Des hommes à la mère

C'est l'une des plus grandes conteuses de la littérature francophone. Mais ne comptez pas sur Fatou Diome pour donner dans les belles histoires consensuelles ou folkloriques. Son écriture puissante et imagée « fouraille » cette fois encore, avec « Celles qui attendent », les entrailles de l'Afrique. Elle s'empare du thème de l'émigration à rebours pour raconter celles restées au pays dans l'attente d'un père, d'un fils, d'un mari. Et rappelle le sort indigne réservé aux femmes dans certaines contrées du continent noir. Fatou Diome s'est choisi pour cette fois deux héroïnes, Arame et Bougna. Deux meilleures amies mal mariées dont les fils sont au chômage. Et plus encore depuis que les grands chalutiers occidentaux viennent pêcher au large de leur île, vidant les côtes du poisson qui nourrissait la population locale depuis la nuit des temps. Arame a été mariée à l'âge de 18 ans à un grabataire acariâtre incapable de faire vivre les siens. Deuxième épouse de son mari, Bougna doit cohabiter avec la première femme qui règne sur la maisonnée depuis que son fils aîné a réussi. Alors, pour s'offrir une vie meilleure, les deux amies décident d'envoyer leur garçon en Europe.Polygamie, coépouses, enfants à l'avenir bouché... Diome donne la parole à celles que l'on n'entend jamais. Elle porte sur ces femmes un regard d'une infinie tendresse mais qui n'en est pas moins lucide. Ainsi n'hésite-t-elle pas à rappeler que ce sont ces mêmes femmes qui imposent le sort ignoble qui leur est réservé à leurs belles-filles.Cette fresque sociale n'épargne au fond personne et c'est ce qui la rend salutaire. L'écrivain n'hésite pas à pointer du doigt l'angélisme des Occidentaux qui prônent la décroissance alors que les femmes africaines, elles, rêveraient bien d'une machine à laver pour éviter de continuer à s'abîmer dans des tâches épuisantes. Il y a parfois de la colère dans ce livre remarquablement écrit. Et c'est aussi ce qui rend ces pages aussi vibrantes.Yasmine Youssi« Celles qui attendent », Flammarion, 336 pages, 20 euros.
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