Fessenheim cherche encore la voie de l’après-atome

Huit ans après l’annonce de l’arrêt de la centrale, l’échéance est arrivée. Mais la commune alsacienne et celles des environs redoutent un saut économique dans l’inconnu.
(Crédits : Vincent Kessler)

Une semaine avant l'arrêt définitif du premier réacteur de la centrale nucléaire de Fessenheim, le maire de la commune, Claude Brender, lance un cri d'alarme. « Nous avons une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes », tente d'expliquer l'élu de ce bourg de 2 400 habitants, dont la centrale est le poumon économique depuis plus de quatre décennies. « La centrale va fermer, mais rien n'est prêt pour relancer l'économie locale », déplore le maire. Fessenheim pourrait perdre un quart de sa population. La commune voit surtout partir l'essentiel de ses recettes fiscales. Finies les belles années pendant lesquelles ce village au bord du Rhin pouvait s'offrir une piscine publique (déjà fermée), une médiathèque, des voiries flambant neuves...

Les finances communales, qui dépendaient à 75% des recettes de la centrale, vont être durement impactées. Fessenheim craint même de se retrouver l'année prochaine avec « un budget négatif », selon Claude Brender. Depuis 2010, avec la réforme de la taxe professionnelle, la commune reverse chaque année 2,9 millions d'euros aux autres collectivités dans le cadre du Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR). « Nous allons continuer de payer la même somme lorsque les recettes fiscales de la centrale auront disparu. L'État nous explique que l'assiette du FNGIR ne sera pas révisée. C'est complètement aberrant », tonne Claude Brender. Raphaël Schellenberger, député (LR) de cette quatrième circonscription du HautRhin, confirme: « J'ai alerté Bercy de cette situation incroyable. La première réaction du ministère a consisté à répondre que c'était un détail à l'échelle du budget de la nation. En insistant, j'ai obtenu de Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires, son engagement à corriger la situation pour le projet de loi de finances de 2021. »

L'enthousiasme initial a fait long feu

Au-delà de cette bataille de finances publiques à résoudre, le territoire de Fessenheim redoute un saut dans l'inconnu. En février 2019, l'État a proposé aux partenaires locaux de s'engager dans un projet de territoire, en promettant 10 millions d'euros en amorçage et 20 millions d'euros supplémentaires pour accompagner des projets de développement déjà matures. Mais aucun projet n'a démarré. « Notre contrat de territoire comprend quatre piliers: la revitalisation économique, les mobilités, la transition énergétique et l'innovation », résume Gérard Hug, président (Divers droite) de la communauté de communes Pays Rhin-Brisach, qui englobe Fessenheim et 28 communes voisines. Le département du Haut-Rhin a proposé de créer un pôle d'excellence dans le photovoltaïque. L'État a lancé un appel d'offres avec 12 projets sélectionnés (62,8 mégawatts), attribués en septembre 2019 à des acteurs économiques locaux.

Une zone d'activité industrielle, appelée ÉcoRhéna, est en projet à proximité de la centrale nucléaire, dans le prolongement de l'actuel port fluvial de Colmar Neuf-Brisach. Une société d'économie mixte (SEM) franco-allemande, en cours de création, doit en assurer la promotion. « Les surfaces prévues pour cette zone ont été descendues de 200 hectares à 80 hectares parce qu'on y a découvert un biotope à préserver, s'énerve Raphaël Schellenberger. La protection de l'environnement devient un frein à notre redéploiement économique. Le caractère franco-allemand de cette SEM est sans importance. Il risque de complexifier la gouvernance. Dans notre situation d'urgence, on ne devrait pas tenter de se doter d'outils aussi complexes ».

L'enthousiasme initial de la classe politique locale, qui rêvait d'offrir à cette zone un statut fiscal particulier pour attirer des implantations étrangères, a fait long feu. La vision consistant à installer à côté de Fessenheim l'usine géante européenne de Tesla, soutenue jusqu'à l'été 2019 par les promoteurs de l'économie régionale, s'est évanouie. « Le territoire n'était pas prêt, le foncier indisponible, les politiques guère combatifs », résume Raphaël Schellenberger. Le constructeur américain s'est installé à côté de Berlin.

Une usine pour retraiter les déchets métalliques

En attendant, chez EDF, la production continue. Pour financer l'arrêt des réacteurs, le démantèlement et la mobilité de ses salariés, l'exploitant recevra 400 millions d'euros de dédommagement de l'État jusqu'en 2024, assortis d'une compensation du manque à gagner jusqu'en 2041. Les deux réacteurs de la plus vieille centrale nucléaire de France produiront chacun 900  mégawatts jusqu'au 22 février, date annoncée de l'arrêt définitif du réacteur 1. Le réacteur 2 s'arrêtera, lui, le 30 juin. Ensuite, les modalités du démantèlement ne sont pas ajustées. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a rejeté, le 3 février, un premier scénario présenté par l'exploitant. Mais les grandes lignes sont écrites. Le combustible quittera progressivement le site jusqu'en 2023 pour être retraité à La Hague, dans la Manche.

Les effectifs permanents à Fessenheim (645 employés EDF et 300 prestataires au 31 décembre 2019) vont baisser dès cette année avec 170 salariés sur le départ. La direction a fixé le nombre incompressible de 294 salariés d'astreinte sur le site de la centrale tant que le combustible sera présent. EDF cherche des solutions pour maintenir des activités dans le Haut-Rhin. Un projet de technocentre, qui traiterait à l'échelle européenne les déchets métalliques issus de la déconstruction des centrales nucléaires, pourrait employer 150 salariés. Il se heurte déjà à une fin de non-recevoir des énergéticiens allemands. « L'attente du technocentre nous met en colère. On ne voit rien venir », se désespère Anne Laszlo, déléguée syndicale CFE-CGC Énergies.

« La centrale génère 1 000 emplois indirects sur le territoire. Que vont devenir nos commerçants, nos restaurateurs ?  » s'interroge Claude Brender. Des craintes pèsent déjà sur le marché local de l'immobilier: la valeur pourrait s'effondrer en cas de décalage entre l'offre et la demande. « Je refuse de m'inscrire dans cette décroissance. Je projette ma commune vers un objectif de 3 000 habitants en 2030 », promet Claude Brender. Le patrimoine EDF (120 logements) sera particulièrement surveillé avec la crainte de voir apparaître des cités fantômes. La cité Koechlin, une quinzaine d'immeubles de quatre appartements, reviendra en pleine propriété à la commune. Pour rester attractive, Fessenheim prévoit aussi la construction d'un pôle médical, de locaux associatifs et... d'une piste de quilles. De l'énergie à revendre !

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Commentaires 8
à écrit le 20/02/2020 à 21:14
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Cette situation est incompréhensible. Les écologistes ont pourtant promis que la transition énergétique allait créer des milliers d'emplois "verts" qualifiés, stables et bien payés, et que tous ceux qui perdraient leur emploi dans le secteur du nu...

à écrit le 20/02/2020 à 18:14
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Je ne vois qu'une solution: revenir sur cette décision stupide de fermer la centrale!

à écrit le 20/02/2020 à 15:39
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Ces vieilles centrales, mieux vaut les fermer, tant pis pour les succulentes rentrées d'argent, les gens d'EDF (ou ses sous-traitants) commencent à devenir négligeants. Cette semaine plainte d'un collectif anti-nucléaires ligériens, il y a eu un re...

le 25/02/2020 à 17:00
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Les rejets des centrales étant suivis tout au long de l'année, tout comme la qualité de l'eau consommée, l'explication la plus probable de cet unique résultat anormal est l'erreur humaine, ou, en deuxième position, une mystérieuse source de tritium i...

à écrit le 20/02/2020 à 12:16
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C'est pourtant simple, il n'y en a pas, mais le problème c'est de l'avouer aux crétins qui l'ont cru. Alors un gros coup de com bien vide devra faire passer la pilule.

à écrit le 20/02/2020 à 12:14
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Qui voudrait s'installer à côté d'une centrale nucléaire en cours de démantèlement pour une dizaine d'années, performance technologique première en France. L'arrêt de la centrale entretenue à minima est-il seulement acquis à une semaine près? Cette q...

le 20/02/2020 à 15:41
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Brennilis ,la première et dernière centrale bretonne est toujours en démontage, c'est longtemps avant Fesshenheim.

à écrit le 20/02/2020 à 9:04
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Il me semble que pour démanteler une centrale nucléaire, ce qui n'est pas encore arrivé puisque celles arrêtées continuent de tourner au ralenti il faut du temps et de la main d’œuvre non ? Puis ce ne serait pas du luxe d'acquérir un savoir faire...

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