La Chine est devenue le premier marché mondial du ciment. En quoi une telle montée en puissance modifie la donne??La Chine fait comprendre aux pays occidentaux que le monde est en train de changer. Le rapport de forces est lié à la taille de l'économie chinoise. Quand la Corée du Sud s'est développée, cela n'inquiétait personne. Il faut la taille de la Chine, qui, dans le ciment, représente 50 fois le marché français en volume et 25 fois en valeur, pour ébranler le monde occidental. Nous avons énormément appris de la Chine?! Nous avons appris à penser en grand et plus rapidement, à nous remettre en cause de manière profonde.Pour le Vieux Continent, la Chine est-elle une opportunité ou une menace??Tout mouvement est une menace si on ne réagit pas. Les positions de Lafarge en Europe ne sont pas menacées par la Chine?! Il est vrai que nous avons la chance d'avoir un business très local. Le ciment est un produit lourd qui se transporte difficilement.Au-delà, nous nous sommes construit des positions solides dans quatre provinces du coeur de la Chine, autour de la mégalopole de Chongqing qui compte 32 millions d'habitants. La Chine représente donc clairement pour nous une opportunité. Il y a trente ans, Olivier Lecerf, un de mes prédécesseurs à la tête de Lafarge, craignait que le ciment soit un métier sans avenir. Lafarge était alors présent essentiellement dans les pays développés, déjà matures, la moitié du monde était communiste, tandis que les autres pays étaient souvent perçus comme très risqués. C'est pourquoi il investissait dans les biotechnologies, dans des produits réfractaires, dans les céramiques sanitaires afin de se diversifier. Mais en prenant une année sabbatique, il a découvert l'Asie de manière plus approfondie et décidé d'acquérir en 1994 une petite position à Pékin à partir d'une mise de fonds raisonnable (50 millions de dollars). Nous détenons aujourd'hui 10 % du marché dans quatre provinces du centre de la Chine qui représentent à elles seules, en volume, trois fois le marché américain du ciment?! L'ouverture du monde, et entre autres de la Chine, a clairement changé la donne et nous a ouvert un potentiel considérable. Aujourd'hui, les marchés émergents représentent plus de 80 % du marché mondial du ciment et plus encore dans les années à venir.Pouvez-vous lutter à armes égales avec la concurrence chinoise sur le marché chinois??Dans la plaque de plâtre où nous disposons en Chine de quatre usines, nous avons constaté quelques cas de copie de nos produits. Soit on regarde cela négativement comme de la prédation, soit on regarde cela positivement comme une forme de reconnaissance de la valeur de la marque. Au-delà, pour nous développer en Chine, il nous a fallu comprendre comment nos concurrents chinois fonctionnent et essayer de devenir plus performants qu'eux en nous inspirant de leurs meilleures idées. Ainsi, nous avons appris à réduire nos coûts d'investissement, à repenser la conception et le management de nos cimenteries, à inventer un nouveau rapport avec les équipes de management. La Chine oblige aussi à aller plus vite. En Chine, tous les trois mois, les choses évoluent et notre business aussi.De ce fait, vous changez vous- mêmes??Nous avons appris à réussir en Chine et réussir en Chine permet de réussir ailleurs encore mieux. Nous avons ainsi édifié une station de broyage de clinker à Bordeaux en fonction des principes chinois. Accepter ce défi fait partie de ce qui constitue une entreprise gagnante. Les clients des pays développés nous font progresser dans la technique et la sophistication. Les clients des pays émergents nous font progresser dans la vitesse de développement et dans toutes les questions liées à la construction durable. C'est dans ces pays que sera édifiée une part considérable des nouveaux bâtiments. Quatre milliards d'habitants ne disposent pas aujourd'hui d'un logement décent. Si on pense construction durable, ce n'est pas la construction neuve dans les pays développés qui va modifier la donne.Propos recueillis par Sophie Sanchez

latribune.fr

10 Août 2010, 10:53

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