« Poil de carotte », le mal d'amour

Il fut un temps où le roman de Jules Renard, « Poil de carotte » comme « le Petit Chose » d'Alphonse Daudet, « la Petite Fadette » de George Sand, ou encore « Sans famille » d'Hector Malot, étaient les lectures obligées de l'adolescence. Aujourd'hui Harry Potter a tout renversé sur son passage, laissant derrière lui une certaine idée de l'éducation enfantine. Mais parmi ces petits héros de la première heure, un seul résiste encore : Poil de carotte, tête haute et cheveux toujours aussi roux. Bien décidé à ne pas se faire oublier, le voici sur la scène du studio-théâtre de la Comédie-Française dans sa version théâtrale. Ici, il est un peu chez lui. C'est là que l'oeuvre, adaptée par Jules Renard lui-même, va connaître un vif succès et provoquer un scandale en 1912. On lui reproche sa « vision outrageante de la famille française ». Si le thème est le même, la pièce est cependant moins cruelle que le roman. En effet le portrait de Poil de carotte, ce garçon de 16 ans détesté par sa mère, n'exprime là aucune méchanceté en riposte de l'attitude de celle-ci. Sa rage, sa haine, il les garde à l'intérieur de lui-même, montrant même par moment une certaine compassion. C'est d'ailleurs la bonne Annette qui le révèle tel qu'il est et non tel qu'il se pense. S'il met la famille en miettes, Jules Renard décrit surtout dans sa pièce le manque d'amour qui dévaste tous les personnages. Que ce soit à travers le père qui découvre son fils et lui fait prendre conscience de l'amour, ou par la mère figée dans sa raideur et qui n'a que comme seule riposte au sentiment de ne pas être aimé, qu'une cruauté dévastatrice. Un portrait toujours audacieux. La mise en scène tendre et intelligente de Philippe Lagrue suit tous les méandres de ces passions haineuses. Il y a une profonde vérité qui touche et permet d'aimer tous les personnages. Il est vrai qu'ils sont merveilleusement incarnés par Grégory Gadebois, père bourru, d'une gentillesse inavouée, mais blessé dans son âme. Benjamin Jungers est étonnant d'innocence et de fureur rentrée. Catherine Sauval évite toute caricature dans le rôle pourtant fragile de la mère. Sans oublier Coraly Zahonero, pimpante, allègre d'une fraîcheur réjouissante au milieu de ce brasier des passions mortifères. Il est à remarquer que le rôle de Poil de carotte a été tenu jusqu'en 1953 par une femme. C'est Jean-Paul Roussillon qui en fut le premier interprète masculin. Jean-Louis Pinte Studio-théâtre de la Comédie-Française, Carrousel du Louvre. Tél. : 01.44.58.98.58. du mer. au dim. à 18 h 30. Jusqu'au 8 mai.
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