.

"Ce qui fait vivre habituellement nos compagnies aériennes, en particulier les compagnies classiques, ce sont les voyageurs professionnels et ils ne sont pas au rendez-vous en juin, ni en juillet. La grande question est de savoir si les grandes entreprises vont recommencer à voyager ou non à partir du 15 septembre. Cela va être déterminant pour les revenus de l'hiver et de la saison été de l'année prochaine", a indiqué le président de la Fnam.

Reste encore à connaître l'évolution de l'épidémie.

"S'il y a une deuxième vague à la rentrée, la situation deviendrait extrêmement complexe à gérer et ne reviendrait vers la normale ou à peu près uniquement que si un vaccin était trouvé", redoute Pascal de Izaguirre.

Cacophonie des pouvoirs publics

Pour Marc Rochet, le maintien de "la cacophonie des pouvoirs publics" sur les mesures sanitaires constitue un autre risque pendant le redémarrage.

"Certes le sujet est complexe (...) mais les mesures sont illisibles pour le client, et donc ingérables pour les compagnies aériennes", a-t-il fait valoir.

Autre risque majeur selon lui, "la hausse des coûts que nous supportons ou dont nous sommes responsables".

"Nous pouvons être dans le déni, mais soyons clairs. Toutes les compagnies vont subir des baisses significatives de chiffre d'affaires et je ne connais pas de recette magique qui, face à une baisse des recettes, ne nous oblige pas à baisser nos coûts (...) Le mot effort n'est pas un mot grossier. Je ne vois pas une relance de l'activité du transport aérien sans des efforts à demander à tout le monde. Il faut nous restructurer", a-t-il expliqué.

Pour Marc Rochet, le trafic va s'orienter "vers les familles, les voyageurs dits affinitaires, les voyageurs se rendant chez des amis ou des membres de leur famille vont voyager", et pour les faire voyager il faut "des mesures lisibles et des coûts compatibles avec leurs attentes".

Des mesures pour améliorer la compétitivité du secteur

Pendant qu'elles devront affronter tous ces vents contraires, auxquelles vont s'ajouter la pression sociétale pour diminuer l'empreinte carbone du transport aérien (2 à 3% des émissions de CO2), les compagnies demandent la mise en place de mesures d'amélioration du transport aérien qu'une multitude de rapports ont mis en lumière ces dernières années sans être suivis des faits.

"Nous n'avons pas eu de plan sectoriel. Il faut des mesures fortes. Sinon, il y a un risque de voir s'accentuer les tendances antérieures de déclin du pavillon français", a prévenu Pascal de Izaguirre.

Alain Battisti ne dit pas autre chose.

"Nous aurons besoin de mesures d'accompagnement pour une période assez longue, et on voit plutôt une volonté de revenir à une situation normale en niant la difficulté du redémarrage. En clair, les mesures courageuses qui ont été prises (report de charges, de taxes, prêts garantis par l'Etat, prise en charge du chômage partiel..., NDLR) ne suffiront pas. Il y a deux natures de mesures que l'on pourrait attendre : des mesures de suivi d'accompagnement de notre redémarrage, et des mesures à moyen terme pour remettre les compagnies aériennes françaises dans le peloton de tête européen", a-t-il ajouté, en appelant à un New Deal pour dépoussiérer l'ensemble de la fiscalité du transport aérien et simplifier sa règlementation.

Les Assises du transport aérien de l'an dernier n'ont en effet rien donné. Le diagnostic avait pourtant était fait.

"La France affichait un déficit de compétitivité par rapport à l'Allemagne de 1,5-1,8 milliard d'euros, dont la moitié de l'écart était liée à la sur-réglementation", rappelle Alain Battisti favorable à l'organisation et la simplification du transport aérien.

"Cela ne coûte rien à l'Etat, précise Marc Rochet, il faut juste du courage pour faire passer un décret ou supprimer le code de l'aviation civile qui date de 1954".

Fabrice Gliszczynski

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 24/06/2020 à 11:14
Signaler
et si on en profitait pour réfléchir, et non pas continuer bêtement comme avant ? le fric, le fric, le fric cela n'a jamais rendu intelligent alors, continuons, non pas comme avant mais en pire....

à écrit le 24/06/2020 à 8:46
Signaler
Mr Popo si la Sncf et la France ne vous plait pas, vous avez le choix entre l’inde ou d’autres pays ou l’on s’entasse comme des bestiaux dans des wagons bestiaux. La Sncf remet son service en route au service des Français et pour sauver la saison to...

le 24/06/2020 à 10:40
Signaler
@robert76, parlons-en de la polution du train. C'est facile de faire des caculs d'émissions de CO2 sans intégrer la construction des lignes (quel bilan carbone de la LGV Bordeaux?- Même en temps normal, les trains sont jamais remplis (gaspillage). E...

à écrit le 23/06/2020 à 20:40
Signaler
Vues les images qui viennent de la région parisienne, les vols auront à peine recommencés qu'il faudra reconfiner toute l'IDF. On ne saurait trop recommander à la filière du transport aérien de chercher fissa une reconversion... C'est spectacu...

à écrit le 23/06/2020 à 15:57
Signaler
J'en reviens à votre article dans lequel le patron d'une compagnie anglaise me semble-t-il expliquait qu'à un moment il valait mieux clouer les avions au sol que perdre de l'argent en les faisant voler nous incitant quand même à nous demander comment...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.