Norwegian gagne son bras de fer avec les Etats-Unis : et maintenant ?

Analyse. Début décembre, après deux ans et demi de blocage, les Etats-Unis ont autorisé Norwegian Air International, filiale irlandaise du groupe Norwegian, à desservir leur territoire. Ce feu vert suscite l'opposition des syndicats et de certaines compagnies américaines qui en appellent à Donald Trump en invoquant une menace pour l'emploi américain. Qu'en est-il vraiment?
Fabrice Gliszczynski
Le modèle aujourd'hui en place pour la desserte des Etats-Unis n'est pas celui envisagé en 2013, quand la direction voulait transférer son activité long-courrier, Norwegian Long Haul (NLH) en Irlande chez NAI pour réduire ses charges et être plus compétitif.

Après deux ans et demi de blocage, le Department of Transportation (DoT) américain a donné début décembre son feu vert à la desserte de son territoire à Norwegian International (NAI), la filiale irlandaise du groupe de transport aérien Norwegian. Ce groupe compte trois autres compagnies : deux transporteurs norvégiens, Norwegian Air Norway sur les vols intérieurs, et Norwegian Air Shuttle (NAS), la plus grosse entité du groupe, ainsi que Norwegian UK (NUK) au Royaume-Uni (dont la demande de vols vers les Etats-Unis est, elle, toujours bloquée).

Un dossier polémique

Un dossier polémique qui suscite la vive opposition des compagnies aériennes américaines et de leurs syndicats de pilotes, lesquels ont réussi à convaincre un certain nombre de sénateurs américains de les soutenir dans leur combat. Aujourd'hui, ils demandent au prochain président Donald Trump de revenir sur cette décision. Selon les règles américaines, ce dernier peut invalider l'accord au cours des 60 jours qui suivent la décision du DoT.

"Pavillon de complaisance" et violation de l'accord de "ciel ouvert"

Pour eux, en effet, le feu vert accordé à NAI va à l'encontre de l'emploi américain, car il va favoriser le « dumping social » de la part d'une compagnie originaire d'un pays au faible coût du travail, l'Irlande, et va lui permettre d'attaquer le marché américain (que Norwegian dessert déjà avec la compagnie norvégienne, Norwegian Air Shuttle, au départ de Norvège, de Londres, Paris et demain de Barcelone et d'Amsterdam) en cassant les prix.

La récrimination est plus large: ils accusent l'Irlande d'être un pavillon de complaisance en autorisant un groupe non européen (la Norvège ne fait pas partie de l'Union européenne) de s'y installer pour diminuer ses charges. Une pratique qui viole selon eux l'article 17 bis de l'accord aérien de ciel ouvert entre les Etats-Unis et l'Union européenne -même si cet accord inclut la Norvège et l'Islande...

Certains, avant de faire machine arrière, sont même allés jusqu'à affirmer que l'Irish Aviation Authority (IAA), la Direction générale de l'aviation civile irlandaise, était incapable de remplir sa mission de contrôle de la sécurité de ses opérateurs, alors qu'elle applique -comme toutes les directions de l'aviation civile de pays de l'UE- les règles de l'AESA, l'Agence européenne de la sécurité aérienne. Pour rappel, l'ensemble des compagnies du groupe Norwegian sont, elles aussi, soumises aux règles européennes de l'AESA.

Enfin, toujours selon les opposants à Norwegian, le « dumping social » sera d'autant plus accentué que la compagnie norvégienne utiliserait du personnel navigant basé en Thaïlande, recruté par une société singapourienne et payé au lance-pierre.

Des accusations que Norwegian rejette en bloc. Pour le groupe norvégien, elles n'ont comme objectif que de vouloir étouffer un concurrent dangereux qui chamboule le marché en baissant les prix. Pionnier du low-cost long-courrier en Europe, Norwegian exploite en effet une douzaine de Boeing 787 et son portefeuille de commandes s'élève à 20 autres Boeing B787 et 30 Airbus A321LR.

Les navigants sur les vols transatlantiques basés en Europe ou aux Etats-Unis

Norwegian explique ainsi que les navigants assurant des vols transatlantiques de Norwegian Air Shuttle, une compagnie norvégienne, sont basés soit aux Etats-Unis (à New York et en Floride pour les hôtesses et stewards), soit à Londres pour les pilotes, lesquels assurent la quasi-exclusivité des vols transatlantiques.

La compagnie reconnaît qu'il arrive parfois que des PNC (personnels navigants commerciaux) américains se retrouvent sur des vols entre l'Europe et l'Asie et, inversement, que des PNC basés à Bangkok soient affectés sur des vols transatlantiques en raison de l'organisation de certains plannings. Mais, contrairement à ce qu'affirment ses détracteurs, cela est "occasionnel", affirmait Bjorn Kjoos, Pdg de Norwegian, dans un courrier envoyé en août 2016 à la Commission européenne et transmis au DoT, en réponse à des accusations d'un député américain.

"La création de la base de Bangkok est destinée à nos vols entre l'Europe et l'Asie. Leur rémunération est équivalente à celle des PNC basés aux Etats-Unis et supérieure à celle des PNC basés en Europe", précisait-il.

Norwegian s'engage par écrit

Ce dernier s'est par ailleurs engagé par écrit à n'utiliser, pour Norwegian Air International, que des équipages européens ou américains, sauf "circonstances exceptionnelles et imprévues" liées à un aléa opérationnel. Les navigants sont recrutés par deux sociétés de recrutement spécialisées dans le transport aérien : Rishworth Aviation (qui travaille également pour le partenaire d'Air France, Korean Air, mais aussi Asiana, Vietnam Airlines...) et la société norvégienne OSM Aviation, dont Norwegian a récemment acheté 50% du capital.

Norwegian a donc eu gain de cause. D'une manière générale, le refus de Washington n'était visiblement pas tenable juridiquement. Le DoT, mais aussi le Department of Justice (DoJ) et le Department of State (DoS), ont tous admis que NAI a le droit d'opérer entre l'Europe et les Etats-Unis. Une compagnie originaire d'un pays (la Norvège) qui fait partie de l'accord bilatéral entre les Etats-Unis et l'Union européenne, qui veut créer une filiale dans un pays membre de l'UE (l'Irlande) ne va pas, selon eux, à l'encontre de l'accord transatlantique.

L'engagement écrit du Pdg de Norwegian a visiblement compté pour le DoT, alors que le dossier Norwegian s'était invité dans la campagne électorale. Ce dernier l'a rappelé de manière explicite en rendant sa décision. Autrement dit, Norwegian sera surveillé.

Et maintenant, qu'adviendra-t-il si Donald Trump ne revient pas en arrière?

Depuis deux ans, Norwegian a mis de l'eau dans son vin

Pour plusieurs professionnels du secteur, certains pourtant très hostiles à Norwegian, les conséquences sont moins importantes aujourd'hui qu'elles auraient pu l'être il y a deux ans, car Norwegian a mis de l'eau dans son vin.

"De manière explicite, le DoT a subordonné son feu vert au respect de Norwegian de ses engagements, ce qui atténue le risque. Ils sont sur surveillance", explique un bon connaisseur du dossier, qui n'a jamais été le dernier à taper sur Norwegian. "Cette affaire les a obligés à se mettre dans le rang. Le feu vert à NAI ne change pas grand-chose. Le problème est un peu derrière."

Norwegian a changé son modèle pendant le blocage américain

Le modèle aujourd'hui en place pour la desserte des Etats-Unis n'est en effet pas celui qui était envisagé en 2013, quand la direction voulait transférer son activité long-courrier, Norwegian Long Haul (NLH) en Irlande chez NAI pour réduire ses charges et être plus compétitif. Pendant le blocage américain à sa requête irlandaise, Norwegian s'est en effet adaptée pour desservir massivement les Etats-Unis. Norwegian Long Haul n'existe plus. Ce développement a été fait à travers Norwegian Air Shuttle (NAS), sa principale compagnie. Pour rappel, il s'agit d'un transporteur norvégien exploitant des avions immatriculés en Norvège qui a ouvert ou va ouvrir des bases d'exploitation dans des pays européens où son activité est forte ou en passe de le devenir, avec du personnel disposant de contrats locaux.

En plus de sa base pilotes de Londres-Gatwick où les personnels navigants techniques disposent de contrats britanniques, la compagnie a annoncé récemment la création d'une base pilotes à Paris, Barcelone et Amsterdam. Autrement dit, les pilotes basés à Paris disposeront d'un contrat français et cotiseront en France. Ils remplaceront sur les lignes transatlantiques les pilotes basés à Londres. Quant aux PNC, ils sont basés aux Etats-Unis. Norwegian compte d'ailleurs ouvrir une nouvelle base outre-Atlantique et une première pour les pilotes. Résultats : des pays comme la France, hostile en 2014 au projet NAI, ont accepté le système NAS. Des concurrents aussi.

"Je considère les conditions de concurrence de Norwegian comme normales", confiait récemment Marc Rochet, le président d'Air Caraïbes et de la low-cost long-courrier French Blue.

Norwegian soutenue même par ses concurrents

IAG, la maison-mère de British Airways, Iberia, Vueling et de l'irlandaise Aer Lingus (qui a beaucoup à perdre avec le feu vert américain donné à Norwegian en Irllande) a toujours soutenu le groupe norvégien.

"C'est tragique que Norwegian ne puisse pas se développer vers les Etats-Unis comme ils le souhaitent, alors que cette compagnie respecte toutes les règles. On empêche ses opérations à cause de l'interprétation d'un parti qui fait pression sur les négociateurs américains», déclarait l'an dernier Willie Walsh, le Pdg de IAG

Le développement de NAS se poursuit

Norwegian va-t-elle tout arrêter pour remplacer toute son activité transatlantique avec sa filiale irlandaise comme certains syndicats américains le craignent. Si ce scénario était bel est bien dans la tête de l'ancienne direction de Norwegian en 2013-2014, il semble peu probable qu'il le soit toujours aujourd'hui. Norwegian Air Shuttle continue son développement en Europe avec son entité norvégienne. Alors qu'elle savait depuis le projet d'accord du DoT publié en mai dernier que le feu vert américain était en bonne voie, NAS a annoncé fin novembre l'ouverture de trois nouvelles bases pour 2017 (Paris, Barcelone, Amsterdam).

Droits de trafic

A quoi NAI va-t-elle donc servir ? Tout d'abord à lancer des vols entre l'Irlande et les Etats-Unis (ce qu'elle aurait pu déjà faire depuis longtemps avec Norwegian Air Schuttle), et concurrencer ainsi les compagnies présentes sur cet axe, l'irlandaise Aer Lingus en tête. Ensuite, et c'est aujourd'hui la justification de la direction, la filiale irlandaise lui permettra, en tant que compagnie européenne, de bénéficier des accords de ciel ouvert entre l'Union européenne et d'autres pays tiers autres que les Etats-Unis. Or, pour l'heure, ils sont extrêmement limités.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 2
à écrit le 25/12/2016 à 12:24
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Pourquoi chercher toujours à salir son concurrent pour gagner le marché?Voilà pourquoi vous vous eloignez de plus en plus de Dieu par vos jalousie mal placer.Merci!

à écrit le 22/12/2016 à 12:11
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On ne comprend rien à cet article. Si Norwegian dessert déjà les US avec NAS, c'est quoi le but de la démarche ?

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