Transsibérien Blaise Cendrars des écrivains : Au coeur de l'Oural

À l'approche des contreforts de l'Oural, le Transsibérien arrête de filer droit, sa voie se fait sinueuse, les paysages s'arrondissent. Dans les villages clairsemés, entre champs en pâture et forêts de bouleaux, les maisons de bois aux fenêtres sculptées ne laissent rien transparaître de leur intérieur ; les premières pousses des plantations sortent de terre dans les potagers attenants ; les antennes de télévision se comptent sur les doigts de la main. Aucune affiche publicitaire ne jalonne le parcours. Dans les collines, quelques rares voitures sillonnent des chemins de terre. Un dicton veut qu'en Russie, il y ait des directions, mais pas de route. À 1.417 kilomètres à l'est de Moscou, Iekaterinbourg - qui revendique, elle aussi, la troisième place des villes de Russie - sait recevoir. La cérémonie du pain et du sel attend les écrivains, en signe de bienvenue. Le chef de la fanfare n'a pas l'air commode ? C'est une erreur. Sur un simple signe de tête de Claude Crouail, le consul de France, les représentants de l'Armée rouge se métamorphosent en showmen de Broadway. Le chef d'orchestre bondit, le trompettiste sautille, le trombone et le clarinettiste dansent le madison. L'assistance en reste d'abord bouche bée. La caravane est en retard, mais les zygomatiques flirtent avec les sommets.Difficile d'imaginer que, jusque dans les années 1990, Iekaterinbourg était une ville interdite aux étrangers. Poumon industriel de la Russie soviétique, la capitale de la civilisation des mines de l'Oural est le berceau du constructivisme. Sa principale usine, Ouralmach, alimentait toute l'industrie lourde en acier. Conçue comme le Versailles du soviétisme, elle avait été bâtie, selon la légende sur les lieux mêmes où le tsar Nicolas II et sa famille avaient été enterrés. En vérité, les historiens ont depuis démontré qu'il n'en était rien. L'église du Sang Versé leur rend hommage. Conçue par les mêmes architectes qui ont reconstruit la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou, dans un style néo-byzantin clinquant, elle est bâtie sur un parking souterrain, là-même où les Romanov ont perdu la vie. Non loin, la plus ancienne église orthodoxe de la ville manque cruellement de subventions pour ne pas tomber en ruines. Les oligarques de l'ancien bastion de Boris Eltsine, l'oblast de Sverdlovst, n'en ont cure, tout occupés qu'ils sont à la modernisation de ce que l'on appelait au milieu des années 1990, le Chicago de l'Oural, tant la ville était en proie aux règlements de compte entre mafias. La nuit, il n'est pas rare qu'un incendie réduise en cendres des demeures historiques sur lesquelles, quelques semaines plus tard, surgissent les fondations d'un nouvel immeuble. Sont-ce les faits d'armes de l'homme invisible, pour qui la ville a érigé un monument ? À la conférence de presse, ébranlée d'avoir vu combien la misère ici côtoie les signes les plus criants de richesse, Danièle Sallenave, l'esprit aiguisé, interpelle l'audience. « Qui construit ces buildings ? Avec quel argent ? Qui en profite ? » Isabelle Lefort
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.