Attention à la bulle du capital-risque

De l'argent pour des projets." Ainsi pourrait être résumée l'une des demandes les plus activement diffusées dans la société française. Elle s'exprime tantôt par la recherche d'incitations fiscales particulières au profit des sociétés de capital-risque, tantôt par le souhait d'une réorientation des actifs détenus par les assureurs-vie en direction des actions, notamment de sociétés non cotées, tantôt encore par la mise en cause des attitudes prudentes, voire frileuses, des banques en matière de prêt aux entreprises, et plus encore de financement de projets. Est-ce un hasard si la Banque Populaire, première banque des petites et moyennes entreprises, fait de "l'audace" l'une de ses valeurs distinctives ?Face à un mal supposé connu - des projets ne trouvent pas de financement -, le remède semble aller de soi ; il faut de l'argent pour financer les projets. Mais le diagnostic est-il si bien posé, et le mal aussi certain ? Du côté des réseaux bancaires qui voient arriver les demandes de financement, d'ouverture de crédit, voire d'ouverture de compte tout court, le constat est plus nuancé, au point d'être peu "politiquement correct" : des projets arrivent, oui, mais si peu de projets de qualité présentant de réelles perspectives de rentabilité !Eviter la sursouscription. Nombreux sont les responsables d'activité "entreprise" dans les banques à l'affirmer : voici des mois, sinon des années, qu'ils n'ont pas ou plus de regrets quant aux décisions qu'ils prennent ; sur la base des dossiers reçus, ce qu'ils ne financent pas n'a pour eux aucune chance d'aboutir. Du côté des dirigeants de sociétés de capital-risque, l'aveu est plus discret, mais plus problématique : la question n'est pas de trouver des fonds à investir, elle est plutôt d'éviter la sursouscription.Depuis six mois, en effet, environ 60 milliards de dollars dans le monde, et plus de 20 milliards de dollars en Europe, ont été levés et cherchent à s'investir dans des opérations de LBO. Face à cet afflux de liquidités, le problème posé aux fonds spécialisés est d'abord d'investir, au moins au plancher légal, nécessaire pour être éligible fiscalement à différents titres - assurance-vie DSK, puis NSK par exemple -, mais aussi pour répondre à la demande des souscripteurs, qui n'ont pas acheté des parts de fonds spécialisés ou d'OPCVM à risque pour détenir de simples obligations d'Etat...Chaque nouvel afflux de fonds accroît l'inquiétude : où placer cet argent qui cherche à s'investir ? Du côté des investisseurs eux-mêmes, l'abondance des liquidités disponibles banalise paradoxalement l'investissement financier et distend les liens traditionnels entre des notables, détenteurs de capitaux, investissant dans des entreprises locales ou régionales et de jeunes créateurs de projet.De sorte que le diagnostic que portent les professionnels est presque l'inverse de ce que suggère le sens commun : il n'y a pas trop peu d'argent, il y en a trop. Il n'y a pas trop de projets à financer pour trop peu d'argent disponible, il y a beaucoup trop d'argent pour trop peu de projets de qualité, potentiellement rentables et bien formalisés. C'est dire que certaines des conditions objectives à la formation d'une bulle du capital-risque, du capital-développement et des actifs risqués sont en train de se constituer, et à grande allure. Le montant des flux de capitaux investis ou à investir dans ce domaine a presque doublé de 2004 à 2005, et le mouvement ne paraît pas devoir se ralentir ni s'arrêter.Repli sur soi. Un tel constat pose naturellement la question de la bonne fiscalité de l'épargne. Bonne, c'est-à-dire incitatrice, lisible, prévisible dans ses effets, et stable dans la durée. La tentation naturelle est de tordre un édifice qui s'est progressivement équilibré, et dans lequel les Français ont appris à manifester leurs préférences, pour contraindre les capitaux à aller vers les projets. Les organismes représentant les investisseurs en capital développement et en capital-risque s'y emploient, non sans succès. Mais il ne sert à rien d'irriguer un terrain sur lequel rien n'a été semé. L'esprit d'entreprise est fort de la passion d'agir, de la reconnaissance devant le succès, de la légitimation du profit de l'entrepreneur. Nous en sommes loin. Au lieu de semer en ce sens, depuis trente ans, les dirigeants politiques et les faiseurs d'opinion ont flatté les passions médiocres du repli sur soi, de la jalousie égalitaire, du bien-être sécuritaire. Plus qu'une transformation de la fiscalité quant à ses incitations, qui constitue toujours un détournement du choix des acteurs, c'est bien d'une réelle et, pour cette fois, significative baisse des prélèvements que l'esprit de projet a besoin. Pas d'une nouvelle machine à commissions, à réglementation et à bureaucratie. Le meilleur ami des projets n'est pas l'argent, c'est la liberté d'agir.(*) Président d'Eurogroup Institute. e-mail : [email protected]
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