
Quand une innovation prend des tournures politiques. Dès septembre 2018, deux trains à hydrogène Coradia iLint, conçus par Alstom, parcourent la centaine de kilomètres qui séparent Cuxhaven, station balnéaire allemande de la mer du Nord, de Buxtehude, aux portes de Hambourg. À l'époque, ce qui s'apparente à un exploit technologique est accueilli amèrement par certains, et notamment dans les rangs du conseil régional d'Occitanie.
En 2015, le constructeur ferroviaire français a implanté à Tarbes (Hautes-Pyrénées) son centre mondial d'excellence pour les chaînes de traction pour l'ensemble de ses trains. Et c'est principalement ce site de près de 700 personnes aujourd'hui qui développe ce système de traction pour les trains à hydrogène alors testés en Allemagne. Qu'une technologie française, d'autant plus occitane, trouve son terrain de jeu chez les voisins Outre-Rhin plutôt que dans l'Hexagone passe mal auprès de la présidente socialiste de la région, Carole Delga. Dès novembre 2018, l'élue locale et ancienne ministre sous François Hollande se rend sur le site d'Alstom pour annoncer ses intentions.
"Je souhaite que la région Occitanie devienne le terrain d'expérimentation privilégié du train à hydrogène, en France", déclare-t-elle aux salariés, en précisant vouloir acquérir trois rames pour lancer une phase d'expérimentation sur son territoire.
Une incertitude autour du calendrier de livraison
Pas si simple. Un premier obstacle voit le jour. Alstom refuse de prendre une si petite commande au regard des coûts de développement que nécessite cette technologie. Après plusieurs mois de discussions au sein de l'association d'élus Régions de France, l'Occitanie embarque dans cette aventure les régions Bourgogne-Franche-Comté, Auvergne-Rhône-Alpes et Grand Est. Après des négociations difficiles, le dossier s'est décanté ces dernières semaines avec la commande, début mars, de trois trains à hydrogène par la région Bourgogne-Franche-Comté. Le 25 mars, ce fut au tour de la région Occitanie d'approuver, lors de son assemblée plénière, la délibération permettant de passer commande. Quelques jours plus tard, les deux autres régions, Auvergne-Rhône-Alpes et Grand Est, passèrent elles aussi à l'acte.
"En comptant, les deux rames optionnelles d'une région, nous sommes sur une commande totale de 14 rames à hydrogène en France (dont 2 options, Ndlr), auprès d'Alstom. La première expérimentation doit débuter en Occitanie dès la mi-2023. Mais nous négocions âprement avec Alstom qui nous annonce plutôt un calendrier courant 2024. Le groupe nous indique qu'il a besoin d'un peu plus de temps pour adapter la technologie aux spécificités du rail français. Une raison que nous n'acceptons pas car nous (les régions acheteuses, ndlr) estimons qui peuvent aller plus vite en mobilisant davantage d'équipes sur le sujet", confiait récemment Carole Delga.
Aujourd'hui, Alstom maintient le calendrier de 2023 mais évoque des premiers essais fin 2023. Avec cette commande, la France va ainsi devenir le troisième pays à s'équiper de ce mode de transport propre, après l'Allemagne qui a commandé 41 trains, et l'Italie qui a signé avec Alstom, fin novembre, un contrat portant sur six exemplaires et huit options.
Dans cette commande tricolore, le nombre de trains n'a pas été le seul sujet de friction entre Alstom et les collectivités intéressées. Le groupe français voulait en effet facturer les frais de recherche et développement concernant l'adaptabilité de sa rame hydrogène au rail français, forcément différent du système allemand. Face à l'intérêt national de cette technologie, Carole Delga souhaitait que l'État prenne en charge cette partie de la facture finale. Ce qui fut l'objet d'une énième négociation entre la présidente de la région Occitanie, aussi représentante des collectivités régionales au sein du nouveau Conseil national de l'Hydrogène, et le Premier ministre, Jean Castex, lors de la venue de celui-ci à Toulouse début octobre.
"Nous lançons, en partenariat avec quatre régions, dont la région Occitanie, des expérimentations de trains régionaux à traction hydrogène, en remplacement des motorisations diesel. 14 rames seront équipées pour commencer, et le soutien de l'État sera porté à 47 millions d'euros. La production débutera dès l'an prochain pour une mise en service commercial prévue en 2025", avait d'ailleurs précisé Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, lors de sa venue le 25 février à Albi (Tarn), pour la première réunion de ce Conseil national de l'Hydrogène, qui rassemble aussi des industriels et qui doit permettre de structurer une filière française de l'hydrogène en s'appuyant sur les sept milliards d'euros qui lui sont dédiés dans le cadre de France Relance.
Les lignes ferroviaires tests déjà identifiées
Cette prise en charge de l'État pour environ un tiers de l'enveloppe se justifie par le fait que le système d'alimentation de la rame en France sera assez différent de celui testé et approuvé en Allemagne. Moins rapides, moins autonomes et embarquant moins de passagers, les Coradia iLint sont mono-énergie, contrairement aux futures rames françaises qui sont présentées comme des "Régiolis bi-modes électrique/hydrogène". Ces dernières seront effectivement capables de circuler également sur des lignes électriques avec caténaires; l'hydrogène prenant le relais sur les lignes non électrifiées. Plus concrètement, ces trains pourront embarquer 220 passagers, rouler à 160 km/h et tout cela sur une autonomie de 600 km.
"L'arrivée des trains à hydrogène vise à remplacer les locomotives et les automoteurs TER diesel circulant sur les parties non électrifiées du réseau. Le diesel représente, en effet, encore 25% de l'énergie consommée par TER et est responsable de 75% de leurs émissions de CO2 (...) En prenant le parti des énergies responsables, nous visons à améliorer, d'ici 2025, notre performance énergétique de 20% et à réduire de 25% nos émissions de gaz à effet de serre", indique la SNCF.
Par ailleurs, ces trains "verts" connaissent déjà leurs terres d'accueil. Ainsi, la première expérimentation en France devrait être menée sur la ligne Montréjeau-Luchon (communes de Haute-Garonne). Pour le moment, cette ligne de 36 kilomètres est fermée depuis 2013 suite aux importantes inondations qui ont touché le département cette année-là. Par conséquent, des travaux doivent en faire la première ligne totalement dédiée et adaptée au train H2O dès 2023, contre plusieurs dizaines de millions d'euros. Date à partir de laquelle des trains à hydrogène doivent également circuler sur l'axe Clermont-Lyon, Avallon-Auxerre et sur la ligne Corbigny-Clamecy-Auxerre.
Sujets les + commentés