Rêve de crocodile en Terre aborigène

Vu de Darwin, le temps du rêve aborigène ne se laisse pas remonter si facilement. Dans la capitale du Territoire du Nord, c'est bien la modernité des lieux qui frappe le visiteur, en même temps que les rayons d'un soleil sans concession. Malgré ses excès de jeunesse, qui font sourire ou soupirer les locaux tatoués de la tête au pied, Darwin n'en garde pas moins l'esprit pionnier des vieilles villes frontières d'autrefois. Un lieu de transit sous les tropiques, hier pour les « stockmen » qui accompagnaient les grands troupeaux, aujourd'hui pour les touristes qui filent vers l'est suivre la piste du crocodile dans les trous d'eau de Kakadu. Passé l'Alligator River qui porte bien mal son nom, les panneaux routiers représentant des sauriens stylisés la gueule ouverte ne tardent pas à avertir du danger. D'ici à la mer d'Arafura, la région en est infestée. Plus de 50.000 crocodiles barboteraient dans les marigots du Top End, remplissant à l'occasion les colonnes de faits divers du journal local.À 150 kilomètres de Darwin, l'océan de verdure de Kakadu abrite heureusement nombre d'espèces toutes aussi prolifiques mais bien plus pacifiques. À commencer par les 300 variétés d'oiseaux en tous genres venus nicher dans ses marécages pour former la plus grande volière du pays. Sur les eaux troubles de la Yellow River, un jabiru sort parfois le bec de son nid pour toiser le marais, pendant que le petit jacana à tête rouge se prend pour le Christ en marchant littéralement sur les flots, sous le regard des crocos, mâchoires béantes sur dentition parfaite, qui se tannent imperturbablement le cuir sur la berge. La nuit au Gagudju permet de rester dans l'ambiance. Tel un totem dédié à l'animal sacré, l'hôtel a pris la forme du dieu crocodile. Pas d'autre choix que de se jeter dans la gueule du fauve aux écailles en tôle ondulée pour débarquer dans le lobby, avant de rejoindre sa chambre située quelque part entre la quatrième et la cinquième vertèbre, avec vue sur la piscine qui sert de coeur à la bête. Dans le Top End, les traces du crocodile ne sont jamais très éloignées des empreintes laissées dans le sable par les Aborigènes. Les premiers habitants du pays ont juste pris un peu de hauteur pour échapper au prédateur, délaissant la plaine inondée pour les falaises d'Ubirr et de Nourlangie dans le Kakadu ou les contreforts du plateau oriental d'Arnhem Land. À l'abri du granit poli par les pluies, les peintures rupestres, dont certaines contemporaines de Lascaux, y racontent l'histoire mouvementée d'un peuple vieux comme le monde, établi sur une terre étrange et mystérieuse où les arbres préfèrent perdre leur écorce plutôt que leurs feuilles et où des chutes d'eau venues de nulle part disparaissent dans des paysages d'une aridité à fendre la pierre. Le crépuscule ajoute à la confusion, quand hurlent près de la tente des dingos qui ont le bon goût de garder leurs distances. Entre rêve et réalité, l'Australie du « bout du monde » n'en finit pas de révéler, les uns après les autres, ses trésors cachés. Changement de décor et de standing, à moins d'une demi-heure en avion léger de la terre d'Arnhem, lorsque, après avoir survolé les côtes élimées du vieux rocher australien, l'Embraer atterrit dans un nuage de poussière ocre près de la ferme de Bamurru Plains. Posée comme une perle dans son écrin, à l'endroit exact où le bush desséché fait la culbute dans la boue noire des marécages, l'ancienne station d'élevage s'est donné des allures de « lodge » africain, pour le plus grand confort de ses hôtes. Les wallabies bondissent entre les bungalows et devant le large « deck » en teck, quelques buffles, les pieds dans l'eau, ruminent des pousses de riz sauvage. Une balade en aéroglisseur sur l'immensité aquatique qui ouvre l'horizon permet de compléter le tour du propriétaire. Le temps d'une tasse de thé à l'ombre des « Melaleucas » et des eucalyptus qui embaument le marais et le ventilateur géant glisse à nouveau à travers les fleurs de lotus mauve, pendant que, dans son sillage, le Top End replonge déjà dans son éternité. Olivier Caslin, en Australie
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