P&O licencie brutalement 800 marins : le gouvernement britannique engage des poursuites judiciaires

L'annonce le 17 mars dernier du licenciement de 800 marins britanniques par P&O a fait grand bruit. Par la soudaineté de la nouvelle et la manière choisie, puisque de nombreux salariés ont été prévenus par visioconférence sans aucune notification préalable ou consultations syndicales. Pour le premier ministre Boris Johnson, la compagnie de ferrys a « enfreint la loi », d'où la décision du gouvernement d'engager des poursuites judiciaires à son encontre.
Le premier ministre britannique a prévenu que « si la P&O est reconnue coupable ils font face à des amendes de millions de livres ».
Le premier ministre britannique a prévenu que « si la P&O est reconnue coupable ils font face à des amendes de millions de livres ». (Crédits : PETER CZIBORRA)

Un peu moins d'une semaine après le scandale généré par l'annonce de 800 licenciements par P&O, le gouvernement britannique réagit. Et c'est sur le terrain judiciaire qu'il amène la compagnie de ferrys, qui opère d'ordinaire des liaisons entre la France, la Grande-Bretagne, l'Irlande et les Pays-Bas et revendique 10 millions de passagers par an.

« Nous engageons des poursuites judiciaires » en prenant appui sur la loi sur le travail de 1992, « nous allons les envoyer au tribunal et défendre les droits des travailleurs britanniques », a déclaré Boris Johnson ce mercredi 23 mars. « Il me semble que la société concernée a enfreint la loi et nous allons prendre des mesures, et encourageons les employés » à agir en justice de leur côté. Et d'ajouter : « Si la société est reconnue coupable, ils font face à des amendes de millions de livres ».

Un porte-parole du département de l'Énergie et des entreprises (BEIS) a par ailleurs indiqué à l'AFP ce mercredi travailler avec le service des faillites « pour voir si des actions en justice sont requises ». « Au regard d'informations sur des employés qui seraient payés sous le salaire minimum, le ministre des Entreprises a demandé à l'Agence d'inspection des normes du travail d'étudier les termes des contrats des employés des agences » d'intérimaires, ajoute-t-il dans une déclaration écrite.

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P&O évoque sa « survie »

Jeudi 17 mars dernier, P&O avait créé la consternation au Royaume-Uni en annonçant la suppression du jour au lendemain de près de 800 postes de marins, faisant état de lourdes pertes qui menacent sa survie. « P&O Ferries n'est pas une entreprise viable. Nous avons fait une perte de 100 millions de livres sur un an (près de 120 millions d'euros), qui a été couverte par notre maison mère DP World », un opérateur portuaire basé à Dubaï, a justifié l'entreprise dans un communiqué. L'entreprise a été touchée de plein fouet par la pandémie de Covid-19 et l'annihilation du tourisme et des voyages internationaux.

« Notre survie dépend de changements rapides et significatifs maintenant », a insisté l'entreprise dans son communiqué. D'où la décision « très difficile mais nécessaire » de licencier 800 marins britanniques, sur 3.000 salariés au total, prise « après avoir sérieusement examiné toutes les options disponibles ».

Dans une lettre envoyée au gouvernement mardi soir, P&O affirme encore qu'elle n'aurait pas survécu en engageant des consultations qui l'auraient selon elle encore plus fragilisé et se seraient malgré tout traduites au final par des licenciements. Elle dit vouloir protéger ses quelque 2.200 emplois restants. Dans cette missive, l'entreprise laisse par ailleurs entendre que des emplois à quai au Royaume-Uni pourraient également faire l'objet de suppressions de postes mais que les salariés seront « consultés ».

P&O Ferries avait déjà annoncé en mai 2020 le licenciement d'environ 1.100 personnes dans le cadre d'un plan visant à rendre l'entreprise « viable et durable » face à la pandémie. L'entreprise a donc réduit de près de moitié ses effectifs en quasi deux ans.

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Des marins « licenciés via une vidéo Zoom préenregistrée »

Au-delà de l'annonce soudaine, c'est aussi la façon dont elle a été faite qui a particulièrement choqué. Selon les syndicats, les marins sont remplacés par de nouveaux marins largement étrangers et sous-payés. Un parlementaire évoquait ce mercredi 23 mars quelque deux livres par heure pour ces employés d'une entreprise contractuelle et travaillant sur des bateaux enregistrés hors du Royaume-Uni, notamment Chypre et les Bahamas.

Nombre des 800 marins concernés ont par ailleurs été « licenciés via une vidéo Zoom préenregistrée, avec un préavis de seulement 30 minutes », a indiqué le ministre des Transports britannique Grant Shapps. « Ce n'est pas une façon de traiter ses employés au 21e siècle », a-t-il martelé lors d'une conférence du parti conservateur le week-end dernier.

P&O dit s'en être tenue à la législation du travail dans les pays d'enregistrement des navires concernés, et fournir des indemnités de licenciement « généreuses » déjà acceptées par 575 personnes. Certains ont par ailleurs « pris des mesures pour accepter de travailler avec la nouvelle société fournissant l'équipage des navires de la compagnie », IFM. La société ajoute avoir « offert de l'aide » aux marins licenciés pour trouver un nouveau travail, notamment pour certains au sein du groupe DP World, sa maison mère, basée à Dubaï.

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Nombreuses réactions, politiques et populaires

Les réactions ont en tout cas été nombreuses dès jeudi 17 mars, notamment sur les réseaux sociaux. L'ancien dirigeant du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, dénonçait, lui, « une action méprisable » de P&O. Mike Kane, responsable du parti travailliste pour les affaires maritimes, a quant à lui qualifié l'annonce de « comportement absolument dégoûtant et insensible ».

Selon le syndicat britannique d'employés des transports TSSA, P&O Ferries encourage le personnel licencié à postuler aux agences d'intérim pour les mêmes postes, dénonçant une stratégie « conçue pour réduire les salaires et diminuer les conditions de travail de leur personnel ». Pour son secrétaire général, Manuel Cortes : « Dans n'importe quel pays civilisé, ces actions seraient non seulement illégales mais sévèrement répréhensibles ». Il exprimait alors son « doute » sur le fait que le « gouvernement conservateur lève le petit doigt ».

Dans une interview à La Tribune ce mardi 22 mars, Jean-Marc Roué, président de Brittany Ferries, juge comme « low cost » le plan de reconquête annoncé par P&O, « qui passe par des économies très fortes sur le coût des équipages en exploitant au maximum les capacités autorisées par l'Europe ». Pour lui, « la décision de P&O de réduire ses coûts salariaux préfigure une prochaine bataille tarifaire sur le détroit du Pas-de-Calais et des effets calamiteux sur le pavillon français et ses marins au-delà de la période de trois ans du dispositif net wage ».

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Des manifestations ont eu lieu dès le lendemain de l'annonce à travers l'Angleterre, dans les ports de Douvres, Liverpool et Hull en Grande-Bretagne, mais aussi à Larne en Irlande du Nord, et ont rassemblé plusieurs centaines de personnes selon l'agence PA. « Sauvez nos marins », « stop au désossage des emplois chez P&O » ou encore « résistez à toutes les suppressions d'emplois », pouvait-on lire sur les pancartes de manifestants rassemblés sous les falaises blanches de Douvres.

(Avec AFP)

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