Un père et passe

À Rabat, à l'orée des années 1970, les femmes enceintes se refilaient son adresse comme un sésame à leur entrée dans la vie de mère. D'une douceur sans égal, le docteur Maman (prononcer Mamane), gynécologue, obstétricien et chirurgien officiant à la clinique du Bouregreg, savait apaiser les mères, rassurer les pères, permettre aux futurs parents d'écouter le coeur du bébé à naître (une première à l'époque). C'est l'histoire de ce médecin exceptionnellement humain qu'a choisie de raconter Éric Fottorino, le directeur du journal « Le Monde ». L'histoire de son père. Et de réussir un récit bouleversant et magnifique sur l'identité, le départ des Juifs du Maroc dans les années 1970, la morsure toujours à vif de l'exil.Mais « Questions à mon père » est d'abord l'histoire d'une rencontre ratée entre un papa et son fils. Né à Fès, Maurice Maman part faire ses études de médecine à Bordeaux. Il s'éprend d'une jeune fille qui tombe enceinte. Malheureusement, elle n'a pas l'âge de la majorité. Et lui, est obligé de rentrer au pays pour renouveler ses papiers. Lorsque Éric naît, sa grand-mère maternelle s'empresse de le déclarer de père inconnu. Et menace sa fille de lui retirer son enfant, si elle se remet avec Maurice Maman. C'est seulement à 17 ans, alors que sa mère s'est remariée avec Michel Fottorino qui l'a adopté («  L'homme qui m'aimait tout bas », Gallimard), qu'Éric parvient à retrouver son père biologique. Mais les rencontres, très espacées, sont vindicatives de la part du fils qui en veut à Maurice et s'empêche de l'aimer par peur de blesser l'homme qui lui a donné son nom. À la mort de celui-ci, ils ont fini par se retrouver. Éric pose alors des questions par mail, auxquelles le père répond. Et raconte les siens, l'antisémitisme, le rapport au Maroc qu'il a toujours dans la peau, à la France adorée, et aux Français évoqués « sur un ton où la méfiance le dispute à la déception ». Fottorino retranscrit tout cela avec une justesse et une délicatesse à vous arracher des larmes. Et à travers l'émerveillement que lui procure la découverte de cet homme, c'est sa propre identité qu'il parvient à définir. Yasmine Youssi« Questions à mon père », Gallimard, 201 pages, 16,90 euros.
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