Fret aérien : la bulle va-t-elle exploser ?

Avec la pandémie, le secteur du fret aérien a connu une croissance forte en raison de l'acheminement du matériel médical depuis la Chine puis de l'explosion du e-commerce. Dynamisme pérenne ou création d'une bulle ? Bob Lange Vice-président senior, responsable de l'analyse commerciale et des prévisions de marché d'Airbus, Jean-François Dominiak Président-directeur général ASL Airlines France et Marie-Christine Lombard Présidente du Directoire de Geodis ont débattu de cette question lors du Paris Air Forum organisé par la Tribune mardi 7 juin à la Maison de la Mutualité à Paris.
(Crédits : Geodis)

La dynamique que connaît le fret aérien depuis le début de la crise sanitaire va-t-elle se poursuivre alors que la pandémie touche à sa fin ? Pour Bob Lange, Vice-président senior, responsable de l'analyse commerciale et des prévisions de marché d'Airbus, cette croissance forte est atypique : « historiquement, l'aérien représente 1 % du volume du fret dans le monde et 30 % en valeur. La moitié est transportée dans les soutes des avions passagers. Avec le Covid, la capacité des gros porteurs passagers a subitement disparu. Résultat : les prix ont augmenté et le marché de la conversion des avions a été stimulé. De vieux appareils de fret ont même été réactivés. La question étant : combien de temps cette situation va-t-elle se prolonger ? ». Avec la pandémie, les habitudes de consommation ont changé, avec un boom du e-commerce et des livraisons à domicile. Le transport de passagers long courrier, qui souffrait d'une concurrence féroce et de prix bas, est redevenu indispensable pour transporter les marchandises rapidement d'un bout à l'autre de la planète.

D'autant que, dans le transport maritime, les ports engorgés ont du mal à résorber les milliers de conteneurs en souffrance. « Dans les années 90, les avions de fret courts et moyens courrier volaient 600 heures par an contre 4000 heures pour les vols passagers. Depuis deux ans, nous sommes passés à 1.500 heures sur l'Europe », a précisé Jean-François Dominiak, PDG d'ASL Airlines France. Cette bonne santé du fret aérien a donné des idées aux autres logisticiens. L'armateur CMA CGM a lancé sa propre compagnie Air Cargo début 2021 et prévoit la création d'une flotte de 12 avions de transport d'ici 2026. Geodis a acquis un premier appareil en leasing car le logisticien veut suivre ses clients là où ils vont : « notre offre logistique est multimodale avec de la route, du ferroviaire et de l'aérien, qui pèse déjà 20 % de notre chiffre d'affaires. Avec la crise sanitaire, nous avons réévalué notre besoin en transport aérien, qui est plus cher mais aussi plus rapide et plus fiable.  D'autant que les prix du maritime ont fortement augmenté (ils ont été multipliés par 7 depuis mars 2020 selon le Freightos Global container price index qui inclut 20 routes océaniques). Il va y avoir une nouvelle poussée de produits vers l'Occident et donc des embouteillages des ports et des aéroports. Si l'économie ne s'effondre pas en septembre, les prix resteront élevés, a estimé Marie-Christine Lombard, présidente du directoire de Geodis, filiale de la SNCF.

Guerre et transition écologique

Après l'incident du porte-conteneur géant taïwanais Ever Given, qui a bloqué le canal de Suez pendant six jours en mars 2021, tous les logisticiens ont compris qu'ils ne pouvaient plus se reposer sur un seul mode de transport.

« La segmentation classique express long courrier messagerie n'existe plus. Il faut des solutions globales. Le train, qui est plus rapide que le maritime, sera redoutable sur les longues distances, par exemple de la Chine vers l'Europe Si j'avais de l'argent, j'investirai dans le train », a fait valoir Jean-François Dominiak.

A condition de pouvoir traverser certains pays en guerre comme la Russie et l'Ukraine. Ce conflit a rebattu les cartes : après la crise du Covid qui a mis en évidence une dépendance de l'Occident à la Chine, la guerre en Ukraine vient complexifier un peu plus les flux logistiques. Une volonté de relocalisation de la production industrielle voire agricole s'est faite jour.

« La transition écologique est un second facteur qui soutient le discours actuel de relocalisation. Les supply chain doivent devenir plus courtes et plus durables, avec le rail ou la route qui est en train de se décarboner », a indiqué Marie-Christine Lombard.

Les nombreux bouleversements que connaît l'économie mondiale depuis trois ans rendent difficiles les prévisions à long terme pour le fret aérien. Selon Bob Lange, « ce secteur a toujours été volatile. Il envoie généralement des signes avant-coureurs de l'état global de l'économie. Nous estimons que le taux de croissance du segment de l'express poussé par le e-commerce sera une fois et demi plus important que celui du marché du fret en général ».

Un autre de ces signes, c'est l'accélération de la reconversion des appareils de transport de passagers en avions cargo. Le responsable de l'analyse commerciale et des prévisions de marché d'Airbus prévoit d'ici à 20 ans la vente de 2.500 avions neufs et reconvertis. Par catégorie de charge, le besoin serait de 1.000 avions pour les 10 à 40 tonnes, 900 pour les 40 à 80 tonnes et 600 pour les plus de 80 tonnes. « Ce marché des gros porteurs devrait comporter 80 % d'avions neufs. Pour la catégorie intermédiaire, ce sera environ 50 % et pour les petits porteurs, c'est plutôt un marché d'appareils reconvertis » pense Bob Lange.

Le fret doit être vertueux

Airbus a lancé l'année dernière son  A350F (dont la mise en service est prévue pour 2025) avec un volume de fret et une charge utile supérieurs à ceux du Boeing 777F. Mais avec aussi une consommation plus faible de 20 % par rapport à son concurrent Boeing et respectueuse des normes en matière d'émissions de CO2 fixées par l'OACI (Organisation de l'Aviation Civile Internationale) qui entreront en vigueur en 2027. Un avion cargo moins gourmand en kérosène qui a déjà séduit Etihad, CMA CGM et Air France.

Par ailleurs, Airbus est présent dans le segment de la reconversion pour les courts et moyens courriers avec sa filiale ERW et son partenaire singapourien ST Aerospace avec la conversion d'A 320, A 321 et A 330.

« Dans le domaine du fret, nous ne pouvons qu'être vertueux. Nous venons de retirer le dernier 737 300 et nous utilisons la génération suivante des 737 800 convertis avec Boeing », a ajouté Jean-François Dominiak.

De son côté, Geodis a commencé par un Airbus A330 passager reconverti en fret et plusieurs devraient suivre, sans pour autant que le logisticien n'envisage de créer sa propre compagnie : « l'aérien, c'est compliqué. Notre avion est opéré par une compagnie de leasing et nous le contrôlons. Nous sommes libres de le faire partir et atterrir sur l'aéroport de notre choix. C'est très agile », a expliqué Marie-Christine Lombard. Quant à savoir si la France devrait s'équiper d'un aéroport dédié au cargo comme Liège en Belgique, Jean-François Dominiak cite Roissy Charles-de-Gaulle, malgré « le problème majeur de la limitation des créneaux de nuit et de la congestion qui en résulte ».

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Commentaire 1
à écrit le 10/06/2022 à 9:41
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La pandémie touche à sa fin ? C'est étonnant cette capacité qu'on certains à jouer les madame irma.. c'est pénible. Dès lors, poursuivre toute lecture n'est plus crédible.

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