Le « chat de Schrödinger » et la (juste) appréciation des sanctions

À la suite de la réformation le 19 janvier 2010 par la cour d'appel de Paris du montant des sanctions imposées par l'Autorité de la concurrence à ArcelorMittal, le rapport de la commission Folz a donné une impulsion nouvelle à la réflexion sur l'attribution des sanctions des pratiques anticoncurrentielles. En droite ligne des recommandations préconisées par le rapport, l'Autorité de la concurrence a lancé mi-janvier une consultation publique sur un projet de lignes directrices pour un meilleur calcul des sanctions pécuniaires en cas de violation du droit de la concurrence.Ces lignes directrices tant attendues répondent à un besoin de prévisibilité assez largement exprimé et compréhensible de la part des entreprises et de leurs conseils juridiques. Pour autant, la prévisibilité du montant des sanctions qui peut être individuellement prononcé dans un cas est-il l'élément déterminant d'une politique « répressive » juste et efficace en matière de respect de la concurrence ? On peut en douter lorsque l'on se réfère aux principes du droit pénal dont le droit de la concurrence ferait bien de continuer à s'inspirer.Il est vrai que le droit de la concurrence a été pris d'assaut par certains économistes, en vue d'affranchir une large partie des règles de concurrence de ces apports. Ainsi, une certaine conception du droit de la concurrence revendique aujourd'hui une définition, non plus abstraite et a priori des règles (comme la limitation de vitesse dans le code de la route) mais en fonction de l'appréciation d'une autorité administrative, a posteriori, du cas d'espèce considéré (appliqué au code de la route, cela reviendrait à définir, après coup, la vitesse à laquelle l'automobiliste aurait dû rouler). Celui-ci a priori licite ne devient illicite a posteriori que dans le contexte d'un marché particulier. Il en va ainsi, par exemple, des échanges d'informations entre concurrents, lesquels sont licites ou non, selon l'appréciation que l'on porte, ex post, sur le caractère oligopolistique du marché.Ce qu'apporte le droit pénal moderne, notamment à travers les travaux de Beccaria (1738-1794), ne tient précisément pas à une meilleure prévisibilité des peines. Sous l'Ancien Régime notamment, comme le montrent les premières pages de « Surveiller et Punir », toutes les sanctions étaient très précisément connues à l'avance, avec un luxe de détail, l'enchaînement des sévices et leur publicité participant d'après les conceptions de l'époque, à la nécessité de réparer l'atteinte faite à l'autorité du roi. Il tient à la nécessité de leur strict dimensionnement à la violation d'une règle de droit, non pas fluctuante, mais totalement préétablie par la loi et hors l'influence du juge. Si la peine est prévisible, ce n'est pas ainsi dans son quantum qu'elle doit l'être, mais dans son rapport à une norme précise que le délinquant ne pourra prétendre ne pas avoir connu. Qu'importe en effet (presque) le châtiment, si l'on ne peut connaître avec suffisamment de précision la norme qu'il faut respecter pour l'éviter... notamment parce que sa définition est entre les mains d'un juge qui la définit « en jugeant », le cas échéant, sous l'influence de ses conceptions moralisantes ou ses conceptions propres.Comme dans l'expérience du « chat de Schrödinger », où le pauvre animal (théorique) est simultanément mort et vivant tant que l'on n'ouvre pas la boîte qui le contient, l'entreprise est, trop souvent aujourd'hui, en situation virtuelle et continuelle de violation/non-violation des règles de pratique concurrentielle. Ce qui est insupportable et contestable surtout lorsque son sort dépend in fine de la décision d'une autorité administrative motivée, tout ou partie, par la dénonciation par un concurrent qui obtiendra, en contrepartie, une immunité des poursuites. Faut-il pour autant en conclure que les paradoxes de la physique quantique doivent inspirer le droit de la concurrence.
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