« Le révélateur d'une mutation radicale »

Le monde d'après Chaque jour, cet été, nous interrogeons un grand témoin de l'actualité sur sa vision de l'après-crise. Pour Hugues de Jouvenel, la crise devrait accélérer une prise de conscience collective sur les grands défis qui se posent à la planète depuis vingt ans.interview Hugues de jouvenel Directeur général de Futuribles« Le monde ne sera plus jamais comme avant », avance Nicolas Sarkozy. Partagez-vous cette opinion ?Essayons d'abord de nous entendre sur la vraie nature de ce qu'on appelle la crise. Celle-ci résulte, à mes yeux, de plusieurs phénomènes, les uns conjoncturels, les autres structurels, qui sont étroitement imbriqués mais se déroulent sur des échelles de temps et d'espace différentes. Il y a eu une crise financière de grande ampleur mais la situation semble s'être rapidement assainie et les acteurs financiers déjà prêts à nouveau à toutes les folies. Il y a une crise économique qui, elle, risque d'être durable et résulte d'une rupture radicale sur l'échiquier mondial. Et il y a une crise liée à notre modèle de développement qui repose sur une exploitation outrancière des ressources naturelles et entraîne des perturbations très profondes de l'écosystème. Et, à partir du moment où de nouveaux pays aussi peuplés que la Chine émergent, adoptant un modèle de développement jusqu'à présent réservé à une minorité, il est clair que la situation devient explosive. De ce point de vue, en effet, la crise est un extraordinaire révélateur d'une mutation radicale entre un monde qui n'en finit pas de mourir et un autre qui n'en finit pas de naître.La crise a finalement une fonction de catharsis bienfaitrice ?On peut en effet l'analyser ainsi car elle provoque ou accélère la prise de conscience, par exemple, des limites d'un modèle de développement dont on ne voulait pas admettre le caractère insoutenable. Et elle peut avoir un effet bienfaisant dans la mesure où elle peut contribuer à remettre les pendules à l'heure, par exemple, sur le coût de nos émissions de CO2, ainsi que susciter d'utiles changements de comportements. Par exemple, si les Français se déclarent depuis longtemps préoccupés par l'écologie, ils n'avaient guère modifié jusqu'à présent leurs comportements. Les choses commencent à changer, y compris grâce au renouvellement des générations : ainsi, malgré la crise économique, la consommation « socialement responsable » progresse.Tous les pays sont-ils logés à la même enseigne ?Ne nous leurrons pas, la vulnérabilité des différentes économies à la crise, la capacité de rebond des différents pays ne sont pas les mêmes. La crise a été ravageuse aux États-Unis, sans pourtant entamer la foi des Américains en l'avenir et le gouvernement a aussitôt su réagir très énergiquement. De son côté, il semble bien que le plan de relance chinois a, lui aussi, été très efficace, en bref, qu'entre les deux rives du Pacifique, les perspectives s'améliorent. Je n'observe rien de tel dans une Europe profondément hétérogène composée de pays inégalement touchés par la crise. Le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Allemagne ont été beaucoup plus durement touchés que la France où les amortisseurs ont mieux fonctionné. Mais si l'économie allemande est prête à repartir, la France souffre en revanche d'un retard considérable en termes d'adaptation et d'innovation, de sorte que la crise risque d'y être beaucoup plus durable. Cela nous renvoie aux vieux thèmes des obstacles à la croissance sur lesquels la multiplication des rapports d'experts n'a rien changé.Le modèle social français va-t-il résister à la crise ?Soyons clairs : la France souffre d'un chômage endémique depuis quarante ans, celui-ci n'étant que la partie la plus visible d'une situation de sous-emploi dramatique, notamment des jeunes et des seniors. Confrontée au choc du vieillissement démographique et, de facto, incapable de créer les conditions propices à l'allongement de la durée d'activité et donc de cotisation, elle a un système de protection sociale qui court à la faillite. Nous allons droit dans le mur. Nous ne voulons pas le voir et, comme aucun pays n'est plus individualiste, le repli sur soi et la défense par chacun de ses propres intérêts au détriment de l'intérêt collectif me font craindre le pire. Nous sommes en panne de projet et donc incapables de susciter l'immense mobilisation collective qui serait nécessaire.À quoi pourrait ressembler le monde de demain ?Les tendances lourdes ne sont bien évidemment pas remises en cause. Le déséquilibre démographique entre l'Asie et le reste du monde est une évidence depuis bien longtemps. Comme le fait que les pays émergents affichent une volonté très forte de développement qui s'exprime hélas par un mimétisme très important avec nos modes de vie, ceci entraînant inéluctablement une compétition de plus en plus vive sur les matières premières, l'eau potable, les terres arables, les hydrocarbures? Il faut s'attendre à une hausse importante du prix des matières premières qui pour autant n'aura pas nécessairement la vertu magique que les économistes accordent trop souvent aux prix. Il nous faudra donc inventer un autre modèle de développement prenant davantage appui sur une ressource naturelle qui, elle, est inépuisable : les ressources humaines, tout ce qu'elles recèlent d'intelligence, d'énergie et de volonté, les capacités des hommes à inventer et à entreprendre sans attendre d'autrui quelque miracle. C'est de celles-là aujourd'hui que dépendent essentiellement les performances des entreprises et des territoires.Propos recueillis par Éric BenhamouDemain, suite de notre série avec l'interview de Pascal Sal
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