Pour Ariane Kirtley, l'eau c'est sa vie

Fondatrice de l’ONG « Amman Imman – Water is Life », Ariane Kirtley s’engage depuis presque 20 ans pour donner accès à l’eau potable aux populations nomades du Niger. Un combat de longue haleine, une vie tout entière à se battre pour les autres. Portrait. (Cet article est issu de T La Revue n°10 - "Pourquoi faut-il sauver l'eau ?", actuellement en kiosque).
Valérie Abrial
(Crédits : Amman Imman)

Ne vous fiez pas aux apparences... Derrière son allure gracile et aérienne se cache une force (in)tranquille et obstinée. Ariane Kirtley fait partie de celles qui se battent pour les autres. Parce que c'est comme ça. Parce ce que ça ne pouvait pas être autrement. Parce que, quand on aime, on n'a pas le choix. Elle est ainsi, Ariane. Entière, sincère, amoureuse de l'Afrique et de celles et ceux qui y habitent. Ses amis auprès de qui elle a grandi, son frère et ses parents photoreporters pour National Geographic. Une époque heureuse durant laquelle sa meilleure amie est... une gorille. Pas étonnant que, devenue jeune adulte, alors qu'elle est de retour en Europe, Ariane se destine à devenir primatologue avec le rêve de revenir en Afrique, le continent de son cœur.

Et lorsqu'elle y revient enfin, pour étudier les primates, elle y découvre une réalité bien peu réjouissante. Ses chers amis sont devenus braconniers, ils brûlent les forêts pour en chasser les animaux et les tuer. Parce qu'ils n'ont pas d'autre choix pour faire vivre leur famille. Voilà à quoi ils en sont réduits. Détruire le vivant de leur terre pour survivre.

Tout bascule pour Ariane. « Je ne pouvais pas rester sans rien faire. Cette situation était trop douloureuse. C'est à ce moment-là que j'ai décidé qu'il fallait que j'aide mes amis à vivre tout en respectant leur environnement. Alors que j'étudiais la primatologie à Yale, j'ai changé de voie pour étudier l'anthropologie médicale et la santé publique, puis je suis retournée au Niger pour travailler avec l'ONG Care International dans une zone nomade que je ne connaissais pas : l'Azawak. »

Et là, nouveau choc, lorsqu'Ariane découvre que les populations y meurent littéralement de soif. Pas parce que l'eau est non potable, comme la jeune femme l'a souvent vu dans d'autres régions. Non, dans cet endroit, il n'y a pas d'eau. « Les mamans venaient me voir en me disant : aidez-nous à avoir de l'eau, nos enfants meurent de soif. » De campement en campement, toujours la même complainte : « Aidez-nous à avoir de l'eau ».

« Nous sommes en 2005, j'ai 25 ans, je n'ai pas d'argent, je suis chercheuse, comment pouvais-je les aider ? C'était une situation absolument déchirante. » D'autant plus qu'Ariane découvre qu'un groupe de Touareg sédentarisé tentait vainement de creuser un puits depuis 8 ans. Sans jamais atteindre l'eau. Alors que cette zone a une particularité essentielle : elle est parcourue par un aquifère, c'est donc l'une des plus grandes sources d'eau souterraine. Et pourtant, on y meurt de soif.

L'eau, une quête sans fin et si chère

Chaque jour, alors que les petits garçons font paître le (très) peu de bêtes restantes, les petites filles partent très tôt le matin à la recherche d'un puits qu'elles ne sont pas sûres de trouver. Elles parcourent 15 à 20 km, « elles ont entre 8 et 15 ans, parfois 6 ans. C'est très stressant pour elles, car elles ne savent pas si elles vont trouver de l'eau à temps pour leurs petits frères et sœurs. Ces enfants ne vont pas à l'école, ils passent la journée à chercher de l'eau. Ils boivent à peine un verre d'eau par jour. Les familles se lavent uniquement à la saison des pluies, et comme souvent elles sont musulmanes, elles font leurs ablutions de prières avec le sable ».

Ariane décide de se battre pour ces familles. Mais la plupart des ONG refusent d'aller dans cette zone d'intervention réputée instable. Excepté Care avec laquelle la jeune anthropologue lance un programme de forage. Pour autant, les financements sont difficiles à trouver. « J'étais découragée, j'avais promis à mes amis que je les aiderai mais impossible sans argent. » Et puis, il y a parfois des petits miracles. Une amie de son père a vent de cette tragique situation. Elle vient de divorcer, elle a reçu un peu d'argent. Elle fait don de la totalité à Ariane qui dès lors décide de créer son ONG « Amman Imman - Water is life ».

Des écoles entendent parler de son histoire grâce à un article que lui consacre l'université de Yale ; elles veulent rencontrer Ariane qui aussitôt visite plusieurs lycées américains. Et lorsque l'un des premiers lycées lève 8 000 euros pour l'aider « cela fait boule de neige. Dans les premières années, nous pouvions récolter jusqu'à 50 000 euros ». C'est donc grâce à sa bienfaitrice et aux lycéens qu'Ariane a pu construire ses deux premiers forages en 2007 et en 2010. Depuis, et au total, six forages ont été installés.

« Un forage coûte entre 250 000 et 300 000 euros. Et cela reste compliqué de trouver des financements. Jusqu'à présent, les écoles et fondations familiales en France et aux États-Unis nous ont aidés. Encore récemment, le plus gros financement venait d'une fondation familiale, Vibrant Village, avec laquelle nous avons pu faire deux de nos forages. »

Il faut également rappeler que l'ONG d'Ariane, en plus de l'eau, développe d'autres projets d'aide comme les cliniques mobiles, des bourses pour les écoles, c'est le trio indispensable pour ramener la vie dans les villages : l'eau, la médecine et l'école. « Et pour nous, il est indispensable de rémunérer nos équipes sur place au Niger. Une fois qu'on a ramené l'eau, on aide les villages à se développer autour de ce point d'eau. C'est grâce à ce développement que nous pouvons les aider. »

Un combat de longue haleine

Depuis 4 ans, à cause d'une expérience malheureuse sur un projet lors duquel les porteurs n'ont pas tenu parole, Ariane ne se rémunère plus. « Debbie non plus, elle gère l'ONG aux États-Unis. En plus de cette triste histoire où l'aide attendue n'a pas été versée, Vibrant Village a retiré ses financements en raison de la montée de l'insécurité dans la zone et le risque de terrorisme. Beaucoup d'ONG sont hélas parties du Sahel. Depuis, je recherche moi-même les financements, car il n'est pas question que j'abandonne ces populations. Et le meilleur moyen de les soutenir est de continuer à faire du développement et de les aider à avoir des ressources. Si on se retire, c'est l'islamisme qui gagne. »

Comment rester optimiste ? Comment continuer à y croire plus que tout ? « Parce que, sur place, au Niger, notre équipe est très forte. Nous avons un chef d'équipe exceptionnel, il gère tous les projets et est infirmier. Et grâce à Internet et WhatsApp je peux continuer à suivre les projets tout en étant en France. »

Et les projets ne manquent pas ! Le plus ambitieux étant celui qu'Ariane porte depuis des années, celui de reverdir la zone grâce à la reforestation. « Évidemment, c'est directement inspiré de la grande muraille verte, le grand projet adopté par tous les pays du Sahel. Car c'est vrai, il faut des arbres pour avoir la pluie, c'est le cycle de la biodiversité et des écosystèmes : pas d'arbres, pas d'eau. Dans la zone dans laquelle je travaille, il est nécessaire d'adapter la reforestation et de voir les écosystèmes de façon holistique. À long terme, il faut restaurer les points d'eau, les forêts et les zones de pâturage. C'est cela l'avenir. C'est là qu'il faut investir. Creuser des forages, bien sûr c'est essentiel, mais il faut veiller à ne pas trop exploiter le sol. En rétablissant la biodiversité, en reforestant, on travaille sur le long terme, sur une solution pérenne. »

Poursuivre les forages pour avoir de l'eau potable et reforester pour développer les zones de pâturage grâce à la restauration des écosystèmes : voilà tout l'engagement d'Ariane aujourd'hui qui, depuis la France se bat pour trouver des financements. Avec Debbie, elles n'ont jamais baissé les bras et toutes deux vont bientôt lancer une campagne de crowdfunding pour aider les Wodaabe, un groupe de Peuls qui adhère au projet de restauration de la biodiversité.

Le combat pour l'eau ne cessera donc jamais ? « Plus qu'un combat, c'est ma vie. Ça a toujours été comme ça. À partir du moment où j'ai vu mes amis mourir de soif, je n'avais pas d'autre choix que de les aider. Je n'ai jamais pensé que ma vie serait autre. C'est une évidence, je ne pourrai pas vivre avec moi-même ». Une belle leçon d'humilité et de cœur.

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Article issu de T La Revue n°10 spécial "eau" actuellement en kiosque et disponible sur notre boutique en ligne

T La Revue n°10

Valérie Abrial

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