Le pays où la « malbouffe » tue

William Reymond, vous avez publié en 2007 « Toxic », un livre-enquête sur l'obésité aux États-Unis. Vous y démontriez que cette épidémie n'est pas seulement due au mode de vie des Américains, mais aussi et surtout aux ingrédients nocifs contenus dans la nourriture industrielle. Le sujet reste-t-il d'actualité??Malheureusement, oui. Le Center for Disease Control a publié cet été un rapport sur l'obésité État par État. Les chiffres les plus inquiétants concernent les États de la « Bible Belt » ? des États ultra-conservateurs et ultra-religieux. Plus de la moitié des habitants y sont en surpoids, et 30 % d'entre eux souffrent d'obésité sévère ou morbide. En Alabama (voir carte), on approche les 70 % d'obèses. Ces chiffres, publiés tous les deux ans, sont en progression constante depuis trois décennies, avec une accélération à partir des années 1990.Y a-t-il une prise de conscience au niveau des autorités??La question a pris un tour politique en juillet dernier, au moment de la sortie du film « Wall-e », l'histoire d'un petit robot resté seul sur une planète Terre entièrement polluée. L'humanité, réfugiée dans un vaisseau spatial géant, est composée d'obèses incapables de marcher ou de bouger seuls. La chaîne de droite Fox News a dénoncé Hollywood ? c'est-à-dire la gauche ? et son mépris pour l'Amérique.Parce que l'obésité a une couleur politique??En tout cas, la « machine à tuer » républicaine a essayé de s'en servir contre Obama. Des experts venaient expliquer que le fait qu'il soit mince et sportif allait lui aliéner le « vote gros »?; on soulignait qu'il mangeait bio et aimait la roquette. Cela rejoignait le thème de l'élitisme. Il y a quatre ans, ça aurait peut-être marché. Mais les « character assassinations », ces techniques de démolition d'un candidat sur sa personnalité qui avaient tant nui à John Kerry, n'ont pas accroché cette fois-ci. Les Américains avaient d'autres soucis.L'obésité est une question de santé publique. Justement, la campagne a beaucoup tourné autour de l'assurance-maladie.Quelque 47 millions d'Américains n'ont pas de couverture santé. Obama a proposé un système d'assurance pour 30 millions de citoyens supplémentaires. Pour dégager les ressources nécessaires, il a proposé de faire de la prévention. On sait qu'aujourd'hui le premier poste de dépense, ce sont les maladies cardio-vasculaires, qui augmentent en flèche. Quand un Américain devient malade du c?ur à 25 ans parce qu'il est trop gros, il faut le soigner tout au long de sa vie. Il en va de même pour le diabète. La maladie qu'on appelait autrefois le diabète de l'âge mûr touche maintenant des gens jeunes, si bien qu'on l'a rebaptisé diabète de type 2. Il y a maintenant des hôpitaux pour diabétiques pleins d'enfants de 11 ou 12 ans.En France, on mesure mal les conséquences effrayantes de ce nouveau diabète.Quand vous parcourez les quartiers pauvres des villes américaines, vous voyez des gens avec des moignons. Ce ne sont pas des accidentés ou des anciens combattants d'Irak mais des diabétiques amputés. Chaque année 82.000 Américains perdent un pied, une main ou une jambe nécrosés par l'excès de sucre dans le sang. Pire encore, 24.000 personnes perdent la vue chaque année à cause du diabète. Ce sont des maux du XIXe siècle dans l'Amérique d'aujourd'hui. Sachant que 80 % des diabétiques sont obèses, cela veut dire que huit sur dix de ces patients souffrent d'une maladie évitable. C'est en cela que je dis que l'obésité est un problème politique au plein sens du terme.Que proposent les deux candidats à l'élection du 4 novembre??Sur son site, Barack Obama parle de prévention pour faire baisser les coûts de la santé. Il veut encourager les entreprises à faire venir des nutritionnistes. Elles sont concernées aussi?: les maladies de leurs employés coûtent cher en frais d'assurance et en absentéisme. L'obésité est un défi économique pour toute la collectivité. Le Center for Disease Control a par exemple calculé que le surpoids des passagers voyageant en avion représentait une consommation supplémentaire de 1,2 million de tonnes de kérosène. Des associations d'usagers ont suggéré de faire payer les passagers en fonction de leur poids?!La prévention suffira-t-elle?? Vous avez montré que c'est la qualité des aliments qui était la principale cause de la hausse du nombre d'obèses.Évidemment, on se heurte aux inégalités sociales. Manger sain suppose d'avoir de l'argent et du temps. Beaucoup d'Américains modestes ont deux boulots. Pour nourrir la famille, ils se tournent vers les plats industriels achetés au supermarché. Dans les sondages, année après année, le tiers des Américains affirment cuisiner chez eux. Cela ne collait pas avec les statistiques. On a fini par leur demander ce qu'ils entendaient par là et la ma- jorité ont répondu?: je mets un plat précuisiné au four à micro-ondes. Si vous comparez la courbe d'équipement des foyers en micro-ondes et celle de l'obésité, vous verrez qu'elles augmentent en parallèle.La crise économique va-t-elle avoir une incidence sur l'obésité??Elle va l'aggraver. La fréquentation des restaurants a baissé de 7 % depuis un an, sauf dans les fast-foods. Les chaînes comme McDonald's ou Taco Bells ne communiquent plus que sur les prix?: vous en avez plus pour moins cher. C'est un véritable piège à pauvres. Mais, avant de changer cela, il faudra affronter de très puissants lobbies. Propos recueillis par Sophie Gherardi
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