Moralisons intelligemment les métiers d'intelligence économique

ChroniqueLes entreprises et l'État font appel à un nombre croissant de partenaires dans la recherche d'informations économiques, industrielles ou financières. Cette sous-traitance de missions souvent sensibles rend perméable leur « coeur de métier ».Le problème est aigu : l'offre est hétérogène en qualité et en nationalités ; le quasi-monopole par des sociétés anglo-saxonnes de certains de ces services constitue une dépendance de fait. Le développement des sociétés de renseignement privé ou d'intelligence économique (IE) constitue donc un enjeu de sécurité nationale. Leur existence et leur utilité ne sont pas en cause. Mais la nature de leur métier exige des précautions particulières ; leur activité n'est pas neutre au regard du respect des libertés publiques et les entreprises ont besoin de partenaires offrant des garanties d'éthique, de confidentialité et de professionnalisme.Le projet de loi Loppsi 2 intégrait des dispositions relatives à « l'activité privée d'intelligence économique » que le gouvernement soumettait à un régime d'autorisation assorti d'un dispositif pénal. Le Conseil constitutionnel vient de les déclarer non conformes à la Constitution, confirmant les réserves expresses que j'avais exprimées auprès des pouvoirs publics. Si légitime que soit le souci de moraliser cette profession, ce dispositif était inutile, contournable et dangereux. Les infractions commises par certains individus et sociétés prétendant exercer une mission d'IE (vol de documents, atteinte à la réputation...), comme leurs sanctions, relèvent déjà du droit pénal. Certes, ce droit est lacunaire : c'est pourquoi j'ai déposé une proposition de loi cosignée par 140 députés, pour protéger les informations économiques sensibles des entreprises. Le droit commun doit donc s'appliquer, quitte à être complété. Il n'est nul besoin de jeter l'opprobre, par un régime d'autorisation, sur une profession composée pour l'essentiel de personnes irréprochables.La « recherche et le traitement d'informations », selon la définition de cette profession dans le projet de loi, ne sont pas le monopole des sociétés d'IE : de nombreuses entreprises ont créé de tels services. Et si seules les sociétés dites d'IE devaient être soumises à un cadre juridique, il suffirait à celles entendant s'affranchir de celui-ci de loger leurs activités délictueuses dans des sociétés présentant un autre objet social, un cabinet d'avocats ou une société domiciliée à l'étranger. Le dispositif gouvernemental était une « ligne Maginot ». Et il aurait donné à des sociétés notoirement liées à des services de renseignement étrangers, fonctionnant en France sous forme de coquille vide et sous-traitant d'éventuelles activités illégales à des prestataires domiciliés à l'étranger, une façade respectable. On ne peut pas plus confier à un syndicat professionnel la mission d'encadrer des métiers « imprécis » selon le Conseil constitutionnel (veille, influence) auxquels les médias, voire les intéressés eux-mêmes, ont agrégé des prestations dans la sécurité des systèmes d'information ou de protection de nos ressortissants à l'étranger, qui ne relèvent pas de l'IE. Un syndicat n'est doté d'aucune prérogative de puissance publique et ne dispose d'aucune légitimité ni d'aucun moyen de contrôle éthique et technique de ses adhérents. Les seules solutions compatibles avec notre droit, la liberté d'entreprendre et l'intérêt de notre pays ont été formulées dans mon rapport au Premier ministre de 2003 (*) qui définit le contour et le contenu d'une politique publique d'IE. Ce rapport répond à toutes les problématiques d'IE, puisque, depuis 2003, l'administration française n'a pas émis une idée nouvelle. Seule la Direction centrale du renseignement intérieur est en mesure d'apprécier l'éthique et la compétence professionnelle des entreprises d'IE. Ses antennes régionales, saisies par les préfectures de région, sont les guichets naturels des entreprises à la recherche de ces compétences. Il suffirait que chaque société revendiquant des compétences d'IE se « déclare » auprès des services de l'État, qui en communiqueraient la liste sur demande. Ce qui aurait un effet dissuasif sur les amateurs de turpitudes et éviterait les risques de contentieux. (*) « Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale », La Documentation Française, juillet 2003.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.