
Article mis à jour à 16h15
Danger pour les régions françaises. Tous les ingrédients d'un cocktail explosif sont réunis pour réduire en poussière l'un des éléments déterminants de la structuration des territoires de l'Hexagone depuis des années, à savoir : l'accessibilité aérienne. Avec la baisse de voilure drastique que prépare Air France sur le réseau intérieur, le décalage croissant de compétitivité des aéroports français par rapport à leurs voisins italiens ou espagnols et la consolidation attendue du transport aérien européen au cours des prochains mois, la connectivité aérienne des aéroports régionaux est en effet menacée.
Dit autrement, les mutations structurelles de l'offre aérienne qui se dessine avec la crise économique post-Covid vont réduire drastiquement le nombre de liaisons aériennes au départ des aéroports régionaux. Avec, en toile de fond, des conséquences terribles sur l'attractivité économique des territoires qui en dépendent. L'enjeu n'est pas de savoir s'il sera toujours possible d'aller passer un week-end à Venise, mais de savoir si le lien avec la capitale, les autres régions françaises et les villes européennes sera maintenu pour les entreprises locales et les hommes politiques.
A Bordeaux et à Pau, les élus montent au créneau
Quelques élus locaux ont commencé à tirer la sonnette d'alarme. A Bordeaux, ils sont ainsi nombreux à s'inquiéter de l'arrêt annoncé de la Navette d'Air France, un service de vols quotidiens cadencés vers Paris-Orly, lequel, malgré la concurrence du TGV en 2 heures de trajet, résiste. L'an dernier, plus de 500.000 passagers par an avaient emprunté les 10 vols quotidiens de La Navette sur cette ligne. Essentiellement des voyageurs d'affaires travaillant notamment dans la filière aéronautique-défense-spatial, fortement implantée près de l'aéroport de Bordeaux.
A Pau, François Bayrou est lui aussi monté au créneau en dénonçant le programme de reprise d'Air France entre Paris et Pau. Avec deux vols par semaine vers l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, il estime que cette offre raye Pau de la carte de France. S'il fait montre d'empressement à l'égard d'un programme qui ne fait que traduire la faiblesse de la demande après trois mois d'immobilisation forcée, François Bayrou a mis le doigt sur l'impact négatif pour les régions d'une perte de connectivité. Une brèche dans laquelle s'est engouffrée la compagnie ASL Airlines (ex Europe Airpost) qui va ouvrir à partir du 10 juin un vol quotidien aller-retour entre Pau et Roissy (sauf le week-end).
Contraintes environnementales
Ces protestations d'élus régionaux ne font que commencer. La perte de connectivité sera le lot d'un grand nombre de villes régionales françaises qui vont faire les frais de la restructuration du réseau du groupe Air France sur le réseau intérieur. Ce dernier prévoit de diminuer ses capacités de 40% d'ici à fin 2021 sur le réseau intérieur. De quoi contribuer à réduire ses émissions de CO2 d'ici à fin 2024 comme l'exige l'État, en contrepartie de son aide de 7 milliards d'euros.
Comme Bordeaux ou Pau, un certain nombre de villes qui étaient reliées à la fois aux aéroports parisiens d'Orly et de Roissy-Charles de Gaulle ne le seront plus que vers ce dernier. La faute en partie aux exigences de l'Etat. Air France est en effet priée d'arrêter toutes les routes sur lesquelles il existe une alternative ferroviaire en moins de 2h30, à l'exception des vols vers les hubs pour prendre une correspondance. Les lignes entre Orly et Lyon, Bordeaux, et Nantes (qui étaient déjà condamnées avant la crise) sont concernées. Seuls les vols vers Roissy seront maintenus.
Réorganisation de HOP
La faute aussi à l'arrêt de l'activité de la filiale HOP à Orly qui condamne plusieurs lignes sur lesquelles il n'y a pourtant pas d'alternative ferroviaire en moins de 2h30 comme Clermont-Ferrand, Toulon, Brest, ou Pau.... qui resteront néanmoins connectées à Paris-CDG. Certaines villes pourraient toutefois rester reliées à Orly, mais sous la marque Transavia, la low-cost d'Air France.
Outre la desserte entre les régions et Paris, la desserte intra-régionale va aussi en prendre un coup. HOP va également arrêter toutes ses lignes transversales (région-région), sauf celles vers Lyon. A l'exception des vols Air France opérés en A319 sur quelques lignes comme Toulouse-Nice, Nice-Bordeaux, Marseille-Bordeaux, Nice-Lille, des villes régionales seront connectées entre elles par des vols HOP via Lyon.
L'offre des low-cost n'apporte pas la même qualité de programme
Là aussi, Transavia est appelée à effectuer des vols sans escale sur des routes assurées jusque-là par HOP. Mais comme à Orly, toutes les lignes que "reprendra" Transavia ne remplaceront pas HOP. L'offre pour les passagers est complètement différente. Les deux modèles sont en effet à l'opposé. Celui de HOP prône un programme de qualité en termes d'horaires et de fréquences avec, chaque jour, au moins un vol le matin et un vol retour (si possible dans les deux sens) et un vol en milieu de journée. Ce genre d'offre est très apprécié des voyageurs professionnels mais aussi des hommes politiques. Mais il est coûteux. Il l'est d'autant plus qu'il nécessite des avions de faible capacité (70-100 sièges), dont les coûts au siège sont intrinsèquement plus élevés que ceux des avions de capacité plus élevée comme l'A319, l'A320 ou le B737. Les B737-800 de 189 sièges de Transavia ne permettront donc pas d'avoir le même programme qualitatif que HOP en termes d'horaires et de fréquences. La problématique est la même pour les autres compagnies à bas coûts, comme Volotea ou Easyjet, même si sur certaines grosses lignes au départ de leurs bases d'exploitation, ces compagnies ont réussi à monter en puissance.
La clientèle professionnelle souhaitant conserver ce confort devra donc passer par Lyon.
"Les gens veulent de la qualité mais ne veulent pas la payer", explique un observateur du transport régional français.
Décalage de compétitivité des aéroports
Au-delà de la restructuration d'Air France, une autre menace plane sur les aéroports régionaux : celle de ne pas retrouver le réseau de vols qu'ils avaient avant la crise. Ceci en raison du manque de compétitivité du transport aérien français. En effet, pour essayer de se refaire le plus rapidement possible, les compagnies aériennes vont se positionner sur les lignes sur lesquelles elles dégageront le plus de bénéfices. Ce faisant, elles choisiront les aéroports qui proposent les plus faibles coûts de touchée (qui incluent les taxes et les redevances aéroportuaires ndlr). Problème, le niveau de taxation qui pèse sur le transport aérien français constitue un sérieux handicap pour les aéroports tricolores. Le gouvernement a jusqu'ici refusé de supprimer certaines taxes ou de prendre à sa charge le financement de la sûreté, d'un montant d'un milliard d'euros en France. Pis, le modèle économique de ces charges régaliennes pourrait même conduire... à une augmentation des taxes.
Moins de compagnies, moins de concurrence, moins d'offre
La consolidation du transport aérien constitue une autre menace pour la connectivité aérienne des régions. Si une guerre tarifaire est attendue au moment de la reprise d'activité, probablement à partir de septembre, celle-ci fera des morts et débouchera sur une concentration du secteur, et donc moins de concurrence.
Or, prévient Thomas Juin, le président de l'UAF, la concurrence est cruciale pour la connectivité aérienne des aéroports.
"Une consolidation accélérée entraîne une baisse de l'offre et une augmentation du prix des billets d'avion qui contribueront à réduire la connectivité des aéroports", explique-t-il.
Les aéroports ont intérêt à ce qu'il y ait une grande concurrence entre les compagnies aériennes. C'est le développement des compagnies à bas coûts qui a entraîné le développement de la connectivité et du trafic. En France, en effet, 86% de la croissance du trafic aérien régional entre 2009 et 2019 a été tiré par les low-cost.
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