Peut-on être positif face à la crise ? ?

Un autre regard (2/5)La violence de la crise financière, boursière et économique a mis au jour les déséquilibres de notre monde. Cette semaine, « La Tribune » donne la parole à cinq intellectuels, pour qu'ils livrent leurs regards croisés sur les racines du mal. Aujourd'hui, un psychiatre, praticien et enseignant (université Lyon I), estime que cette crise pourrait déboucher sur un monde meilleur à condition d'en tirer lucidement les leçons.Point de vue Jean cottraux Auteur de « La force de soi. Pour une psychologie positive » (Éditions Odile Jacob, 2007).Il n'y a pas de crise sans changement, ni de changement sans crise. La débâcle actuelle du capitalisme pourrait s'avérer salutaire si elle permettait une réévaluation lucide de ses causes et conduisait à la recherche de solutions équitables et durables. Je n'ai aucune légitimité pour parler d'économie, mais je vais tenter de l'aborder sous l'angle de la psychologie positive. Ce courant s'intéresse aux expériences subjectives positives, en particulier le bonheur et le bien-être, le plaisir et la plénitude?; aux traits positifs de caractère, en particulier l'optimisme, et aux institutions positives, aussi bien celles qui gèrent l'éducation que l'organisation du travail ou la vie sociale.Entre septembre 2001 et septembre 2008, l'illusion d'un contrôle s'est évanouie. On peut illustrer cela par un passage de la Bible, qui raconte la chute de Babylone?: Jéhovah inscrit avec des lettres de feu sur les murs de la ville ces trois mots?: « pesé, compté et divis頻. Cet avertissement peut être comparé à l'attaque du World Trade Center et du Pentagone en 2001. À mon sens, c'est le début de la crise actuelle. Ce 11 septembre 2001 a brisé l'illusion d'invulnérabilité d'une société et contesté le leadership des États-Unis, en détruisant, symboliquement, le siège bureaucratique du commerce mondial. Un officiel américain a eu cette phrase clairvoyante pour qualifier cet acte?: « Low in technology, but high in concept » (« de faible technologie, mais de conception brillante »). Un Occident hautement technologique serait-il donc devenu moralement faible, persuadé que l'écran de l'ordinateur est le miroir de la réalité?? Or, la réalité est ce qui nous retombe dessus lorsque l'on éteint l'ordinateur. L'aliénation portée par la toute-puissance du numérique a ainsi été démontrée, mais les conséquences n'en ont pas été vraiment tirées.Nous vivons dans une « boucle d'accélération » où le progrès moral est en retard sur le projet technologique. Plus de règles rigides sont appliquées, plus la bureaucratie s'épanouit, et plus se développent l'inertie et l'impuissance. Plus l'impuissance bureaucratique gagne du terrain, plus les plus habiles la contournent, et plus les personnes économiquement marginalisées développent des manifestations psychiatriques graves, comme le montrent plusieurs études épidémiologiques dans le monde.Si les règles et les lois ne s'imposent pas d'elles-mêmes, et que les dés semblent pipés, l'individu devient cynique. De là vient le succès, depuis trente ans, de films à scénario paranoïaque où le système persécute l'individu?: « Le Prisonnier », « X Files », « Truman Show », « The Game », « Matrix », « Da Vinci Code », « 24 heures chrono ». En niant la réalité, la théorie du complot essaie de rétablir l'illusion de contrôle. Elle génère chez celui qui y adhère le sentiment qu'il a tout compris de ceux qui le manipulent. Un pas de plus, et un mouvement politique s'attaquera réellement aux suspects habituels?: le complot judéo-maçonnique, la ploutocratie, les deux cents familles, l'État, le capitalisme, la nomenklatura, les intellectuels, etc. Cette défiance annonce le retour d'une thématique fasciste, au nom de la justice sociale, dont on sait qu'elle fut en Allemagne la conséquence de la crise économique de 1929. Aussi, une des solutions psychologiques à la crise passe par l'affirmation et la pratique de valeurs humanistes pour rétablir la confiance.Depuis quelques semaines, nombre d'économistes donnent leur avis dans les médias et dispensent des cours utiles au profane. Certains affirment que l'économie est une science, pas une morale. Selon eux, il suffira que les vannes du crédit s'ouvrent à nouveau pour que l'optimisme « génétique » des Américains reprenne le dessus et que l'économie mondiale décolle à nouveau. Or, l'économie n'est pas stricto sensu une science, ses expériences n'étant pas reproductibles. Comme l'histoire, elle ne repasse pas les plats, même si après coup on peut en faire une étude objective. En fait, l'économie est d'abord tributaire des émotions qui dominent les jugements des individus et des groupes devant une conjoncture. L'optimisme n'étant héréditaire qu'à environ 40 %, même si les Américains en avaient une meilleure dotation (ce qui reste à démontrer), ce sont les émotions et les interprétations de l'opinion mondiale qui régulent l'économie.Or qu'attend la majorité?? Que son travail soit décemment rémunéré, que ses investissements soient récompensés à la mesure des efforts consentis et que ses projets lui apportent du bien-être. Tous les travaux réalisés sur le bien-être ont montré qu'il n'était pas corrélé avec le montant du compte en banque, mais avec une vie qui a du sens. Ce que la majorité souhaite avant tout est une morale qui serait la meilleure façon de lui remonter le moral. En effet, une personne qui ne voit plus de lien entre ses efforts et des récompenses finit par entrer dans le cercle de l'impuissance apprise?: agir ou ne pas agir revient au même, rien ne sert de faire des projets et d'investir.Pour que l'investissement affectif et économique redémarre, l'économie doit chercher une morale acceptable par la majorité. À court terme, le capitalisme décollera à nouveau, mais ce ne sera qu'une rémission. À moyen terme (un an), il faudra s'interroger sur la redistribution équitable des richesses?: les oubliés de cette crise sont les sous-alimentés. À plus long terme (moins de dix ans), il faudra gérer les problèmes écologiques que le tintamarre bancaire a fait oublier. En fait, la nécessité d'une institution mondiale de régulation économique porteuse de valeurs humanistes est clairement posée. Nous revenons ainsi à notre point de départ. Depuis la chute du World Trade Center, la question est?: qui détiendra à l'avenir un leadership mondial accepté par tous pour aider chacun à mieux vivre??
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