
Alors que le déconfinement se prépare un peu partout en Europe, les compagnies aériennes préparent la reprise de leur activité. Celle-ci sera évidemment progressive par rapport à la période précédant la crise du Covid-19. Etant réduite, elle sera donc sélective. Sans surprise, plusieurs compagnies aériennes font pression sur les aéroports pour obtenir des conditions très avantageuses pour stimuler le trafic, comme la suppression temporaire des redevances aéroportuaires, par exemple. Ryanair en fait partie.
Selon des sources aéroportuaires, la compagnie a envoyé un courrier en ce sens aux aéroports européens dans lequel elle formule plusieurs demandes de suppression de redevances d'ici octobre 2021, d'abord sur la totalité des passagers (jusqu'à octobre 2020), puis sur 50% du remplissage des avions (jusqu'en octobre 2021), sauf sur les nouvelles lignes où l'absence totale de charges est demandée.
Pour Ryanair, les aéroports qui joueront le jeu seront privilégiés
Comme à son habitude, la compagnie parle "cash" puisqu'elle dit clairement qu'elle privilégiera les aéroports qui joueront le jeu en leur rappelant qu'ils auront un "avantage décisif" pour être choisi.
"Ces mesures raisonnables de stimulation du coefficient d'occupation vous donnent un avantage sur les aéroports concurrents pour rétablir les vols du groupe Ryanair dans les meilleurs délais", explique le groupe dans son courrier, que La Tribune s'est procuré.
Interrogée, la compagnie à bas coûts a tenu à réagir :
"Contrairement à d'autres compagnies aériennes qui recherchent de vastes sommes via des aides d'État (par exemple: Lufthansa: 10 milliards d'euros, Air France: 7 milliards d'euros), Ryanair a demandé à plusieurs reprises aux gouvernements de l'UE et aux autorités compétentes d'offrir un soutien transparent à toutes les compagnies aériennes de manière égale, comme la suspension des taxes aéroportuaires et des taxes sur l'aviation pendant un certain temps, afin de stimuler la croissance du tourisme et des voyages dans toutes les régions de l'UE, ce qui est le seul moyen de sauver des millions d'emplois dans l'industrie du tourisme de l'UE".
La meilleure offre des aéroports influence les choix d'Easyjet
La compagnie low-cost irlandaise n'est pas la seule à faire de telles demandes. Sans employer un ton aussi direct, d'autres compagnies demandent la même chose, expliquent des sources aéroportuaires, en citant par exemple Easyjet, le groupe IAG ou encore TAP Portugal.
Sans être précise dans ses demandes, Easyjet par exemple est très claire elle aussi sur ses intentions.
"Nous vous demandons de nous présenter votre meilleure offre qui influencera fortement la façon dont nous déployons la capacité lors de la reprise de nos opérations sur votre aéroport. Nous nous concentrons particulièrement sur le coût de la reprise des opérations à court terme, mais nous examinerons également comment les partenaires contribueront à renforcer la demande et à réduire les coûts pour faciliter le trafic à plus long terme", explique Easyjet dans un courrier envoyé aux aéroports, en invitant ces derniers à proposer "la meilleure offre sur toutes les redevances aéroportuaires, des incitations au redémarrage à court terme, des redevances à moyen terme pour encourager la reprise du trafic, des incitations spécifiques pour la prochaine saison d'hiver 2020 pour atténuer la baisse du trafic dans le cadre de la récession économique prévue"...
Pas de chantage pour IAG, mais une forte pression
Ces demandes ne sont pas réservées aux seules compagnies à bas coûts. Selon un aéroport, le groupe IAG (British Airways, Iberia, Aer Lingus, Vueling, Level) a lui aussi envoyé un courrier similaire à plusieurs aéroports sans procéder, en revanche, à un quelconque chantage.
"Pour encourager les compagnies à redémarrer le plus tôt possible et à un niveau maximum, je vous conseille vivement d'envisager des exonérations de redevances/réductions de frais pendant la période initiale d'exploitation (les premiers mois, soit la saison d'été) pour stimuler une reprise maximale de la manière la plus rapide possible", est-il écrit dans une lettre envoyée à plusieurs aéroports.
Là encore, comme Easyjet, s'ensuit une liste de suggestions longue comme le bras.
Compatibilité avec les aides d'Etat et égalité de traitement
"Je ne suis pas surpris de ce type de demandes du fait des difficultés des compagnies aériennes pour la reprise et du climat ambiant qui laisse penser que les aéroports sont épargnés alors qu'ils subissent des pertes abyssales et une destruction de valeur massive", a réagi à La Tribune Thomas Juin, le président de l'Union des aéroports français (UAF), en rappelant que les demandes des compagnies doivent se conformer au règles européennes sur les aides d'Etat qui n'ont pas évolué pour les aéroports malgré la crise du Covid-19, et que les aéroports sont tenus de respecter l'équité entre les compagnies sur leur plateforme.
"On n'a plus un rond"
Quelles suites vont donner les aéroports ? Selon un observateur, les aéroports ont plutôt intérêt à sécuriser des programmes de vols de compagnies solides comme Ryanair, car ils savent qu'elles passeront la crise. Encore faut-il que les aéroports puissent se le permettre.
La tendance de ceux que nous avons interrogés était plutôt défavorable.
"On n'a plus un rond. Chaque mois on brûle des sommes faramineuses de cash. Avec l'arrêt des vols, nous n'avons plus de recettes alors que nos coûts fixes restent très élevés. Quand le trafic va reprendre, aucune compagnie ne va nous payer", explique à La Tribune un dirigeant d'un aéroport français.
L'enjeu de la connectivité et donc de la fiscalité
L'enjeu est de taille. Car les compagnies sont toutes en train de reconstruire leur réseau. Les aéroports qui pensent retrouver leur programme de vols à l'identique après la crise se trompent. Après avoir essuyé de lourdes pertes pendant l'arrêt des vols, les compagnies vont chercher à se positionner sur les lignes les plus rentables.
Cette rentabilité sera dictée par leur marché, mais aussi par les "coûts de touchée" sur les aéroports (redevances et taxes qui pèsent sur le passager). Ce qui pose la question de la compétitivité des aéroports. Et de la fiscalité du transport aérien français.
"Quand il s'agira de reprise, il y aura nécessairement de la part de chaque Etat -je pense à l'Italie et à l'Espagne- la volonté de retrouver une activité économique et, là, le transport aérien aura un rôle majeur. Il y aura une compétition entre Etats pour attirer le maximum d'activité en un minimum de temps", explique Thomas Juin.
En filigrane, c'est toute la connectivité des territoires qui est en jeu.
Aussi, Thomas Juin pousse-t-il la Commission européenne à assouplir les règles en matière d'aides d'Etat pour éviter des dérives de la part de certains aéroports et conserver la connectivité aérienne. Entre 2009 et 2019, 86% de la croissance des aéroports français étaient liées aux compagnies low-cost.
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