Si rien ne vient entraver le processus, ce ne sont donc pas 80 mais au moins 160 éoliennes* qui émergeront des flots à un peu plus de trente kilomètres au large du port de Barfleur dans la Manche. Par la voix du premier ministre, le gouvernement a, en effet, annoncé vouloir saisir la CNDP (Commission nationale du débat public) d'un second projet éolien à l'intérieur de la l'immense zone maritime d'un demi-millier de km2 qui avait été retenue pour l'implantation d'un premier parc à l'issue d'un débat public en 2020.
Sur le plan stratégique, le choix est loin d'être anodin. En optant pour cette solution, la France semble vouloir adopter la même approche planificatrice que ses voisins du Nord de l'Europe, au détriment de la logique parc par parc qui prévalait jusqu'ici. « Les Belges, les Néerlandais et les Allemands identifient en amont de grandes zones qui sont ensuite découpées en trois, quatre voire cinq lots » rappelle Anne Georgelin, responsable de l'éolien au sein du Syndicat des Energies Renouvelables (SER).
Consensus politique
Plusieurs autres raisons expliquent le choix d'implanter le neuvième parc français « posé » à portée de vue du huitième. D'abord le relatif « consensus politique » dont bénéficie le site de Barfleur, comme l'a souligné Jean Castex à Saint-Nazaire. On se souvient qu'une vingtaine de grands élus normands, en tête desquels l'ancien premier ministre Edouard Philippe et le président de Région Hervé Morin, avaient plaidé pour la réalisation d'un second parc quelques mois auparavant au nom de ses effets roboratifs sur l'emploi et l'industrie régionale.
L'Etat a, en outre, déjà procédé sur place à une batterie d'études techniques et environnementales (mesures de vent, sondage des sols....) qui ont établi que la zone était, sinon idéale, au moins propice à l'accueil d'éoliennes. Mais c'est aussi la promesse d'une baisse des coûts du raccordement électrique à la terre qui a conduit Matignon à privilégier l'option « deux en un ». Pas exactement un point de détail quand on sait que celui-ci peut représenter jusqu'à 30% du coût global d'un parc offshore, à plus forte raison lorsqu'il est éloigné des côtes comme celui qui nous occupe.
Un raccordement optimisé
S'il se confirme, ce montage devrait, en effet, permettre de mutualiser une partie des installations à commencer par la très coûteuse plateforme offshore. Laquelle pourrait être partagée.
« Sur le plan technico-économique, il y a un vrai intérêt en raison des nombreuses solutions d'optimisation du raccordement et des effets de répétitivité, détaille Régis Boigegrain, directeur exécutif en charge des affaires maritimes au sein de RTE. C'est aussi vrai sur le plan environnemental. En diminuant le nombre de câbles, on diminuera mécaniquement leur emprise et donc leur impact ».
Régis Boigegrain souligne également l'intérêt d'une décision du gouvernement de lancer les deux appels d'offres à une échéance rapprochée. « Cela va nous permettre d'étudier des solutions mutualisées pour les deux parcs avec des anticipations d'investissement ce qui n'aurait pas été envisageable si le délai avait été plus long ». A la clef, une diminution non négligeable de la facture finale. RTE estime ainsi que le coût du raccordement pourrait se situer « autour de 24 euros le MWh » contre « 27 à 28 » dans l'hypothèse d'un seul parc. Un argument qui pèse.
Reste à savoir quand interviendra l'appel d'offres... s'il est lancé. A ce stade, la date demeure incertaine. Encore dans l'attente de la saisine promise par le premier ministre, la CNDP dira, au plus tôt début octobre, si elle opte pour un nouveau débat public ou pour une simple concertation avec garant : une procédure plus légère. La balle sera ensuite dans le camp du gouvernement que la proximité des élections présidentielles pourrait conduire à se hâter lentement.
Malgré le « consensus politique » vanté par Jean Castex, le sujet reste inflammable chez les pêcheurs que les aléas du Brexit rendent d'autant plus sourcilleux. Vent debout, leur comité régional dénonce « la précipitation des projets » et « le tapis rouge » déroulé aux énergies marines dans les poissonneuses eaux territoriales de la Manche, qu'elles soient françaises ou britanniques.
*leur nombre sera fonction de leur puissance
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