Le tourisme, l'hôtellerie, l'aéronautique, tous ces secteurs d'activité de la chaîne du voyage vont percevoir des aides spécifiques de l'État dans le cadre d'un plan sectoriel qui s'ajoutera aux mesures générales de soutien de l'économie comme la prise en charge par l'État du chômage partiel. Tous sauf... ceux du transport aérien et du monde aéroportuaire (aéroports, assistants en escale, agences de sûreté...).
Au regard de l'intensité de la crise sans précédent qui les frappe et que personne ne saurait remettre en cause avec la quasi-totalité des avions cloués au sol depuis avril, la fermeture d'une grande partie des aéroports et les charrettes de licenciements qui se succèdent, cet oubli apparaît comme une étrangeté.
D'autant plus qu'en s'empressant de sauver Air France par le biais d'un prêt bancaire garanti de 4 milliards d'euros et d'un prêt d'actionnaire de 3 milliards d'euros, le gouvernement français a montré qu'il avait bien conscience de la situation catastrophique que traversait ce secteur et qu'il semblait vouloir le soutenir.
L'aide au secteur limitée à Air France
Sauf que, contrairement à l'automobile où l'aide accordée à Renault s'accompagne d'un soutien à la filière automobile, l'aide au secteur aérien s'est limitée à Air France. Certes, un report de certaines taxes spécifiques a été annoncé en avril mais cette mesure est dérisoire par rapport à la situation et ne sera utile qu'au moment du redémarrage de l'activité.
Étudiée il y a quelques semaines, l'éventualité d'un plan spécifique pour le transport aérien a été abandonnée.
"Nous considérons aujourd'hui pour ce secteur que les outils nécessaires sont suffisants pour le moment", indique-t-on à Bercy.
Les prêts bancaires garantis par l'État se font attendre
De quoi confirmer les craintes de certains dirigeants de compagnies de voir le gouvernement, une fois l'aide à Air France apportée, ignorer les autres compagnies aériennes. Ce qui n'est pas sans créer un sérieux cas de distorsion de concurrence. Un point qui embarassait d'ailleurs le gouvernement quand il étudiait un plan pour les autres compagnies. Pour avoir maintes fois défendu le dossier de l'équité de traitement contre les soutiens des Etats du Golfe à leurs compagnies, il connaît en effet le dossier sur le bout des doigts. Cela ne l'a pas poussé pour autant à agir.
Le transport aérien français ne se limite pas à Air France en effet. Malgré les disparitions de XL Airways et Aigle Azur l'an dernier, la France compte encore de nombreuses compagnies (Air Caraïbes, French Bee, Corsair, Air Corsica, ASL Airlines, Air Tahiti Nui, Air Austral, Air Tahiti, Air Calédonie International, Air Calédonie, Chalair, Twinjet, La Compagnie, Air Guyanne, Air Antilles, Air Saint-Pierre...), et toutes ont une utilité pour les territoires. Certes, celles qui sont détenues par des collectivités seront aidées, comme l'a fait La Réunion avec Air Austral, mais les acteurs privés sont en danger. Côté aéroports, la France en compte une centaine. Ils sont également dans une situation critique.
Les compagnies aériennes et les aéroports tricolores bénéficient donc uniquement des mesures générales de soutien à l'économie comme la garantie des prêts bancaires à condition que les banques acceptent de prêter (à part Air France et Air Austral, propriété de La Réunion, aucune autre compagnie française n'en a encore obtenus), ou la prise en charge par l'État du chômage partiel. Insuffisant jugent-ils.
"Il est normal que l'on ait aidé Air France, il y a un enjeu national, mais il ne faut pas oublier toutes les autres compagnies [...]. Quand on dessert les départements d'outre-mer on fait tous oeuvre d'utilité publique, on maintient un lien social, on favorise l'activité économique [...]. Notre situation est dramatique. Ne volant pas, nous n'avons pas de recette, notre avenir est assez sombre. Nous avons besoin d'aide de l'État. On le voit dans d'autres pays, les États assurent la survie de leur compagnie", expliquait la semaine dernière le PDG de Corsair, Pascal de Izaguirre, lors d'une visioconférence organisée par la délégation sénatoriale aux outre-mer.
Le Scara demande 1 milliard d'euros pour les autres compagnies
Lors de la même réunion, Jean-François Dominiak, le président du Scara, le syndicat des compagnies autonomes, et directeur général d'ASL Airlines France, a rappelé les demandes à court terme formulées récemment au gouvernement, comme une "exonération de taxes", "la prise en charge par l'État des charges régaliennes de sûreté", aujourd'hui "à la charge des compagnies", et la mise en place d'un "fonds qui pourrait être l'équivalent de ce qui a été accordé au groupe Air France".
"Par souci d'équité vis-à-vis de l'ensemble du transport aérien, il semble fondamental de mettre en place quelque chose qui bénéficie à tout le monde. Non seulement pour passer la crise mais aussi pour passer la période d'après parce que, à l'évidence, il faudra que toutes les compagnies entreprennent des restructurations importantes. Il faut de l'argent et des fonds publics en la matière ne sont pas illégitimes", a-t-il dit.
En avril, le Scara avait demandé une aide d'un milliard d'euros pour l'ensemble des compagnies aériennes françaises autres qu'Air France. Au nom de l'égalité de traitement entre les différents concurrents.
Prolonger la prise en charge totale par l'État du chômage partiel
De son côté, l'Union des Aéroports français (UAF) explique que la pérennité des aéroports est menacée et demande, compte tenu des contraintes fortes pesant sur la reprise du transport aérien, le maintien des taux actuels de prise en charge par l'État du chômage partiel au-delà du 1er juin, et la prise en charge du coût du déficit de financement 2020 des missions régaliennes de sûreté et sécurité aéroportuaires (estimé aujourd'hui à 500 millions d'euros) afin d'éviter une explosion de la "taxe d'aéroport". Celle-ci nuirait à la compétitivité des aéroports français et des territoires car elle risquerait de dissuader les compagnies aériennes de privilégier la France pour leur redémarrage. La demande de la prolongation de la prise en charge du chômage partiel a été faite avec la Fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam).
"Dans un proche avenir, si ces restrictions au trafic aérien devaient perdurer, les entreprises du secteur aérien seront donc contraintes et forcées de continuer à recourir de façon très importante au chômage partiel. Une réduction du taux de prise en charge par l'État conduirait inexorablement à des licenciements économiques", expliquent dans un courrier envoyé à la ministre du Travail Muriel Pénicaud, Thomas Juin et Alain Battisti, les présidents de l'UAF et de la FNAM.
Demande de nouvelles Assises du transport aérien
La compétitivité du transport aérien français est d'ailleurs sur toutes les lèvres. Alors que les Assises du transport aérien en 2019 n'ont pas débouché sur des mesures structurelles d'amélioration de la compétitivité du secteur aérien, le Scara veut relancer le débat.
"Nous avons sollicité la direction générale de l'aviation civile (DGAC) pour la mise en place de véritables Assises pour que nous puissions traiter des problèmes que nous avions soulevés à cette époque-là, qui sont toujours d'actualité et même plus criants aujourd'hui", a-t-il dit en souhaitant notamment aborder la problématique de la régulation des aéroports et la fin du système de double-caisse dans les aéroports qui l'ont adopté, lequel, expliquent les compagnies, pousse à augmenter les redevances aéroportuaires, a expliqué aux sénateurs Jean-François Dominiak.
"Il faut effectivement poser la question de la compétitivité du transport aérien. Les Assises ont été un échec majeur. Rien n'en est sorti", a ajouté Alain Battisti.
"Nous pouvons aujourd'hui reposer ces questions pour sortir de la crise avec un référentiel simplifié et allégé, qui donnerait aux acteurs français des conditions d'opérations similaires à celles des grands européens. Car les grands acteurs du low-cost vont envahir le marché français avec l'objectif de prendre rapidement des parts de marché en profitant des règles de leur pays d'origine, dont on sait qu'elles sont beaucoup plus souples. La restructuration des grands opérateurs européens a déjà pu se réaliser, en particulier au Royaume-Uni ou en Allemagne, alors que chez nous elle ne l'est toujours pas en raison de cet environnement règlementaire qui nous empêche d'aller vite", a déclaré Alain Battisti.
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