Crise de nerfs sur le Net

Ils ne crient plus leur désespoir sur les places publiques, ne déversent plus leur amertume dans de longues lettres postées à leur quotidien préféré ou à leur député. Confrontés à un tsunami d'une ampleur inédite, les petits actionnaires hurlent leur colère sur le Web. La rue ne gronde pas, mais c'est à l'aune des messages laissés sur les forums des sites boursiers que se mesure la rage des épargnants." Dommage que les États ne soient pas cotés en Bourse. Dans cinq ans, ils vont se goinfrer avec des sociétés achetées si bas ", peut-on par exemple lire sur Boursier.com. Sur Latribune.fr, un dénommé Ganja critique l'action des politiques : " Heureusement que l'économie européenne est régulée par un homme réfléchi comme Trichet, en dépit des nombreuses attaques de notre grand excité national Sarko, tout juste bon à brasser du vent. " Sur le forum de Boursorama, la colère est encore plus palpable, puisque l'absence de modérateur offre une grande liberté aux internautes. " Les "banksters"se délectent dans cette comédie dramatique, et se rachètent à qui mieux mieux les ruines des banques au prix de la casse. Dans un tel contexte, à quoi sert-il de travailler, quand d'un clic vous disparaissez. C'est le triomphe de la médiocratie ", se lamente un habitué des lieux dans un message intitulé " La saga des bouffons ". Autre intitulé tout aussi désespéré : " Je suis écoeuré ! " Associé à une conviction : " L'AMF a des preuves que les cours ont été manipulés par de grandes banques, ce qui a entraîné la chute du cours. D'autres ont torpillé Natixis, et c'est avec l'argent public des contribuables qu'on renfloue. Continuez à faire plonger les cours au grand dam des petits porteurs. "Rarement la colère des actionnaires avait atteint de tels sommets sur les sites boursiers. Julien Gautier, journaliste à Boursorama.fr, confirme que l'agressivité des petits porteurs est très inhabituelle : " Ils ont le sentiment de s'être fait berner, d'avoir été manipulés par de soi-disant experts. L'anonymat leur sert de couverture pour se lâcher. " " La violence n'est pas dirigée contre Boursorama ", s'empresse de préciser le PDG de la banque en ligne. Affirmant qu'il n'y a aucune panique à bord, Vincent Taupin souligne que, contrairement à d'autres sites, " Boursorama - qui connaît des pics d'audience colossaux - n'affiche aucune opinion. Le fait même de se vouloir rassurant reviendrait à prendre parti. Nous présentons des palmarès sans mettre en avant tel ou tel produit. "" THERAPIE DE GROUPE VIRTUELLE "Dans cette période où l'inquiétude est à son comble, les blogs permettent aussi de mettre en relation des internautes qui ne se contentent pas d'apporter leurs contributions mais s'enrichissent de celles des autres. Une quasi " thérapie de groupe virtuelle ", où l'on partage avec d'autres ses états d'âme. " Le Web est un canal privilégié pour donner le pouvoir aux personnes " , analyse Jacques Toledano, directeur commercial de WebTrends , une entreprise spécialisée dans la mesure d'audience sur Internet. " Ces interventions ont un vrai impact : elles donnent les tendances de fond presque en temps réel. En alimentant des débats qui font boule de neige, elles peuvent même avoir un vrai pouvoir de nuisance. D'où l'intérêt de mesurer ce qui se passe pour éventuellement mettre en place des signaux d'alerte. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la part du budget affectée par les entreprises à leurs plans médias sur le Net a grimpé de 34 % entre 2006 et 2007 ", ajoute-t-il.Pour les banques, la vigilance s'impose. De très nombreux internautes pointent du doigt leur incompétence et leur reprochent de n'avoir pas su évaluer les risques. " Beaucoup de Français ont investi leur épargne sur des placements à risques car on leur a proposé des rendements alléchants. Même sur des placements garantis, ils ont perdu de l'argent. Ils estiment avoir été mal conseillés ", confirme Thierry Ottaviani, président de SOS Petits Porteurs. Et d'ajouter : " Certains ménages ont fait des prêts en pensant les rembourser avec leurs placements. Nous relayons leur mécontentement et essayons de trouver des solutions. "Colette Neuville, célèbre présidente de l'Adam (Association de défense des actionnaires minoritaires), estime de son côté que " les gens sont déconcertés, désorientés, insécurisés et assommés par la rapidité et l'ampleur de l'événement. Ils sont en colère car on vient les chercher pour des introductions de capital, mais quand il y a des secousses, on ne les soutient pas ".Sur le Web, les épargnants essaient aussi de voir comment protéger au mieux leur patrimoine. Ils se posent toutes sortes de questions : les dépôts de cash sont-ils risqués ? Faut-il investir dans un contrat d'assurance-vie ? Se débarrasser à tout prix de ses titres ou les conserver en attendant que la crise s'apaise ? Et ils ne cherchent pas uniquement les réponses que pourraient leur apporter des experts sur des sites spécialisés. Même des portails grand public comme MSN sont largement consultés. " En tant que premier média social avec 22 millions d'internautes, MSN incite quotidiennement les internautes à réagir à l'actualité. Au-delà de l'information et des analyses d'experts, les internautes ont la possibilité de dialoguer entre eux car, s'ils sont intéressés par les avis d'experts, ils sont de plus en plus intéressés par l'avis de leurs pairs ", explique Emmanuel Fraysse, responsable de la chaîne finances. Ce type de sujets génère un trafic particulièrement important.LA PROFONDEUR DES REFLEXIONSAvec Internet, on peut mesurer avec une extrême précision l'audience de chaque article. Alain Beauzieux, à la tête d'AMI Software, observe de très près les blogs et confirme que la crise rend ces commentateurs très volubiles. " La semaine dernière, sur six jours, on a trouvé 452 billets. Il y en a eu 185 dans la seule journée du 29 septembre. Il ne s'agit pas d'une ou deux phrases explosives, mais de longs textes à la fois riches et argumentés. Les blogueurs s'expriment sur les problèmes générés par la crise ", explique-t-il, frappé par la profondeur des réflexions. " Certains épargnants cherchent à comprendre en s'appuyant sur des témoignages d'experts. D'autres remettent en cause le système et se demandent s'il ne serait pas temps de remettre de l'ordre dans le système financier ", ajoute-t-il.La maturité de certaines interventions est d'autant plus surprenante que leurs auteurs sont parfois très éloignés de l'univers financier. " L'économie n'est pas mon premier souci, les finances encore moins et pourtant, quand les inquiétudes nous cernent depuis plus d'un an et que l'étau se resserre, il faut bien essayer de comprendre ", écrit Kéline le 1er octobre sur son blog "Mon petit grain de sel ". Avec cette conclusion : " C'est difficilement acceptable de renflouer des banquiers avides de profits, mais c'est le seul moyen pour que les banques ne fassent pas faillite et continuent à accorder des crédits pour les entreprises et les particuliers. " La colère n'empêche pas le bon sens.
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