La presse dans le sang

« Ce n'est quand même pas le retour du comte de Monte-Cristo. » Le nouveau PDG du groupe Hachette Filipacchi Médias, Gérald de Roquemaurel, veut minimiser. L'histoire lui a pourtant fait un sacré clin d'oeil. Bien avant son père, Ithier de Roquemaurel, pendant plusieurs années président du groupe Hachette, l'un de ses plus anciens aïeux n'était autre que Louis Hachette, fondteur de la fameuse librairie éponyme, en 1826. Entre-temps, le groupe a changé de main. Il est aujourd'hui détenu à 66 % par le groupe Lagardère. C'est le numéro un mondial de la presse magazine avec près de 11 milliards de francs de chiffre d'affaires. De cette lourde hérédité, Gérald de Roquemaurel a loyalement essayé de s'extraire. Tournant le dos à la tradition familiale, il entre à l'ENA en 1970 et y côtoie Alain Juppé, Louis Gallois, Bernard Faivre d'Arcier ou encore l'actuel PDG d'Arte, Jérôme Clément. Un classement de sortie dans la moyenne, une absence de goût pour les savants calculs de carrière dans la fonction publique et enfin une forte attirance pour la presse, le conduisent à rembourser ses deux années de scolarité à l'ENA. Pendant que certains de ses camarades choisissent les voies prestigieuses comme le Trésor ou la Cour des comptes, Gérald de Roquemaurel, tel Larry Flint, devient, aux Publications Filipacchi, directeur de... Playboy. Une responsabilité qui ne sera pas goûtée par sa noble famille. La rencontre avec Lazareff. Cette appétence pour la presse, Gérald de Roquemaurel la doit notamment à sa rencontre dans les années 60 avec Pierre Lazareff, le directeur de France-Soir (à l'époque le premier quotidien français). Son entrée dans le groupe Filipacchi (alors totalement distinct de Hachette), il la doit, entre autres, à la chasse. C'est son père qui l'initie très tôt aux joies du calibre 12. Une passion que partage justement Frank Ténot, l'un des complices de Daniel Filipacchi avec Roger Thérond. Encadré par ces trois renards des affaires, Gérald de Roquemaurel multiplie postes et responsabilités. Il va notamment administrer Paris-Match, puis le groupe Filipacchi (lors du rapprochement avec le groupe Lagardère au début des années 80), et s'imposera suffisamment pour que les décisions ne se prennent plus sans lui. Le voici à cinquante et un ans à la tête d'un groupe implanté dans vingt-huit pays et éditeur de cent huit magazines. Mais, comme il le dit un peu partout à l'envi, les magazines sont avant tout des marques. Et les marques, cela se décline, à l'export où à l'import. « Comme le dit Daniel Filipacchi, les vraies créations de presse sont rarissimes », fait-il remarquer. Et ajoute : « "Match" venait du magazine américain "Life", "Lui" s'inspirait de "Playboy" ». Sur les marchés étrangers (40 % du chiffre d'affaires), des titres comme Elle ou Paris-Match sont cuisinés à la sauce locale. Mais le marché français accueille en retour des concepts nés ailleurs, comme le magazine espagnol Quo, cloné en version française l'année dernière. Gérald de Roquemaurel a une réputation de gestionnaire un peu froid, d'organisateur, d'homme de marketing et de chiffres. Pas le genre à monter un journal avec des copains dans la fumée d'un bistrot. On dit que c'est à lui que l'ensemble des équipes rédactionnelles doivent leur déménagement dans le siège tout verre et béton de Levallois-Perret. De belle facture, l'ensemble est à peu près aussi chaleureux que le complexe aéroportuaire de Roissy. Familier du marketing de presse, le nouveau PDG est véritablement un gestionnaire. Afin de dégager le milliard de francs de résultat d'exploitation promis aux actionnaires pour la fin du siècle, l'homme compte notamment trouver 200 millions de francs d'économies, dont 50 à 60 issus de la récente fusion des quotidiens le Méridional et le Provençal. Gastronome. Lorsqu'il parle d'avenir, Gérald de Roquemaurel, en bon chef d'entreprise, répond croissance externe, lancements, partenariats. A l'entendre, il n'y aura pas de gros lancements à 100 millions. Il faut pour cela attendre de dégager au moins un milliard de résultat, pour « mieux lisser les comptes ». La gestion, il la voit surtout comme un préalable à la créativité, « sinon, on envoie les journalistes dans le mur ». Quand il n'est pas aux affaires, Gérald de Roquemaurel fait du bateau ou rejoint sa maison corse. Se- rait-il gastronome ? « Hélas, oui... », répond-il avec un sourire moqueur derrière la fumée d'un de ces gs cigares dont il a la passion. Mais il préfère avant tout la chasse, pour le plaisir du tir, de l'amitié et celui de découvrir à l'aube, de nouveaux paysages. Mais il ne traque que le petit gibier. « Le gros, j'ai le sentiment qu'il faut le protéger ». Philippe Bonnet
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