Qatar Airways : des profits records, mais un déficit de capacités à venir

Alors qu'elle accueille le gratin mondial du transport aérien avec la tenue de l'assemblée générale de l'IATA à Doha, Qatar Airways a de quoi parader avec des profits étourdissants au vu de la crise des deux dernières années. Le fruit d'une prise de risques, avec des vols maintenus au plus fort de la crise, mais qui pourrait ne pas mûrir pleinement, faute d'un nombre d'avions suffisant alors que se profile la Coupe du monde de football.
Le patron de Qatar Airways, Akbar Al Baker, a accueilli en grande pompe l'assemblée générale de l'IATA.
Le patron de Qatar Airways, Akbar Al Baker, a accueilli en grande pompe l'assemblée générale de l'IATA. (Crédits : Reuters)

Qatar Airways va bien et le fait savoir. Désignée comme compagnie hôte de l'assemblée générale de l'IATA il y a moins de trois mois, pour pallier l'impossibilité de China Eastern Airlines d'accueillir l'événement à Shanghai en raison des contraintes sanitaires chinoises, la compagnie qatarie n'a pas hésité à mettre les petits plats dans les grands : son et lumière dans l'un des stades de la Coupe du monde de football, concerts de Christina Aguilera et Jennifer Lopez... Surtout, Akbar Al Baker, le PDG de Qatar Airways, n'a pas manqué de dire que ses avions avaient continué à voler pendant toute la pandémie - là où les autres compagnies aériennes avaient cessé leurs opérations -, et qu'il affichait désormais des résultats records.

Le fait est que, quelques jours avant l'assemblée générale, Qatar Airways a en effet publié le plus gros bénéfice annuel de son histoire, et de loin. Pour l'exercice 2021-2022, qui s'est achevé le 31 mars, il a enregistré un gain net de plus de 1,5 milliards de dollars, malgré un niveau d'activité encore inférieur à celui d'avant la pandémie. Dans cette période de reprise post-crise sanitaire, la compagnie qatarie devance ainsi Southwest Airlines, qui a dû se contenter d'un peu moins d'un milliard de dollars.

Ces résultats sont d'autant plus étonnants que le volume d'activité est resté nettement inférieur à celui d'avant la crise. La reprise s'est accélérée depuis l'automne dernier, mais avec 18 millions de passagers, Qatar Airways est loin des 32 millions de passagers d'avant crise (57%). De même pour l'offre, avec 67% du niveau de 2019-20 en termes de sièges au kilomètre offerts. En revanche, le cargo a progressé de 15% avec plus de 3 millions de tonnes de fret transportées. Et le chiffre d'affaires global a progressé de 2% à plus de 14 milliards de dollars.

Opération séduction pendant la crise

La continuité des opérations mise en avant par Akbar Al Baker, lui a notamment permis de conquérir des parts de marché sur le trafic international, notamment par rapport à son concurrent direct Emirates. Thierry Antinori, directeur commercial de Qatar Airways, explique que cela a renforcé la confiance des passagers et des distributeurs dans la compagnie, qui a pu en cueillir les fruits au moment de la reprise significative du trafic à partir de l'été 2021. Sa part de marché en termes de nombre de passagers par kilomètre transportés à l'international est ainsi passé de 4,5% en 2019 à 7,5% en 2021-2022.

Le dirigeant, passé par Air France, Lufthansa et Emirates, estime que de "garder le moteur chaud" a permis d'avoir une meilleure lecture du marché et de garder un temps d'avance sur la concurrence. Il met aussi en avant la diversité de la flotte, qui a offert de la flexibilité dans le programme.

À l'inverse, comme le concède son président Tim Clark rencontré également à Doha, Emirates a dû composer avec la lente remise en route de sa flotte d'A380 dont 50 exemplaires sont toujours parqués (soit 40% de la flotte).

Qatar Airways a aussi largement bénéficié de la dynamique actuelle du cargo aérien, avec une flotte dédiée de 30 appareils.

Amélioration de la gestion des revenus, de la couverture carburant...

Cette période de hauts profits correspond aussi à l'achèvement de son programme de transformation commerciale sur trois ans, lancé avant la crise, avec une amélioration de la gestion des revenus. La hausse des parts de marché s'est ainsi accompagnée d'une augmentation des yields.

Et du côté des coûts, Akbar Al Baker a également insisté sur l'efficacité de sa politique de couverture carburant, ce qui n'a pas empêché le kérosène de représenter près de 30% de ses coûts lors de l'exercice achevé en mars. Et ce ratio tend désormais vers les 35% avec le plein impact de la guerre en Ukraine sur les cours du pétrole.

Enfin, la levée, début 2021, du "blocus" imposé au Qatar par les Émirats Arabes Unis, l'Arabie saoudite, Bahreïn et l'Égypte a offert un bol d'air à Qatar Airways. Elle a pu reprendre des vols vers ces pays (mis à part Bahreïn) mais aussi les survoler à nouveau après trois et demi de blocage, s'évitant notamment le long contournement du territoire saoudien sur ses routes occidentales.

Cela concerne l'Europe et les Amériques, mais surtout l'Afrique sur laquelle Qatar Airways s'est énormément développée pendant la crise : elle y a ainsi accru son activité de 70% par rapport à 2019 avec une demi-douzaine de nouvelles routes.

Extension à l'Ouest

Le continent africain a ainsi été le principal relai de croissance pour la compagnie, avec l'Amérique du Nord. Cela a permis notamment de compenser la fermeture prolongée de l'Asie. Sur l'Europe, la compagnie est surtout en train d'essayer de récupérer son niveau d'avant la crise, même si l'accord de ciel ouvert avalisé l'an dernier par l'Union européenne lui ouvre d'importantes perspectives de développement.

Ce réajustement du réseau vers l'Ouest devrait être pérenne, malgré la réouverture de destinations notamment en Asie du Sud-Est. La crise a d'ailleurs été source d'innovation en termes de réseau pour les compagnies du Moyen-Orient : la normalisation des relations diplomatiques entre les Émirats Arabes Unis et Israël a fait de la route Tel Aviv-Dubai l'une des plus dynamiques de la région, selon Tim Clark.

L'un des enjeux pour Qatar Airways est aussi de renforcer le point-à-point, le Qatar ne possédant pas l'attractivité de Dubaï pour le moment. Une attractivité qui a permis à Emirates de surmonter en partie la perte du trafic en connexion pendant la pandémie. Actuellement, environ 15% des passagers de Qatar Airways restent à Doha, alors que l'hiver dernier jusqu'à deux tiers des passagers d'Emirates venaient pour Dubaï. Pour réduire l'écart, la compagnie qatarie compte sur l'apport de la Coupe du monde de football en novembre qui doit drainer plus d'un million de visiteurs, même si tous n'arriveront pas par les airs.

Les capacités commencent à manquer

En attendant, l'accélération se poursuit. À l'approche de l'été, la compagnie retrouve quasiment son nombre de passagers d'avant-crise, tandis que les revenus bondissent par rapport à 2019 avec une croissance à deux chiffres, portée par une amélioration du taux de remplissage et des yields.

Qatar Airways pourrait néanmoins être rattrapée par un manque de capacités, selon un connaisseur de la région. Si Akbar Al Baker affirme haut et fort qu'il n'a aucun mal à recruter, contrairement à ce qu'il peut se passer en Europe, par exemple, il commence néanmoins à manquer d'avions et la capacité offerte reste 15% inférieure à celle d'avant la crise.

Après avoir évité soigneusement tout propos désobligeant à l'encontre d'Airbus, Guillaume Faury faisant de même à l'endroit de Qatar Airways, Akbar Al Baker a tout de même lâché un trait lors de sa dernière prise de parole à l'assemblée générale de l'IATA:

« Jamais un avionneur ne devrait être autorisé à utiliser sa position dominante sur le marché pour intimider un client de longue date. »

Le conflit avec Airbus pèse sur les capacités : au moins 22 de ses 53 A350 sont cloués au sol, dont certains depuis bientôt un an ; elle ne reçoit plus aucun A350-1000 alors qu'elle en a encore 20 en commande ; sa commande de 50 A321 NEO a été annulée unilatéralement par le constructeur. Et la situation n'est pas plus enviable du côté de ses commandes Boeing, entre les délais de certification du 777X qui ne cessent de s'allonger (74 exemplaires commandés) et les livraisons du 787 qui n'ont pas encore repris (23 exemplaires commandés). Après l'annulation des A321 NEO par Airbus, Qatar Airways a signé un protocole d'accord pour 25 Boeing 737 MAX 10 et 25 en option, mais celui-ci n'est pas encore certifié. Et cela va prendre encore de longs mois, sans compter les délais de livraison.

Malgré la remise en ligne d'A330, des extensions de location, ou le retour plus rapide que prévu des A380, cette situation va conduire Qatar Airways à faire des arbitrages entre destinations et fréquences.

La Coupe du monde de football va encore renforcer le problème, Akbar Al Baker admettant même qu'il faudra sacrifier une partie du réseau pour faire face à l'afflux de voyageurs sur certaines routes, le temps de la compétition.

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Commentaire 1
à écrit le 22/06/2022 à 7:54
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Des petits malins qui avaient accès aux informations sur les compagnies du Qatar qui pouvaient voler pendant le confinement ,on du se régaler en bourse ?

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