Un casse-tête pour l'économie chinoise, le vieillissement de la population

La Chine pourrait être confrontée à une pénurie de main d'oeuvre dans moins de 10 ans, en particulier en raison du vieillissement de sa population. Elle doit y répondre en changeant son modèle économique vers plus d'emplois industriels et de services dans les zones urbaines. Et dans le meilleur des scénarios, les autorités de Pékin ne peuvent tout au plus que retarder cette échéance.
La république populaire va devoir composer avec une population de plus en plus âgée. /Copyright Reuters

L'économie chinoise est en train de repartir, les dernières statistiques l'indiquent. Les indices manufacturiers, le niveau des exportations ou ceux de la croissance montrent que le ralentissement observé en 2012 (+ 7,8%), la plus faible progression depuis 1999, aura duré moins d'un an. Cette année, l'activité devrait à nouveau accélérer.

« Pour l'année 2013, nous prévoyons une croissance du PIB de 8,4%, indique Louis Kuijs, économiste à la Royal Bank of Scotland, basé à Hong Kong. "Un environnement international plus solide qu'en 2012 pourrait favoriser les exportations, même si les perspectives de la demande mondiale restent limitées. Localement, les investissements dans l'immobilier et les infrastructures devraient rester soutenus, même si ceux des entreprises vont subir une pression baissière en raison de surcapacités et une profitabilité moindre", détaille cet analyste, bon connaisseur du pays, dans une note à ses clients.

"L'Atelier du monde"

Serait-ce le début d'un nouveau cycle pour « l'Atelier du monde » ? Précisément, cette caractérisation d'« Atelier du monde » tournant à plein régime depuis deux décennies grâce à une main d'?uvre abondante et à faible coût pourrait devenir caduque dans les prochaines années. En trois décennies, la Chine aurait créé 350 millions d'emplois. Mais, les grandes migrations de millions de personnes des terres intérieures vers les côtes qui ont assuré le succès des exportations de la Chine, sont en train de faiblir. Ainsi, cette force de travail excédentaire aurait atteint son pic en 2010, à 151 millions de personnes. Elle devrait n'être que de 57 millions en 2015, et 33 millions en 2020.

Ce phénomène est en train de s'accélérer. Au cours de la dernière décennie, le niveau moyens des revenus des travailleurs a augmenté annuellement au rythme de 15%, grâce à l'automatisation, à la croissance des secteurs industriel et des services, au développement économiques des provinces intérieures. La rationalisation et la mécanisation de secteur agricole en cours permet également de revaloriser les salaires.

Cette évolution, voulue par les autorités chinoises puisque c'est un objectif est l'une des priorités du dernier plan quinquennal, vise à faire basculer la Chine vers un modèle économiques comparable à celui des économies avancées. Ce point où une économie bascule dans ce nouveau modèle est appelé le « Lewis Turnig point », le "tournant de Lewis". Ce concept établi par le prix Nobel d'économie Arthur Lewis définit le moment où une main d'?uvre abondante commence à se raféfier entraînant une augmentation rapide des revenus, une contraction des marges bénéficiaires des entreprises, et une chute du niveau d'investissement.

Un taux de chômage officiel de 3%

Or, selon une étude de Mitali Das and Papa N'Diaye, deux économistes travaillant pour le Fonds monétaire international (FMI), cela pourrait arriver entre 2010 et 2025. Si au cours de ces dernières années, nombre d'observateurs ont déjà pointé la pénurie de main d'oeuvre dans les provinces côtières ou les des revalorisation salariales allant jusqu'à 100% dans certains secteurs (Foxconn...), pour Mitalis Das et Papa N'Diaye, on n'en est pas encore là.

En effet, selon le Bureau national des statisiques chinoises (BNS), le nombre de personnes qui cherchaient un travail hors de leur province s'élevait encore à 169 millions à la fin de septembre 2012. Et à la fin de 2011, le nombre de chômeurs enregistrés officiellement s'affichait à 21,5 millions, représentant 3% de la force de travail. Pour les zones urbaines, ce taux monte à 4,1%. La pénurie de main d'oeuvre reste donc encore un phénomène localisé.

En revanche, la république populaire va devoir composer avec un problème structurel pour lequel elle peut difficilement trouver une véritable solution à moyen terme : la démographie. Elle "sera le principal facteur qui va mener la déplétion de l'excédent de force de travail", écrivent les chercheurs. Le phénomène est connu, la population en âge de travailler va décliner en raison d'un taux de naissance en baisse, conséquence de la politique de l'enfant unique.

Selon les prévisions des Nations unies, cette inflexion devrait débuter à partir de 2020. Cependant, cette projection est jugée trop optimiste par d'autres spécialistes. D'ores et déjà, les données officielles du Bureau national des statistiques chinois (BNS) sur la population en âge de travailler dans le pays font état d'une réduction de 3,45 millions de personnes (le BNS prend comme fourchette les 15-59 ans) en 2012 pour tomber à 937 millions de personnes.

Le fort recul de la population âgée de 20 à 39 ans

Plus préoccupant encore, le taux de croissance de la population âgée de 20 à 39 ans était tombé à zéro en 2010, et il est prévu qu'il baisse plus rapidement que le recul de la population en âge de travailler d'ici à 2035. A cette date, la population de moins de 14 ans ajoutée à celle des plus de 64 ans représentera plus de 50% de la population.

Actuellement, le nombre de travailleurs du secteur primaire (agriculture, pêche, exploitation minière) pèse pour plus de la moitié de la population active, alors que l'agriculture ne contribue qu'à 1/5 du PIB. A l'avenir, la Chine doit prioritairement investir dans la mécanisation de son agriculture pour tranformer les paysans en employés urbains travaillant dans l'industrie et les services pour répondre à la future demande. Louis Kuijs souligne d'ailleurs qu'en 2012 le nombre d'emplois en zone urbaine a augmenté de 12 millions en 2012 tandis qu'il se réduisait de 9 millions dans les zones rurales.

La marge de manoeuvre limitée des autorités de Pékin

Pour accompagnier ce changement majeur de la structure de l'économie et faire face au grave problème démographique qui pour le perturber, que peuvent faire les autorités chinoises ? Les deux chercheurs du FMI avancent quelques solutions.

- augmenter le taux de fécondité, ce qui passe par l'abandon de la politique de l'enfant unique. Or, cette politique autorise déjà des exceptions, en particulier pour les nombreuses minorités ethniques. En réalité, le taux de fécondité est de 1,47 par femme (il était de 1,42 en 2012 en Allemagne à titre de comparaison), autrement dit il ne va pas augmenter rapidement. Et outre le fait qu'il faut plusieurs années pour transformer des nouveau-nés en force de travail, il faut également compter avec l'évolution sociologique de la population. En effet, il n'est pas évident que l'abandon de la politique de l'enfant unique se traduise par une hausse significative de la natalité. Avec l'émergence d'une classe moyenne, nombre de Chinoises éduquées pourraient être tentées d'en rester à un enfant, exceptionnement deux, pour favoriser une carrière personnelle et des revenus en hausse.

Créer une effet de richesse

A court et moyen terme, Mitali Das and Papa N'Diaye suggèrent de libéraliser le secteur financier en élevant les taux d'intérêt pour les épargnants. L'effet de richesse pousserait une partie de la population à être moins dépendant de son activité ; ou encore d'augmenter la productivité ce qui augmenterait les bénéfices des entreprises tout en stabilisant le nombre d'emplois.

Ce qui pourrait contribuer également à un meilleur contrôle de la situation serait de favoriser la mobilité de la main d'?uvre par une réforme du système d'enregistrement des travailleurs (huji), Cela pourrait entraîner une accélération de l'exode rural vers les villes, où les emplois industriels à bas revenus dominent encore le marché du travail. L'ensemble de ces mesures pourraient retarder le tournant de Lewis de cinq ans, estiment les chercheurs du FMI.

L'enjeu est essentiel pour la Chine. Un bon pilotage du phénomène, souligne les deux chercheurs, aurait un effet bénéfique économique non seulement sur la république populaire mais aussi pour une partie du monde, « en augmentant potentiellement la croissance de l'activité notamment pour ceux qui sont dans la "supply chain", comme les autres pays émergents de l'Asie ainsi que les pays exportateurs de matières premières, dont la Chine est un gros client.

Pour le nouveau président Xi Jinping, qui prendra ses fonctions en mars, ce sera le principal défi à relever.

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