Il est l'autre roi des forêts derrière le chêne. Moins prisé que son cousin, le hêtre recouvre plus de la moitié de nos espaces forestiers. Homogène, il est apprécié des fabricants de mobilier et des décorateurs d'intérieur. Le secteur de la construction, en revanche, lui préfère l'épicéa moins onéreux et plus normé.
« Le hêtre est sous valorisé et sous exploité alors que l'on valorise fortement des essences de moindre qualité », déplore Maxime Castel, chargé de développement au sein de l'entreprise Manubois, filiale du groupe Lefebvre implanté aux Grandes Ventes en Seine-Maritime au cœur d'une des plus importantes hêtraies de France (500 collaborateurs - 55 millions d'euros de chiffre d'affaires).
"Une densité hors du commun"
C'est précisément pour trouver de nouveaux débouchés à cette essence que l'entreprise normande a mis au point une nouvelle technique de lamellé collé qui lui permet de proposer des pièces de grosse section et de grande longueur.
« Les propriétés mécaniques de ce produit ont été caractérisées par l'institut technologique FCBA. Il présente une densité hors du commun, deux fois supérieure à celle de son équivalent en résineux et peut être utilisé par le bâtiment en substitution du béton et du métal pour les fortes charges », détaille Romain Mani, chargé de mission au sein de l'antenne normande de l'interprofession (Fibois).
Également soutenu par l'Ademe et les Régions Ile-de-France et Normandie dans le cadre du Contrat de plan de la vallée de Seine, ce projet collaboratif dénommé Probois entre opportunément en résonance avec la nouvelle réglementation (RE2020) qui régira les performances environnementales des bâtiments neufs à compter de l'été prochain ; et dont on sait qu'elle fera la part belle aux matériaux bio-sourcés.
« La période est favorable à ce type de produits 100% renouvelables et recyclables, note Maxime Castel. Le marché est prêt et il y a une volonté de la filière de raccourcir les circuits en encourageant l'usage des feuillus français ».
Un substitut durable au béton
Un premier bâtiment démonstrateur verra d'ailleurs le jour cet été au sein de l'éco-quartier Flaubert aménagé par la Métropole de Rouen qui a exigé des promoteurs au moins 29 kilos de bois par mètre carré construit pour alléger son bilan carbone et, au passage, mettre en avant son territoire "à 30% forestier".
Message reçu par Bouygues Bâtiment Grand Ouest qui a choisi de recourir aux services de Manubois pour la construction de cet immeuble de bureaux qui comprendra sept niveaux. Le groupe a commandé une grosse soixantaine de poteaux en hêtre lamellé collé qui viendront supporter les planchers en béton.
« La résistance mécanique est excellente, il aurait été possible d'utiliser de l'épicéa mais cela aurait nécessité des sections quasiment du double. C'est aussi un bon moyen de valoriser cette filière française » indique Florent Leforestier, responsable structure bois au sein du réseau Wewood, créée par Bouygues pour convertir ses collaborateurs à la construction bois.
La Seine, nouvelle route du bois
Le projet Probois est à double détente. Il imagine aussi de faire voyager par la Seine jusqu'à Paris les panneaux de bois usinés en Seine-Maritime. « La ressource est en Normandie et le gros des besoins se situe en Ile-de-France. Le hêtre plus cher mais qui nécessite deux fois moins de matière que le pin pourrait transiter par le fleuve », indique François Philizot, délégué interministériel au développement de la vallée de Seine.
En guise de test, l'entreprise Cuiller Frères, spécialiste de la construction bois et partenaire du projet, a expédié en décembre, dix maisons en kit depuis Rouen jusqu'à Conflans-Sainte-Honorine. « L'expérience a démontré que c'était sinon facile au moins possible moyennant des aménagements sur les barges et les quais de déchargement », commente Romain Mani.
En ligne de mire notamment, Paris 2024 et ses objectifs carbone ambitieux. On sait déjà qu'à lui seul, le village olympique nécessitera l'apport plus de 20.000 m3 de bois d'oeuvre. De là à ce qu'il flotte...
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