Les faiblesses du vainqueur

La trajectoire de François Jullien est pour le moins « dissonante ». Philosophe et sinologue, il est considéré comme un « dissident » par les sinologues comme par les philosophes qui ne lui ménagent pas leurs critiques. Ses allers et retours entre la pensée européenne et la pensée chinoise offrent pourtant une grille de lecture riche de pistes de réflexion et d'interrogations sur cette Chine qui retrouve sa superbe, nous fascine et nous inquiète.Mettons avant tout en garde le lecteur. La première partie paraîtra ardue à ceux qui ne sont pas rompus aux concepts philosophiques. Plus accessible, la seconde, sous forme de confrontation avec deux journalistes, Nicolas Martin et Antoine Spire, est foisonnante. François Jullien le rappelle : le problème ne tient pas tant au fait que la Chine est « différente » mais qu'elle est culturellement « indifférente à nombre de questions qui ont intéressé l'Europe ». Une volonté d'aborder les deux pensées « du dedans » et « du dehors » qu'il reconnaît « bancale » et l'oblige à « danser d'une langue dans l'autre ». Mais cette attitude de funambule ouvre la voie à une recherche qui n'a rien d'abstrait.Pour s'être rendu en Chine pour la première fois à « la pire époque, l'extrême fin de la Révolution culturelle », il redoute la bonne conscience des étrangers prêts à se mobiliser alors qu'ils ne risquent pas, comme les dissidents chinois, la prison. Mais il prône le versant « négatif » de la défense des droits de l'homme, celui du « non » à l'oppression, sans imposer les valeurs « positives » de l'Europe. Bref, ne voir en Mao qu'un leader communiste ou en Deng Xiaoping un « Petit Timonier » pragmatique, est réducteur, tant les gouvernements chinois ont eu « l'art d'induire des transformations silencieuses » dont les résultats nous étonnent d'autant plus qu'on ne les a pas vus venir.La montée en puissance de la Chine est, à cet égard, exemplaire. Et pour François Jullien, il n'y a pas de doute : « La Chine est en train de devenir la plus grande puissance du monde. » Peut-on envisager, pour autant, son émancipation politique ? « La conquête des droits, et d'abord du droit d'avoir des droits » est au coeur des débats. Car si la « Chine a gagné », si l'Europe et la France semblent déphasées face à l'évolution du monde, les problèmes de l'empire du Milieu commencent : il est plus facile d'être second que d'être le premier quand il faut contenir les tensions, sociales, politiques, idéologiques, qui taraudent le pays ; et il est difficile d'exercer « une hégémonie politique sans proposer de modèle ». Un appel discret mais confiant à... la dissidence. Françoise Crouïgneau
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