Comment Chypre est devenue malade de ses banques

Derrière les baies vitrées du siège de la MarfinLaiki Bank, à Nicosie, on garde le silence. La direction ne communiquera pas « avant une quinzaine de jours, la situation est trop sensible». Lundi 2 juillet, l’empressement des autorités à recapitaliser cette banque, de 1,79 milliard d\'euros, a témoigné de l’ampleur de la crise bancaire à Chypre. La Bank of Cyprus estime pour sa part avoir besoin de 500 millions d’euros. Une semaine auparavant, le pays avait réclamé une aide de l’U.E qui pourrait atteindre 10 milliards d’euros. Georges Sklavos, chargé des questions économiques au ministère des Finances conteste toutefois cette estimation. «10 milliards, c’est une rumeur, personne ne connaît ce chiffre. La troïka (à Chypre jusqu’à vendredi) travaille dessus.» Héritage « britannique » Bank of Cyprus et Laiki Bank (« banque populaire ») méritent amplement leur qualificatif « d’institutions». Pilier de l’économie derrière le tourisme et les services, le secteur financier représente 20% du PIB chypriote (18 milliards d’euros en 2012). Un banquier souligne le poids historique de ces établissements : « Héritage de la colonisation britannique, ces banques existaient avant 1960 et ont gagné en puissance». Après le départ des colons, les salariés chypriotes du secteur, souvent sorti du système éducatif britannique, sont restés à la tête de ces établissements. Dès lors, « les banques ont racheté des succursales dans le monde entier et multiplié les activités à l’étranger», résume le banquier. La Bank of Cyprus possède 147 agences sur l’île et s’est implantée en Grèce, en Australie, en Ukraine, en Russie… Et parmi les quelque 20 000 employés des activités de la Laiki Bank, 9000 seulement travaillent en Chypre. Poids russe« L’un des principaux actionnaires de la Bank Of Cyprus est russe, il détient 10% des parts.» L’exemple cité par Alexander Michaelides, professeur d’Economie à l’Université de Nicosie, illustre l’implication de la Russie dans le système financier. « Nos échanges sont élevés, de nombreux investissements directs étrangers en Russie proviennent de Chypre», souligne l’expert. La communauté russophone de l’île, est estimée à 35 000 personnes sur une population totale de 830.000 personnes. Historiquement liée au pays, elle profite beaucoup du taux d’imposition de 10% sur les entreprises. De fait, la diaspora russe détient près de 25% des dépôts bancaires en Chypre et reste très exposée aux défaillances du système.Mauvaise dette GrecqueGourmandes, la Bank of Cyprus et la Laiki Bank, ont massivement spéculé sur la dette publique grecque. Le rachat des titres publics grecs, en 2009-2010, est estimé à plus de 5 milliards d’euros, soit 25% du PIB de Chypre. Alexander Michaelides rappelle que « stratégiquement, les banques ont largement investi en Grèce il y a dix ans. Le pays venait d\'entrer dans la zone euro et le crédit y était en expansion.» Son collègue, Sofronis Clerides, professeur au département économique de l’université, rajoute : « La Banque de Chypre et la Laiki Bank ont d’importantes activités en Grèce, y compris un gros emprunt (un tiers de leur portefeuille total) qui suscite beaucoup d’inquiétudes…» Alexander Michaelides assimile la situation chypriote à « un cercle vicieux » : «La mauvaise situation économique a provoqué une dégradation des banques par les agences de notation (au niveau « spéculatif »), elles ne peuvent plus emprunter sur les marchés internationaux depuis mai 2011.»“Les dépôts restent stables”Conséquence de la crise, les banques grecques ont vu 70 milliards d’euros de dépôts s’envoler en 2 ans. Pourtant, les 830 000 Chypriotes (et les autres clients étrangers) ne se ruent pas aux distributeurs. Comme le confirme Georges Sklavos : « Les dépôts chypriotes restent stables, il a une confiance de la population.» Et d’ajouter : « La situation est très différente de la Grèce, où les pires scénarios (sortie de l’euro, faillite…) ont été évoquées. Ici nous avons encore de bons fondamentaux économiques, comme le tourisme.» Espoirs et incertitudesLa recapitalisation récente des banques espagnoles donne de l’espoir à de nombreux Chypriotes. A l’image d’Athéna, jeune serveuse à Nicosie : « Je ne peux pas croire que nos banques vont couler, l’Europe fera tout pour les aider.» Mike, gérant de deux restaurants prédit : « une recapitalisation en échange de mesures d’austérité.» C’est désormais sur ces mesures de la troïka que se porte la crainte des Chypriotes. Une austérité qui viendrait s’ajouter à la mauvaise santé économique de l’île d’Aphrodite. Le chômage est à 10% cette année. Les touristes se font plus rares. Dans son café qui donne sur l’artère commerciale de la capitale, Lidra Street, Athéna observe les magasins en manque de clients. « Pourvu que nous ne suivions pas la Grèce dans la voie de l’austérité…» 
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