Brique après brique, Transdev accumule les expériences de transport public autonome, le long de la vallée de la Seine. Après les robots taxis de Rouen et les navettes de Saclay et des Mureaux, le groupe va lancer pour la première fois un engin sans conducteur sur une route départementale « ouverte ». Autrement dit, sans travée réservée. En avril prochain, mois d'ouverture du jardin de Claude Monet, les touristes débarquant à la gare de Vernon pourront emprunter (gratuitement) trois navettes autonomes pour se rendre au village de Giverny, à six kilomètres de là. Fruit d'un partenariat public-privé, cette expérimentation qui durera sept mois est innovante à plus d'un titre.
C'est en effet la première fois en Europe qu'une navette circulera dans un environnement mixte (urbain et rural) sur une telle distance. Cela signifie que le véhicule devra franchir les obstacles classiques de la ville -à commencer par l'entrée périlleuse sur les ronds-points-, mais aussi ceux de la campagne. Un casse-tête pour EasyMile, le fournisseur des navettes. Son premier défi ? Renforcer la robustesse des techniques de localisation. Les yeux du véhicule en somme. Explications.
Localiser n'est pas jouer
Là où les systèmes Lidar et GPS sont parfaitement opérants dans un milieu urbanisé truffé de points de repères, ils risquent de se révéler plus faillibles sur une route de campagne entourée de champs de blé.
« En ville, la précision est quasi millimétrique. Là, il faudra probablement que nous équipions certains poteaux électriques de capteurs pour faciliter la localisation », indique Rémy Dangla, responsable commercial d'EasyMile.
Pour pallier cette difficulté, l'entreprise table aussi sur un recours accru à l'ondométrie (qui mesure le nombre de tours de roues) et à la cartographie des marquages au sol.
Le second défi auquel devront faire face les développeurs consistera à anticiper les réactions des automobilistes sur une route départementale limitée à 50 km/h comme cela sera le cas ici. Certains conducteurs seront, en effet, tentés de doubler sans ménagement des navettes dont le compteur émarge à... 25 km/h maximum. « Mon pire cauchemar, ce sont les queues de poisson qui pourraient engendrer des freinages brutaux du véhicule, admet Rémy Dangla. C'est pourquoi nous allons informer les automobilistes ». En espérant que ceux-ci se montrent compréhensifs.
Un poste de contrôle déporté
Autre innovation de l'expérimentation normande, la supervision à distance (déportée dans le jargon). Celle-ci sera assurée, à 70 kilomètres de Vernon, depuis la « tour de contrôle » installée par Transdev à Rouen en 2018 dans le cadre du projet Autonomous Lab.
« Les superviseurs suivront la navette sur leur écran, pourront communiquer avec les passagers en cas de problème ou, par exemple, envoyer une équipe si une panne survient », détaille Arnaud Vitou, directeur général adjoint de la division Systèmes de transport autonome (STA) de Transdev.
L'enjeu est important pour le groupe où l'on imagine, demain, pouvoir contrôler, simultanément, plusieurs flottes de véhicules autonomes depuis des PC de sécurité mutualisés. Il l'est aussi pour l'administration.
« Le ministère des transports autorisera les navettes à passer au niveau 5 (sans safety driver ndlr) si nous progressons sur la supervision », rappelle Arnaud Vitou.
Transdev et EasyMile voient un dernier intérêt dans le test vernonnais : « la mesure de l'appropriation sociale » du service, premier du genre à cette échelle dans le domaine touristique. Giverny recevant plus de 80.000 visiteurs chaque année, les deux entreprises s'attendent à ce que leurs trois navettes (12 places chacune) soient très fréquentées. « C'est un cas d'usage très réel qui permet d'envisager de le dupliquer ailleurs en France et dans le monde », commente Benieke Treverton, directrice de la communication d'EasyMile. Autant dire que les réactions des passagers seront scrutées à la loupe.
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