Les ambitions bridées de Crédit Agricole en Chine

La banque d'investissement du Crédit Agricolegricole renaîtra-t-elle en Chine ? Les derniers épisodes du projet d'alliance de la Banque verte avec le géant chinois Citic rendent cet avenir encore incertain. L'histoire date de mai dernier : la banque française annonce alors un « partenariat d'envergure » entre sa filiale Crédit Agricolegricole CIB et Citic, l'une des premières banques publiques chinoises. Les deux établissements veulent mettre en commun leurs activités de courtage, le Crédit Agricolegricole apportant surtout sa pépite asiatique CLSA (Crédit Lyonnais Securities Asia), la pierre angulaire de l'opération, et Cheuvreux. Le sens de la transaction consiste à combiner l'énorme vivier d'opérations chinoises de Citic avec la distribution mondiale des courtiers du Crédit Agricolegricole, essentiellement celle de CLSA. L'objectif n'est rien de moins que de créer une banque d'investissement leader en Asie avec une plate-forme de distribution mondiale. Mais derrière cet affichage, les ambitions réelles du Crédit Agricolegricole dans ces métiers restent floues et suscitent des inquiétudes fortes en interne.La Banque verte se lance dans ce vaste projet de banque d'investissement en Asie alors que sa « stratégie dans ces métiers demeure une inconnue », déplore un haut cadre de la banque. Cette alliance relève du mariage de la « carpe et du lapin ». D'un côté, le Crédit Agricolegricole a considérablement replié les voiles sur ses activités de marché, va continuer à réduire son bilan et se recentre sur la banque de détail en Europe. En face, Citic explose grâce aux marchés financiers chinois qui croissent de 10 % par an et devrait plus que tripler en dix ans. La puissante banque chinoise, détenue par l'État, ambitionne désormais de devenir la première banque d'investissement d'Asie. Ces deux stratégies radicalement opposées laissent craindre que, à terme, l'un des deux partenaires prenne le dessus sur l'autre.Des craintes d'autant plus justifiées que le projet s'avère plus « défensif » que véritablement stratégique. Début 2009, Citic propose au Crédit Agricolegricole de lui racheter son courtier asiatique CLSA, leader en Asie. Eux rêvent depuis plusieurs années de s'allier à une banque chinoise pour pénétrer le marché local. « On ne pouvait pas refuser à CLSA de faire cette opération sinon on prenait le risque de voir tout le monde partir et de briser cette pépite », reconnaît un haut cadre du groupe. La banque française refuse la vente mais propose alors à Citic une alliance plus large incluant Cheuvreux, afin de réaliser son vieux projet de le rapprocher de CLSA. Une aubaine pour Cheuvreux qui souffre de sa seule présence européenne.L'opération prend corps, mais elle ne rassure pas les troupes en interne. Il y a six mois, l'ancienne direction du Crédit Agricolegricole a mis au point un schéma complexe, composé d'une cascade de holdings. Il permettait au Crédit Agricolegricole de détenir 80 % de la structure de tête, de contrôler CLSA tout en ouvrant son capital à Citic et en récupérant une soulte. Mais depuis, la direction générale de la Banque verte a radicalement changé et le montage du projet, baptisé « Commune », aussi. Selon plusieurs sources, l'alliance se concrétisera par une coentreprise détenue à 50/50 par Citic et Crédit Agricolegricole CIB dans laquelle seront logés CLSA, Cheuvreux ainsi que les activités de courtage chinois de Citic. S'ajouteront des équipes locales de fusions-acquisitions et de marchés de capitaux qui travailleront en coopération avec celles des deux maisons mères. La banque française assure que ce changement résulte d'une contrainte réglementaire imposée par les Chinois. Preuve une fois encore que le rapport de force est clairement en faveur de Citic. Entre-temps, Crédit Agricolegricole a toutefois réussi à augmenter le montant de la soulte que lui versera la banque chinoise. Un pécule d'environ 1 milliard d'euros qui devrait fort opportunément renforcer les fonds propres de la banque.Derrière ce partage présenté comme « équitable » se trouve en réalité un adossement déguisé en alliance instable à long terme. « Une coentreprise à 50/50 est par définition transitoire », reconnaît un proche de l'opération, surtout quand les stratégies des partenaires sont si opposées. « Il est évident qu'un jour Citic cherchera à tout racheter », note un cadre de Crédit Agricolegricole CIB. D'autant que, depuis le début des négociations, Citic est en position d'acheteur et Crédit Agricolegricole dans celle du vendeur.La question est de savoir si Crédit Agricolegricole aura une gestion « patrimoniale » ou industrielle du projet dans la mesure où ses deux courtiers valent environ 2,5 milliards d'euros. En interne, les plus pessimistes craignent que ce mouvement soit un premier pas vers une « vente à terme » des courtiers à Citic. Le temps gagné permettra de mieux les valoriser. Et si les rares optimistes espèrent que ce projet relancera la banque d'investissement, la majorité estime que la banque « avance à reculons » dans ce projet.Au sein de la Banque verte, on assure que « dans son plan stratégique, le groupe confirmera que la banque d'investissement aura toute sa place ». Certes, mais les discours ne se traduisent pas encore par des faits. En avril dernier, un nouveau dirigeant de la banque nous confiait que cette opération « n'était pas stratégique à l'échelle du groupe ». Avant d'ajouter qu'il ne « transigerait pas sur le management », soucieux de contrôler la gestion de la coentreprise. Sur ce point, les préceptes ont été respectés. En termes de management, l'incontournable patron de CLSA, Jonathan Slone, sera le directeur général de la coentreprise, et celui de Cheuvreux, Jean-Claude Bassien, deviendra directeur général adjoint. Au-dessus, le conseil d'administration sera composé à parité de représentants du Crédit Agricolegricole et de Citic. Pour respecter les équilibres, la première présidence tournante devrait être assurée par un Chinois, le vice-président pourrait logiquement être Alain Massiera, le numéro deux de la banque d'investissement (Cacib).Pour autant, la gestion de la société par les dirigeants de la banque française ne garantit pas son unité. Les deux directeurs généraux adjoints de Cacib ne semblent pas sur la même ligne, ce que dément la banque. Le premier, Alain Massiera, est le fer de lance de l'opération chinoise, qu'il pousse depuis le début. Alors que le second, Pierre Cambefort, joue la carte de la prudence et en interne le rôle du représentant - certains disent « l'oeil de Moscou » - de la direction générale du groupe, méfiante à l'égard du projet. Jean-François Marchal, responsable des financements structurés et poids lourd de Cacib, serait de son côté hostile au projet. Au milieu, les patrons de CLSA et de Cheuvreux n'ont pas la réputation d'être des « hommes du Crédit Agricolegricole », c'est un euphémisme. Ils se plaignent depuis trop longtemps de l'inconstance stratégique du groupe dans leurs métiers. De là à penser qu'ils espèrent être un jour vendus à Citic, il n'y a qu'un pas.Matthieu Pechberty
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