Profession actuaire, d'une crise à l'autre

1930-2010, d'une crise, celle de 1929, à l'autre, celle des subprimes en 2008, les mathématiques financières se sont imposées au centre de l'économie. Ces mathématiques ont produit le pire - des modèles de marché fondés sur des hypothèses, on le sait aujourd'hui, complètement erronées et des innovations financières auxquelles plus personne ne comprend rien, au point qu'on les qualifie de « toxiques » -, comme le meilleur, notamment les mécanismes d'assurances qui ont permis aux hommes, aux entreprises, aux sociétés, de se protéger contre les risques auxquels ils sont exposés.De tout temps, l'assurance a été au coeur de la finance. C'est en assurant les bateaux de commerce contre les naufrages que, de la Grèce antique au Moyen-Âge jusqu'à l'époque moderne, se sont diffusées toutes les innovations financières qui ont donné naissance au capitalisme. Les spécialistes de l'assurance ont un nom, ce sont les « actuaires » (de l'anglais « actuary »), c'est-à-dire des spécialistes des calculs statistiques pour l'assurance. Du calcul des tables de mortalité pour l'assurance-vie aux statistiques de sinistres pour l'assurance dommages ou automobile, en passant par la gestion actif-passif dans les banques ou les compagnies d'assurances, les sciences actuarielles sont partout. Leur métier, leur vocation, leur matière première, c'est l'avenir. Pas la prévision, mais la projection des risques, à partir de modèles de probabilité de plus en plus sophistiqués.En France, deux écoles se sont longtemps disputé la formation de cette élite de la finance. L'Institut des actuaires français (IAF), fondé en mai 1890, et l'Institut de science financière et d'assurances (Isfa), fondé il y a très exactement quatre-vingts ans aujourd'hui, à Lyon. C'est par un décret du 4 juin 1930, au moment où la crise américaine traversait l'Atlantique, que la faculté des sciences et celle de droit de l'université de Lyon ont en effet réuni leurs moyens pour créer l'Isfa, un enseignement de deux ans en sciences actuarielles. Son instigateur, Anatole Weber, un assureur (directeur général des sociétés La Nation), en sera le premier président. Originalité, pour l'époque, Anatole Weber, dont le projet faisait de l'ombre à l'IAF, a cherché des financements directement auprès de compagnies d'assurances et de caisses d'épargne, au travers d'une fondation Augustin-Cournot, du nom du célèbre mathématicien français (1801-1877).Pour fêter cet anniversaire, l'Isfa, logé à l'intérieur de l'université Lyon I-Claude Bernard, présidée par Lionel Collet (également président de la conférence des universités), organise aujourd'hui un congrès autour du thème « gérer les risques autrement ». L'Isfa publie également un livre sur son histoire qui raconte l'évolution d'une école de province qui a su, pour s'affirmer, inventer avant l'heure des règles de gestion qui n'ont rien à envier à ce que l'on appelle aujourd'hui l'autonomie des universités.« Il existe à Lyon la première école d'actuariat de France et cette réalité ignorée est une richesse que nous voulons mieux faire savoir, explique Jean-Claude Augros, actuel directeur de l'Isfa. Nous voulons montrer que par son histoire, l'Isfa offre un modèle original et efficace qui se caractérise par une véritable pluridisciplinarité orientée vers un secteur économique considérable, qui offre de réels débouchés professionnels à ses étudiants, une étroite symbiose et une forte synergie entre enseignement et recherche, une relation étroite avec les milieux d'affaires et un véritable autofinancement, le tout avec des moyens humains très efficients. »Au carrefour des mathématiques, de la gestion et de l'économie, les « sciences actuarielles et financières », pour lesquelles il existe une dizaine de formations dans toute la France, manquent pourtant de visibilité au sein de l'université française, malgré l'aura apportée par l'Ensae, qui forme la plupart des statisticiens publics. La formation d'actuaire reste assez méconnue alors même qu'elle se trouve au coeur des évolutions de l'économie et de la société. « Depuis l'origine, les trois ambitions de l'actuariat sont de contribuer à la stabilité financière, à l'équilibre social et au développement durable », souligne François Delavenne, un Isfa 1971 qui s'est spécialisé dans la gestion collective, au sein de la Caisse des dépôts, puis dans son groupe, Acofi. Autant dire au coeur des trois principaux enjeux de notre temps, marqué par trois crises : celle de la finance, celle de l'État providence, et celle de l'écologie. Philippe Mabille
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