Paula Jacques : « Notre départ d'Égypte a été d'une telle violence »

Voilà des années qu'elle nous entraîne dans un monde oublié. Celui de l'Égypte cosmopolite d'avant Nasser, qu'elle s'acharne à faire revivre à travers d'extraordinaires histoires romanesques. Paula Jacques récidive avec « Kayro Jacobi, juste avant l'oubli ». Ce formidable portrait d'un metteur en scène juif égyptien nous plonge au coeur de l'âge d'or de ce cinéma-là. Une oeuvre remarquablement construite, drôle et poignante à la fois. Comme toujours chez Paula Jacques. Qui est Kayro Jacobi ?Un homme gâté par la vie. Le seul metteur en scène juif égyptien. Tout réussit à Kayro. Jusqu'à ce qu'un obscur critique accuse le 7e art national d'être perverti par les étrangers, à commencer par les juifs, et le vise lui directement. Au fil des mois, l'orage se rapproche, et éclate avec l'arrivée au pouvoir de Nasser. Entre-temps, il y a eu des campagnes de presse antisémites, la nationalisation des biens juifs. Mais aussi l'arrivée de Howard Hawks et Faulkner en Égypte pour tourner « la Terre des pharaons » en 1954. Reste que les ennuis s'accumulent. Et Kayro ne veut pas partir. Il sait que s'il quitte son pays qu'il adore, il est mort en tant qu'artiste.Pourquoi raconter son histoire ?Mes livres racontent toujours la présence innocente et émerveillée d'une communauté qui ne voit pas venir l'orage et va disparaître à jamais de cette terre puisque même sa mémoire va être effacée.Comment vous êtes-vous documentée ?Le personnage de Kayro est totalement fictif même si je suis partie de Togo Mezrahi, le seul réalisateur juif d'Égypte. Pour le reste, j'ai beaucoup travaillé sur le cinéma égyptien et sur l'époque. J'ai reçu une leçon cuisante pour mon premier roman, envoyé à une vieille juive égyptienne qui m'a dit : « Chéri, tu ne seras jamais Victor Hugo. Page 42, tu parles de la famille assise sur le balcon dînant de fromage et de pastèque. Mais en avril, les pastèques ne sont pas mûres. »Quels souvenirs gardez-vous de l'Égypte de votre enfance ?Notre départ a été d'une telle violence. Un an avant, mon père est mort. Ma mère est tombée malade gravement. Nous les enfants avons été expédiés en Israël dans un kibboutz, à mes yeux une prison. C'était un tel traumatisme qu'une sorte de voile est tombé. Ce qui explique que je ne cesse d'explorer cette histoire.La littérature égyptienne est, elle aussi, désormais très riche. C'est une littérature engagée, humaniste, branchée sur le petit peuple. Le seul endroit où les Égyptiens entendent un son critique sur la politique, la religion, le sort des femmes.Propos recueillis par Yasmine You
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