les « trente laborieuses ».

Triste été ! Les chômeurs continuent de chômer. Les derniers chiffres laissés en héritage au nouveau gouvernement montrent une progression de 1,1 % du nombre de chômeurs en mai. On n'avait pas vu une telle augmentation depuis quatre ans. Les chercheurs et spécialistes du travail, eux, ne chôment pas. Les propositions radicales qui ont été émises, il y a déjà deux ans par Pierre Larrouturou avec la semaine de quatre jours, par Yoland Bresson avec l'idée d'un « revenu minimum d'existence » ou encore par Jeremy Rifkin autour de la Fin du travail, ont eu le mérite de relancer une dynamique de réflexions fondamentales et variées, prêtes à nous faire oublier les caprices du temps. Emploi ou activité. Ce foisonnement littéraire a pris un sens plus prononcé depuis la campagne électorale, où les idées de flexibilité, de réduction du temps de travail, de partage du travail, de télétravail ont été largement et diversement commentées sur la place publique. Il prend une tournure plus pratique avec « l'appel aux nouveaux députés » lancé par 333 signataires de la société civile, derrière le sociologue Bernard Perret et le président du Centre des jeunes dirigeants (CJD), Jean-Marie Gorse. « Parce que le chômage détruit la République, réinventons le travail », clament les intéressés. C'est à peu près le même ton et la même urgence que l'on retrouve dans la production littéraire actuelle. Et si l'on oubliait un peu le travail, se demande Dominique Méda (le Partage du travail et le Travail : une valeur en voie de disparition) pour qui la quête du travail ne justifie pas tout. Bruno Jarrosson et Michel Zarka vont plus loin dans le titre de leur ouvrage à paraître en septembre chez Dunod : Travailler ou ne pas travailler ? Et si l'économie n'avait pas pour finalité de donner du travail mais d'augmenter les choix. Une économie orientée principalement vers la préservation du travail est inefficace, poursuivent-il. Economie de la production, de la distribution mais aussi désormais économie du choix. Comment dire cela à des jeunes chômeurs qui voient l'emploi comme une référence centrale, objecte le sociologue Claude Dubar (la France, malade du travail). Pour lui, paradoxalement, moins il y a d'emploi, plus il y a attachement au travail. Et si l'on parlait d'activité plutôt que d'emploi, suggère le CJD (Construire le travail de demain),. C'est très beau tout cela, estime Dominique Schnapper (Contre la fin du travail), à condition que le travail conserve toute sa place citoyenne. Car il demeure le facteur essentiel d'intégration de l'homme dans la société. Et la sociologue de dénoncer la confusion que véhiculent certains ouvrages prônant qu'on « se libère du travail ». Bruno Jarrosson et Michel Zarka ne voient pas les choses ainsi : le travail est un mode de socialisation parmis d'autres, rien de plus. Au bout du compte, force est d'admettre qu'il faille repenser la société du travail d'une façon ou d'une autre. Un vrai chantier est donc en cours, avec des conceptions architecturales différentes selon les chercheurs et spécialistes qui se sont attachés à édifier les fondations. Les uns, derrière Jean-Louis Laville, André Gorz, préfèrent raisonner en termes d'activité plutôt qu'en termes d'emplois. Les autres, avec Bernard Perret et Pierre Rosanvallon, mettent l'accent sur les bases d'une nouvelle cohésion sociale à retrouver, qui redonnerait une place nouvelle au travail. Les troisièmes parlent de grand « reengineering » mondial. Pour tous, on ne reviendra plus au plein-emploi des Trente Glorieuses. Il faut passer les « trente laborieuses ». La grande majorité des auteurs rencontrés, au gré des pages, font presque tous le constat de l'inéluctable baisse du temps de travail au fil des ans et l'évolution de la durée de vie active. Un constat qui a déjà produit des effets. L'accord interprofessionnel sur l'emploi signé en octobre 1995 comprenait parmi ses quatre thèmes l'ARTT (aménagement et réduction du temps de travail). Aujourd'hui, quatre millions de salariés seraient concernés. Une réflexion sur l'ARTT s'appuie, selon Hervé Serieyx (Comment changer de travail pour gagner son temps), sur la compétitivité accrue des entreprises, le renforcement de la cohésion sociale et l'amélioration des conditions de vie des citoyens. Le gouvernement a confirmé son intention de faire avancer ce dossier afin que l'on tende vers les 35 heures. Décalages. Il existe des solutions immédiates, applicables, parfois déjà expérimentées, et des réflexions prospectives pouvant apporter aux entreprises le recul nécessaire. A condition de ne voir dans la réorganisation du temps de travail ni une solution miracle ni un gadget conjoncturel, mais un vrai chantier, comme en témoignent les exemples d'entreprises qu'ils ont étudié. Et il ne s'agit plus de se demander si c'est réaliste de diminuer le travail et rentable pour l'entreprise. Il existe un réel décalage entre certains discours nationaux et la réalité du terrain dans les régions. Les expériences menées prouvent qu'il faut dépasser le débat du « pour ou contre ». Yan de Kerorguen et Estelle Leroy
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