Le Transition Forum de Nice, un Davos écologique

VIDEO. Le quatrième Transition Forum a eu lieu à Nice les 30 septembre et 1er octobre. Des maires, dont Anne Hidalgo et Christian Estrosi, des scientifiques, des acteurs économiques publics et privés se sont penchés sur les solutions pour assurer une transition écologique efficace. Bruno Le Maire et Clément Beaune sont venus expliquer l'action du gouvernement pour favoriser cette transition. Un événement qui s'est clôturé par la signature des Accords de Nice pour le Climat. Retrouvez ci-dessous la synthèse des débats et le replay video des deux journées de l'événement.
(Crédits : DR)

Nice deviendra-t-elle le Davos méditerranéen de l'écologie ? C'est en tout cas le souhait de Christian Estrosi, maire de Nice, président de la Métropole Nice Côte d'Azur et président délégué de la Région Sud. Et ce ne sont pas les quelques manifestants criant au greenwashing devant le Palais de la Méditerranée, où avait lieu le Transition Forum, qui vont l'en empêcher. « Venez plutôt signer les Accords de Nice, prenez-y part. Vous serez ainsi des vigies et vous aurez le droit de nous sanctionner si nous ne tenons pas notre engagement de baisser de 50% nos émissions de carbone d'ici 2030 et la neutralité carbone en 2050 » a-t-il déclaré à l'intention des contestataires.

L'ancien ministre de l'Industrie sous Nicolas Sarkozy ne le cache pas : il est devenu un « écologiste de la deuxième heure » (comme d'ailleurs le Ministre de l'Economie Bruno Le Maire invité du forum). Pragmatique, il est favorable à une écologie « positive plutôt que punitive ». Un point de désaccord avec sa collègue la maire de Paris Anne Hidalgo. Intervenant en visioconférence, celle-ci n'a pas vraiment apprécié cette distinction : « opposer une écologie positive à une autre soi-disant punitive ne fera pas avancer la cause qui devrait nous réunir ». Le maire de Nice a enfoncé le clou en se prononçant pour une écologie de croissance et non de décroissance. Tout en rappelant sa volonté d'agir pour le climat : « iI y a encore peu de temps, nous, responsables politiques, nous avions cette faiblesse de suivre l'opinion publique. Mais ne pas prendre le risque de l'impopularité aujourd'hui, c'est risquer de se faire éjecter dans quelques années ». Comme preuve de cette volonté d'ignorer les critiques, le maire de Nice cite la ligne de tramway, dont une partie est souterraine, qui part de l'aéroport et arrive au port, un projet d'un milliard d'euros (réalisé avec l'aide de Bpifrance et de la CDC) amorti en 25 ans : « dix ans de chantier dans une ville, c'est de l'impopularité assurée ». Autre choix décrié : la taxe carbone de 60 euros pour chaque véhicule embarquant sur un ferry vers la Corse : « je ne veux plus de 2 tonnes d'émission de CO2 par escale ! ».

Il faut doubler la baisse des émissions

Quelle que soit la définition de l'écologie que l'on choisit, la décennie qui a commencé doit être celle de l'action. Hervé Le Treut, climatologue et directeur de recherche au CNRS, a remis les pendules à l'heure. Pour lui, ce qui est en train de se produire subit une évolution « extraordinairement rapide et continue ». Et les rejets nocifs dans l'atmosphère se cumulent : « les gaz à effet de serre (GES) d'aujourd'hui sont le climat de demain. Nous devons prendre des mesures maintenant ». La climatologue franco-canadienne Corinne Le Querré, présidente du Haut Conseil pour le Climat, a été chargée d'évaluer la stratégie du gouvernement : « en termes d'atténuation, nous sommes en bonne position. Mais on ne va pas assez vite : on devrait pratiquement doubler la baisse des émissions ». Néanmoins, elle note des progrès dans certains secteurs économiques. Par exemple dans la rénovation énergétique des bâtiments, qui a bénéficié des fonds du Plan de Relance. En revanche, le transport routier n'est pas un bon élève, même si la vente de véhicules électriques a fait un bond en 2019, passant de 3 à 10 % du parc neuf : « on achète encore 9 voitures thermiques sur 10. Nous ne sommes pas à la bonne échelle ». Au niveau géographique, cette échelle pourrait être celle du territoire selon Hervé Le Treut : « nous devons protéger nos territoires. Rien n'oppose cette protection avec le fait de participer à la réduction des émissions de GES.

Au contraire ». Depuis les confinements, les villes moyennes sont devenues attractives aux yeux des habitants des métropoles. Pour Caroline Cayeux, maire de Beauvais et présidente de la Fédération des Villes de France, « en tant qu'acteurs de proximité, nous sommes en première ligne pour agir ». Des villes moyennes plus agiles que les grandes pour avancer plus vite vers le zéro carbone. Beauvais économise 4 millions de kWh par an, soit 400 000 euros, depuis six ans grâce aux contrats de performance énergétique de l'éclairage public. Caroline Cayeux rappelle que 15 % des émissions de GES découlent des décisions des collectivités locales, 50 % en intégrant les émissions indirectes : « nous devons être plus vertueux et protéger nos populations ».

L'électricité, énergie d'un futur décarboné

L'électricité est l'énergie d'un futur décarboné puisque l'industrie automobile est en train de se convertir à cette propulsion (15 millions de véhicules électriques ou hybrides prévus en 2035 contre 700 000 aujourd'hui). La France est bien placée sur ce créneau avec une production d'électricité composée à 70 % de nucléaire et 21 % de renouvelables, et donc seulement 9 % d'énergie fossile, principalement importée. Le réseau de transport de cette électricité est au cœur de la décarbonation. Marianne Laigneau, présidente du directoire d'Enedis, rappelle que 90 % des capacités de production d'énergies renouvelables sont connectées au réseau : « nous voulons doubler ce nombre de connexions, à travers un plan d'investissement de 61 milliards d'euros d'ici 2035 ». Les 33,6 millions de compteurs Linky, eux, permettent d'économiser des déplacements de techniciens. Le ferroviaire est un autre levier pour faire baisser les GES. « Le transport est responsable de 30 % des émissions.

Le ferroviaire, c'est 1 %, pour 10 % des parts de marché » rappelle Mikaël Lemarchand, directeur de l'engagement social, territorial et environnemental de la SNCF. Si on ne bascule pas une partie des trajets effectués par la route ou l'aérien, ce qu'on appelle le report modal, nous ne pourrons pas respecter l'Accord de Paris. Un fret ferroviaire multiplié par deux d'ici 2030 et un doublement de la part du train dans le transport de voyageurs sont deux axes forts de cette stratégie. « Un milliard investi dans le fret aujourd'hui permet d'éviter 2 milliards de coût pour la collectivité dans les 30 prochaines années » illustre Mikaël Lemarchand. Antoine Frérot, PDG de Veolia, « est persuadé que nous ne parviendrons pas à diminuer suffisamment les émissions pour atteindre +1,5 °. Il va falloir capturer ce carbone résiduel ». Cette opération coûte cher, et on ne sait pas trop quoi faire de ce carbone. « Pourquoi ne pas l'injecter dans les terres épuisées par l'agriculture intensive ? » propose le PDG de Veolia.

La finance verte pourrait être un levier d'accélération de la transition écologique, bien que plusieurs ONG pointent des discours vertueux mais qui ne sont pas vraiment suivis d'effet. Allianz est un de ces acteurs financiers qui élargit son portefeuille d'actifs durables. Le leader de l'assurance gère pas moins de 1961 milliards d'actifs (en 2018). « Depuis 2015, nous n'investissons plus dans une société dont le business model est basé sur le charbon. En 2026, les industriels ne devront plus avoir plus de 15 % d'énergies fossiles dans leur mix énergétique » explique Jacques Richier, président d'Allianz France.

Réindustrialiser la France grâce à la transition

Le portefeuille de gestions d'actifs de la compagnie d'assurance atteindra la neutralité carbone entre 2040 et 2050. La BEI (Banque Européenne d'Investissement), elle, veut devenir la banque du climat. « Nous avons des objectifs quantitatifs et qualitatifs. Nous allons passer la part de nos investissements en faveur du climat de 25 à 50 %. Et à partir de maintenant, tous les projets doivent être alignés sur l'Accord de Paris. Nous allons arrêter de financer des projets gaziers. Demain, nous ne financerons pas de nouveaux aéroports » explique Ambroise Fayolle, vice-président de la BEI. La banque européenne, qui mobilise 60 milliards d'euros par an, compte mobiliser 1 000 milliards d'euros durant cette décennie grâce à un effet de levier.

Dans le domaine des transports, l'hydrogène apparaît comme le carburant décarboné du futur. « Pour faire rouler un bus électrique de 20 tonnes, il faut beaucoup d'énergie et donc beaucoup de batteries, 15 fois l'équivalent de celle de la Zoe. L'autre solution est de faire de l'électricité tout au long de la journée. En stockant une trentaine de kilos d'hydrogène dans le bus que l'on fait passer par une pile à combustible, on produit des électrons et de la vapeur d'eau, soit du courant électrique à zéro émission qui propulse le véhicule » décrit Vincent Lemaire, président de SAFRA, société d'Albi qui construit des bus électriques et à hydrogène. Problème : 95 % de la production d'hydrogène se fait encore à partir d'hydrocarbures (pétrole, gaz naturel et charbon). La solution est l'électrolyse, mais cette méthode est 2 à 3 fois plus chère.

La transition écologique peut être le déclic pour procéder à la réindustrialisation de la France, qui a perdu 40 % de ses entreprises industrielles ces vingt dernières années. Et donc créer une filière hydrogène efficace, grâce en particulier aux 7 Md€ destinés au soutien de cette filière au niveau national d'ici 2030. « C'est une opportunité formidable. À condition de préparer la formation, et que les fonds d'investissements se tournent vers nos start-ups. La France a des parts de marché considérables à gagner avec la transition écologique » estime Christian Estrosi, qui a été ministre de l'Industrie en 2009.

La transition, un moment darwinien

Arnaud Leroy président de l'ADEME, est d'accord avec ce constat : « pour la filière hydrogène, il va falloir former des ingénieurs. La France a abandonné sa filière solaire, c'est une erreur. Nous allons devoir maîtriser ces technologies. Mais sur l'éolien offshore flottant, par exemple, la France est en avance ». L'Europe est une dimension incontournable quand on évoque l'écologie, avec le fameux Green Deal (600 milliards d'euros sur 7 ans) ou le plan « Fit for 55 ». Pour Sandro Gozi, député européen, nous vivons un moment darwinien : « nous sortons de la crise sanitaire, nous affrontons une crise climatique et une révolution numérique. Darwin a montré que ce n'est pas le plus fort qui gagne mais celui qui montre les meilleures capacités d'adaptation ». Pour lui, la France dispose de grandes opportunités, mais doit être accompagnée. D'ailleurs, elle est la quatrième bénéficiaire du Plan de Relance européen. Le Fonds pour une transition juste (50 milliards d'euros sur 7 ans) est un outil dont dispose l'Union pour soutenir les régions dans leur transition vers la neutralité climatique d'ici à 2050.

Cette notion est aussi revendiquée par les syndicats, comme Philippe Portier, secrétaire national en charge du développement durable de la CFDT : « nous avons proposé avec 65 organisations (syndicats, ONG) un pacte du pouvoir de vivre, pour une transition écologique juste, c'est-à-dire une redistribution financière pour les plus précaires ». Pour Clément Beaune, Secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, « même si c'est compliqué à entendre quand on a des problèmes de factures et de fin de mois, l'augmentation des prix de l'énergie valide l'obligation d'accélérer cette transition, car c'est une crise de notre dépendance aux énergies fossiles ». Paradoxal, pour un pays qui produit 91 % de son énergie via le nucléaire et les énergies renouvelables. Pour le secrétaire d'Etat, ce décalage est dû à certaines règles de fonctionnement du marché européen (les prix de l'électricité sont indexés sur celui du gaz) même si nos factures restent plus faibles que chez nos voisins.

Inventer un anti dumping climatique

En réponse à l'alerte du député européen Pascal Canfin sur une possible résurgence du phénomène des Gilets Jaunes puissance dix à cause des hausses répétées du prix du gaz et de l'électricité,

(voir https://www.latribune.fr/entreprises-finance/transitions-ecologiques/pascal-canfin-dans-un-monde-a-2-3-4-degres-supplementaires-les-gilets-jaunes-ca-sera-puissance-dix-893470.html)

Clément Beaune veut mettre en place « un mécanisme interne d'accompagnement social pour éviter des Gilets Jaunes à la sauce climat ».


On ne peut pas demander à nos industries de verdir leur processus de production sans que ceux qui vendent sur notre marché ne respectent pas les mêmes exigences. Il faut inventer un anti dumping climatique ». Le nucléaire fera-t-il partie de la taxonomie (classification des activités économiques vertueuses vis-à-vis d'enjeux climatiques et environnementaux identifiés) que va mettre en place l'UE ? Oui selon Clément Beaune : « la taxonomie est une bonne chose. Nous demandons que le nucléaire y figure et je pense qu'on l'obtiendra ».

Les constructeurs automobiles sont inquiets de cette marche forcée vers le zéro carbone imposée par le Green Deal européen. Pour Luc Chatel (un autre ex ministre de l'Industrie), président de la Plateforme Automobile (PFA), qui représente la filière, « la pente est raide. En 2018, il y a eu un accord européen pour réduire de 37,5 % les émissions de CO2 entre 2020 et 2030. L'encre à peine sèche, un nouvel accord est sur la table avec cette fois moins 55 %. Cela bouleverse complètement le mix énergétique des voitures vendues dans dix ans. C'est ce qui a poussé les constructeurs à annoncer l'abandon du moteur thermique. Cette accélération est difficile pour les sous-traitants et le marché, qui a chuté de - 20 % car les consommateurs reportent leur achat. Ils ne savent pas quoi acheter ». Un point positif, c'est l'opportunité de localiser à un même endroit les industries de l'automobile du futur (cellules, batteries, assemblage des VE). À condition de pouvoir recruter : « j'ai 500 postes vacants. Je recherche des métiers techniques. La transition énergétique est porteuse de sens chez les jeunes, mais il y a encore un sujet d'attractivité des métiers industriels en France » alerte Sylvie Jehanno, PDG de Dalkia (filiale d'EDF). Les jeunes sont en pointe dans la lutte contre le dérèglement climatique, comme l'a rappelé Frédéric Dabi, directeur général de l'institut Ifop dans son dernier ouvrage « la Fracture » (les Arènes) : « à six mois de l'élection présidentielle, ces jeunes plutôt dépolitisés sont en revanche très engagés (72 %) pour le climat. Ce qui pourrait augurer une bonne surprise en avril prochain ».

Le maire de Nice a clôturé la manifestation en signant les Accords de Nice pour le Climat ainsi qu'un partenariat avec le Global Compact des Nations Unies et ses 17 objectifs de développement durable. « Aucune COP n'a réussi à faire baisser les émissions et à enrayer la trajectoire de réchauffement. On voit bien que c'est de nos territoires que les choses peuvent partir » a déclaré Christian Estrosi, qui promet d'organiser les prochains Transition Forum à Nice. Le mot de la fin à Lionel Le Maux, président du Transition Forum : « le prix de la tonne de crédit carbone est passé de 20 à 60 euros. C'est un signal positif : le coût de ne pas faire est toujours supérieur au coût de faire. Cette augmentation donne un prix au coût de l'inaction. Il va falloir muscler notre jeu car les enjeux devant nous sont colossaux ».

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Commentaire 1
à écrit le 06/10/2021 à 9:25
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Toute cette bien-pensance et cette hypocrisie se retrouvera balayée, lorsque le prix du baril de pétrole atteindra les 100 $. Ce jour là, on verra si ces gens "vertueux" tordront toujours le nez sur les hydrocarbures

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