
Vases communicants ? À quelques jours d'intervalle, deux chiffres sont venus frapper les esprits de tous ceux qu'intéresse la question de l'évolution des mobilités en Île-de-France, sujet de polémiques et d'énervement tant des automobilistes que des usagers des transports en commun. D'un côté, la fréquentation des transports publics parisiens a augmenté de 5 % entre 2013 et 2018, selon une enquête du Parisien basée sur les données de la RATP... Soit un trafic supplémentaire de 220.000 passagers par jour ! Deux jours plus tard, Île-de-France Mobilités publiait son « Enquête Globale Transport » et nous apprenait qu'entre 2010 et 2018 les déplacements en voiture avaient diminué de 4,7 % en Île-de-France.
Faut-il voir dans ces deux chiffres un rapport de causalité ? La baisse du trafic automobile signifie-t-elle une mobilité plus qualitative, ou traduit-elle simplement une mobilité motorisée plus contraignante ? Il se pourrait que la deuxième réponse soit la plus plausible, puisque d'après les chiffres publiés par Le Parisien, la hausse de la fréquentation du métro reflète une très forte saturation de celui-ci. Jusqu'à quatre passagers par mètre carré, et des métros bondés jusqu'à 120 % de leurs capacités. Ainsi, la politique de réduction du trafic automobile menée de façon volontariste par la mairie de Paris s'est en partie traduite par une saturation des transports publics. Si ce constat se confirme, cela laisse entendre que les transports publics parisiens ne sont plus en capacité d'absorber de nouvelles initiatives de baisse du trafic. En tout cas, tant que de nouveaux investissements ne permettront pas d'offrir plus de solutions alternatives à la voiture.
Une équation compliquée
La politique « anti-voiture » de la Ville de Paris a-t-elle atteint ses limites ? Ce n'est certes pas le point de vue de la maire Anne Hidalgo qui veut prendre pour modèle Copenhague et accélérer le développement du vélo et des autres « mobilités douces ».
Les derniers aménagements boulevard de Sébastopol, mais également rue de Rivoli, quai de la Tournelle près de Saint-Michel, ou sur les places de la Nation et de la Bastille ont ainsi vu apparaître des pistes cyclables bidirectionnelles. Mais à chaque fois, les deux voies de circulation automobiles ont été préservées.
Jusqu'ici, la Ville de Paris avait tendance à réduire la circulation automobile à une seule voie comme dans une partie de la rue de Rivoli, quand celle-ci n'était pas tout simplement supprimée (voies sur berges). De là à parler d'un changement de doctrine de l'équipe d'Anne Hidalgo qui serait prête à une « cohabitation » entre voitures et mobilités douces, c'est un pas qu'il n'est pas encore possible de franchir si l'on en croit les nouveaux projets de la mairie concernant le réaménagement des voies sur les périphériques parisiens. D'autant que la maire peut être confortée dans ses choix au vu de résultats significatifs en matière de baisse de la pollution. D'après l'indice Citeair, l'agglomération parisienne est passée de 46 jours de pollution très élevée en 2011, à seulement 13 jours en 2018.
Ce qui est certain, c'est que le débat, déjà crispé, est monté de plusieurs crans avec la crise des « gilets jaunes ». Pour rappel, ce mouvement, né après la hausse des prix sur le carburant, a mis en évidence une France « périphérique » très vulnérable car très dépendante de la voiture.
Pour Mathieu Flonneau, maître de conférences à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste de la mobilité, « on est passé du tabou routier à une vision plus réaliste, portée in fine par la loi d'orientation des mobilités, la LOM, notamment dans notre perception des mobilités invisibles ou orphelines, celles des zones périurbaines ». Selon lui, les autorités ont largement ignoré l'impact social de leur politique anti-voiture : « Dans ce contexte de dérégulation peu contrôlée ou gouvernée, les mobilités à Paris ne sont guère plus inclusives alors que c'est ce qui est prétendu par une communication très marketing. »
Guillaume Crunelle, spécialiste de l'automobile et associé chez Deloitte, constate également un changement d'humeur dans le rapport à la voiture :
« On va probablement passer par plusieurs stades de réflexion, du "tout voiture" au "pas de voiture", en passant par le moins de voiture, mais on finira certainement sur le "mieux voiture"... »
Au-delà du choc social des « gilets jaunes », le mandat qui s'achève aura été marqué par la prise de conscience que le thème de la mobilité n'est pas seulement une question parmi d'autres : elle est devenue prioritaire. C'est au prix d'une série de dysfonctionnements que la ville a pu réaliser l'ampleur du sujet : le crash, désormais réparé, de Vélib', la fin d'Autolib', l'irruption des trottinettes électriques... Ces cinq dernières années ont montré à quel point les Parisiens et les Franciliens en général étaient demandeurs de nouvelles solutions de mobilité. Et cela risque de continuer...
Relier ville et périphérie
L'agglomération parisienne est soumise à des changements démographiques très structurants : un inexorable exode du centre-ville vers la proche banlieue des familles et des classes moyennes du fait de la hausse des prix des logements. « Il y a une vraie problématique sous-jacente qui est surtout liée à l'évolution des prix de l'immobilier. Tant que ceux-ci conduiront les populations vers des mouvements pendulaires, c'est-à-dire à les repousser loin de leur lieu de travail, il y aura un impact sur les besoins de mobilités », souligne Guillaume Crunelle. Or, les prix de l'immobilier ne cessent d'augmenter. À Paris, ils ont franchi cette année le seuil de 10000 euros le mètre carré... en moyenne !
L'équation se complique donc, d'autant que construire de nouvelles infrastructures de transports réclame plusieurs années d'études et de mise en oeuvre. Le projet du Grand Paris Express doit permettre de casser l'aménagement en étoile qui a prévalu dans le schéma actuel des transports parisiens. Il est ainsi prévu des lignes de métro et de tramways qui relieront les banlieues entre elles, sans passer par la case Paris.
Mais Mathieu Flonneau s'interroge sur les coûts réels d'un tel chantier : « Le coût peut en effet apparaître sous certains angles disproportionné par rapport aux bénéfices notamment sociaux que l'on en retirera. » Guillaume Crunelle, de son côté, s'interroge également sur les contraintes budgétaires du projet : « Il faudrait envisager une optimisation de l'utilisation des actifs existants comme le métro, le tramway ou le réseau de bus, sans oublier que le parc de voitures en circulation est également un actif qui doit largement être optimisé. » Avec 35 milliards d'euros d'investissements, le gouvernement avait tenté de raboter le projet... Mais celui-ci a fini par être préservé sous la pression des élus.
Pour les spécialistes, tous les leviers de la mobilité n'ont pourtant pas été activés. C'est le fameux paradoxe du ratio d'occupation des automobiles en circulation. Avec une moyenne de 1,1 personne par voiture, une automobile occupe un espace disproportionné. Pour Christophe Najdovski, adjoint au maire de Paris chargé des transports, si cet indice atteint le ratio de 1,6 personne, alors il n'y aura plus de problèmes d'embouteillages... D'où l'idée de développer le covoiturage comme le proposent Klaxit ou Karos. Pour l'heure, ce système est encore complexe, mais il reçoit de plus en plus de subventions publiques afin d'encourager les automobilistes à « ramasser » des passagers sur leur trajet. « Le covoiturage coûte infiniment moins cher que mettre en place des infrastructures de transport », explique Julien Honnart, fondateur de Klaxit qui vient de racheter iDVroom, la filiale covoiturage de la SNCF.
La solution de la multimodalité
À la mairie de Paris, on veut croire que l'avenir de la mobilité sera fondé sur la multimodalité. Celle qui permet d'accomplir un trajet en utilisant plusieurs modes de transport : un vélo jusqu'à une station de métro, puis un bus, etc. Mais il est impératif de changer de gouvernance si l'on ne veut pas retomber dans l'anarchie. Pour incroyable que cela puisse paraître, pas moins de 12 opérateurs de trottinettes électriques en libre-service ont lancé leur activité à Paris sur simple déclaration. Ils n'étaient soumis à aucune règle d'autorisation d'occupation de l'espace public. Ainsi, l'enjeu pour la collectivité est d'acquérir la capacité réglementaire de réguler un écosystème de mobilités. C'est ce que devrait permettre la loi d'orientation des mobilités en conférant de nouvelles prérogatives aux collectivités locales, notamment en matière de régulation des nouvelles solutions de mobilité.
Pas question pour autant de revenir vers le modèle d'une délégation de service public qui était celui d'Autolib'. Les collectivités se contenteront de jouer les chefs d'orchestre entre divers opérateurs privés. Elles feront de l'open data (contrôle des données) un levier phare de leur stratégie de régulation, notamment à travers des solutions d'agrégation de mobilité. L'objectif serait alors de consacrer la multimodalité comme la solution la plus efficace pour un parcours qui utilisera plusieurs supports de mobilités sans jamais changer d'appli.
« Il faut penser écosystème et multimodalité, et c'est là que la puissance publique a un rôle de régulation important », confirme Guillaume Crunelle.
« Ni la trottinette électrique ni tout autre nouveau mode de transport ne résoudra tous les sujets de mobilité du quotidien, pas plus que la voiture n'est une alternative au transport public ou inversement », ajoute-t-il. En d'autres termes, la voiture continuera de faire partie du paysage des mobilités de demain, car elle restera nécessaire.
___
La mobilité à Paris en chiffres :
+ 217 000 passagers par jour dans le métro en cinq ans
37 % des Parisiens sont propriétaires d'une voiture, contre 50 % des Franciliens
- 5 % La baisse du nombre de trajets en voiture en huit ans
+ 9 % La hausse des déplacements à pied
+ 30 % L'augmentation des parcours à vélo
[Source : données RATP compilées par Le Parisien - Île-de-France mobilités]
Sujets les + commentés