Mieux isoler les logements à la performance thermique vétuste pour réduire les pertes de chaleur et le chauffage excessif qui l'accompagnent : c'est tout l'enjeu en France de la lutte contre les « passoires thermiques », ces 4,8 millions de logements énergivores aujourd'hui classés F ou G au DPE, le diagnostic de performance énergétique. De facto, la rénovation de ces logements, qui seraient même au nombre de 8 millions selon certaines sources, est l'un des principaux leviers pour réduire la consommation d'énergie et atteindre la neutralité carbone en 2050. Un objectif qui se double d'une autre nécessité, devenue prioritaire en Europe depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie : renforcer notre indépendance énergétique.
Obligation légale inscrite dans la loi "Energie-Climat" de 2018 et renforcée par la loi "Climat & Résilience" de 2021, ce plan de rénovation doit permettre de réduire de 20% les émissions de CO2 du secteur du logement. Pour y parvenir, tous les habitats consommant plus de 450 kilowattheures par mètre carré (kWh/m²) devront être rénovés en France d'ici à 2034. Une aubaine pour les locataires qui verront leur facture de chauffage fondre comme neige au soleil. Mais un coup dur pour les propriétaires, obligés de financer les travaux de rénovation sous peine de voir leurs logements interdits à la location. Le calendrier est serré. A partir du 1er janvier 2023, les pires passoires thermiques ne pourront plus être louées ! Suivront ensuite tous les logements classés G, F et E respectivement à partir de 2025, 2028 et 2034. Cette rénovation à marche forcée inquiète d'autant plus les propriétaires qu'ils ne pourront compenser les coûts des travaux par une hausse des loyers. En effet, tout locataire concerné est en droit d'exiger des travaux de rénovation à son propriétaire, sans augmentation du loyer ! De quoi détourner les bailleurs de la location classique et pénaliser l'offre de logements. Aussi, dans ce contexte, une question se pose : faut-il repousser l'interdiction de location des passoires thermiques ?
"La Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM), l'Association des grandes entreprises de la gestion et de la transaction immobilière (Plurience) et l'Union des syndicats de l'immobilier (UNIS) souhaitent éclairer le débat sur les priorités à imposer à l'agenda. L'urgence est indéniable mais la stratégie doit être repensée. La loi "Climat & Résilience" interdit la location des logements G, F et E, reposant sur l'indécence. Elle impose un calendrier à dix ans. Votée en intégrant les logements E, sans en étudier l'impact, elle constitue une accélération brutale, non anticipée, insuffisamment accompagnée, de la rénovation. Elle sanctionne l'acte de location, mettant en danger l'offre de logements.
Le premier chantier du Ministère doit être de revoir le calendrier de la Loi Climat. Le nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) va révéler 7 à 8 millions de logements très énergivores. Sans ajustement du calendrier, de nombreux bailleurs vont se détourner de la location classique. La nouvelle stratégie doit reposer sur trois objectifs : éradiquer les logements très énergivores, rééchelonner le calendrier des rénovations des logements F et G soutenables, et lancer un vaste plan d'accompagnement.
Selon la révision de la Directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, les États-membres devront s'assurer que les bâtiments neufs, à partir de 2030, respectent le principe de zéro-émission. Concernant les bâtiments existants, les États devront mettre en place des standards minimums de performance : la classe F en 2030 et la classe E en 2033.
Alors que la loi Climat diffuse l'effort de rénovation, l'Union européenne propose une stratégie pour éradiquer tous les logements très énergivores, dans un calendrier plus réaliste. Le texte européen révisé propose que la rénovation énergétique s'impose aux bâtiments dotés d'un vaste plan de travaux, et induit une exigence de rénovation au moment d'une mutation. Cette méthode est adaptée à la copropriété où se situent 70% des locations.
La Loi Climat a créé le plan pluriannuel de copropriété (PPT), qui restructure le fonds de travaux de la copropriété. Il pourrait être prévu que l'adoption de ce plan entraîne la suspension de l'indécence énergétique pendant sa durée (10 ans). Ainsi serait suspendue l'interdiction de location, tout en garantissant les rénovations."
"Revoir ce calendrier serait, selon moi, une grave erreur. Cet échéancier de contraintes progressives a été voté lors de la loi "Climat & Résilience". Il est le résultat d'un équilibre entre les attentes des membres de la Convention citoyenne pour le climat et les capacités d'action des acteurs du secteur.
Le rythme de transformation dont nous parlons nous est imposé bien plus par le climat que par la loi. Il nous reste 30 ans pour amener l'ensemble du parc bâti français au niveau basse consommation (BBC) en moyenne avant 2050. Juste en construisant un rétroplanning, cela représente 1 million de logements qui doivent atteindre le niveau BBC chaque année pendant 30 ans !
Les députés, en mettant en œuvre ce calendrier progressif, savaient que celui-ci était moins-disant que la Convention ou que les recommandations des experts du climat. Mais nous savions aussi que des mesures plus radicales ne seraient ni acceptées, ni même techniquement soutenables. Nous ne disposons pas d'assez de professionnels qualifiés pour multiplier le nombre de rénovation par 2 ou 3. Donc nous avons validé une feuille de route claire, progressive, et qui impose des changements radicaux aux secteurs concernés malgré son apparente progressivité.
Plutôt que changer le calendrier, il faut s'attaquer aux autres freins à la rénovation. Parce que ce calendrier n'empêche personne d'aller plus vite, il faut partager, sans relâche, l'information dont nous disposons, avec bienveillance et pédagogie, partout, pour lever les freins intellectuels qui persistent.
Et dans un autre sens, il faut travailler à élaborer des solutions, à lever les freins financiers et techniques réels.
Parce qu'à compter de 2023, 90.000 logements très dégradés, dont 70.000 logements privés, ne pourront alors plus être mis à la location. D'ici à 2028, les passoires thermiques (logements classés en F et G, Ndlr) ne pourront plus être louées non plus. C'est une mesure juste pour ces locataires qui subissent de fait des charges énergétiques étouffantes, ou qui tombent malades dans ces logements mal isolés.
Néanmoins, en parallèle, la crise du logement est bien réelle. L'objectif n'est pas de faire retirer des logements du parc locatif mais d'améliorer la qualité de vie des locataires. Cet échéancier a été choisi pour permettre aux propriétaires de rénover leur logement avant de leur interdire de le louer, mais aussi pour permettre aux professionnels de la rénovation de s'organiser pour répondre à la demande.
Il ne faut donc pas opposer les difficultés les unes aux autres, ou penser qu'il suffit de dire pour faire, mais bien accompagner chacun vers la résolution efficace du problème."
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