Les « think tanks » cogitent au service du G20

Le temps de l'urgence et de l'affolement étant passé, avec le sommet de Pittsburgh on entre aujourd'hui dans le dur : définir les nouveaux principes de régulation et de supervision mondiale de façon suffisamment précise pour éviter une nouvelle crise systémique. « Le sommet de Pittsburgh est celui du grand défi plutôt que du grand risque, résumait Christine Lagarde à la veille du G20. Notre but est d'expurger une culture du risque qui a été mortifère pour le système. » L'affaire étant infiniment complexe, il ne saurait y avoir, en la matière, ni coup de baguette magique, ni réponse évidente pour parer aux dysfonctionnements d'un système financier qui a échappé à toutes les vigies existantes. Mais cette difficulté majeure a contribué à ouvrir les esprits à des solutions nouvelles qui, il y a quelques mois, auraient été proprement impensables. Nombre de « think tanks » d'Europe et des États-Unis qui ont planché sur les conditions de cette crise inédite, ont ainsi formulé des propositions au service du G20. Solutions qui, pour être parfois très techniques, n'en esquissent pas moins des mini-révolutions pour bâtir un nouveau monde. n Les bonus des traders. Sur la question emblématique de ce G20, l'Institut Thomas More suggère que les traders ne soient gratifiés que sur leur performance relative ? ce que l'on appelle l'alpha. Et ce, non sur trois ans, mais sur la durée des cycles économiques, soit cinq années. De surcroît, le bonus de l'année 1 ne serait libéré en année 6, que si et seulement si le trader n'a pas généré, sur cette période, de pertes pour son établissement. Et, même s'il décidait de quitter son établissement avant les cinq ans, il ne pourrait toucher ses bonus qu'aux échéances prévues. Seul un licenciement, non justifié par des pertes, lui permettrait de récupérer avant l'heure l'intégralité de ses bonus. n Les stock-options des dirigeants. Il faudrait, préconise encore ce « think tank » européen indépendant, aligner les intérêts des dirigeants et intervenants sur les marchés avec ceux de leurs actionnaires, selon des principes fixés par une charte identifiant les risques de situation asymétrique entre les deux parties. Et seuls les dirigeants ayant réalisé des performances supérieures à celles de leurs pairs dans le même secteur d'activité pourraient en bénéficier. Et libérer leurs gains un an seulement après la fin de leur mandat, sans possibilité de couverture ou de vente à terme dans l'intervalle. L'Institut Thomas More recommande aussi de leur interdire tout bonus en cash, et de mettre fin aux cadeaux de départ comme aux retraites chapeaux. n Code de bonne conduite et liste noire. Si le G20 ne parvenait pas à limiter les rémunérations dans la finance, le très libéral Institut Montaigne préconise que les acteurs de la finance dans le monde élaborent ensemble un code de bonne conduite, dont le respect serait la condition pour pouvoir participer aux appels d'offres des organes publics comme des institutions multilatérales. Les récalcitrants se verraient automatiquement mis à l'index, et ainsi interdits de travailler avec les clients susnommés. Une banque présente dans un paradis fiscal pour optimiser la performance de ses fonds ou les rémunérations de ses employés ne pourrait plus gérer les fonds de retraite d'État, ni participer à l'émission d'obligations souveraines. n La banque, un service public. Considérant que l'on ne peut demander aux contribuables de financer les banques sans contreparties, le « think tank » altermondialiste Attac recommande que le système bancaire soit reconnu service public, et contrôlé publiquement afin de servir d'abord les priorités politiques de financement. Comme Nicolas Sarkozy, ce « think tank » propose de sanctionner les entreprises travaillant dans les paradis fiscaux. Et d'interdire à la fois les hedge funds, facteurs d'instabilité des marchés, et les marchés de gré à gré, source d'opacité. Enfin, Attac recommande à nouveau la taxation des activités spéculatives. n Accompagner la sortie de crise. Gare à ne pas retirer trop brutalement le double soutien budgétaire et monétaire, demande la Brookings Institution, car les économies, qui ne créent toujours pas d'emplois, restent fragiles. Une demande paradoxale du « think tank » américain de centre gauche qui, dans le même temps, se demande si les liquidités massives injectées dans le système ne préparent pas d'ores et déjà la prochaine crise. Et qui s'inquiète de l'effet d'éviction sur l'investissement privé des déficits publics. n Traiter séparément normes comptables et normes prudentielles. Dans le débat sur les règles procycliques fautrices de crise, ne pas confondre normes comptables et règles prudentielles, alerte le « think tank » européen Bruegel. Les premières sont là pour informer le marché, les secondes visent à assurer un matelas de fonds propres aux banques en cas de coup dur. Ce sont ces dernières qui, quand les marchés baissent, contraignent les banques à vendre leurs actifs et à accélérer leur chute. Mieux vaut responsabiliser les régulateurs bancaires en leur donnant toute latitude en matière d'évaluation des risques, que de changer les normes comptables. Car cela ne ferait que différer la prise de conscience des problèmes de solvabilité des banques. n Faire atterrir en douceur le dollar avant de créer un nouvel ordre monétaire tripartite. Pour que l'euro soit enfin reconnu mondialement comme monnaie de transaction et de réserve, l'Institut Montaigne préconise d'augmenter les émissions d'Eurobonds, et de créer des contrats de matières premières libellés en euros. De quoi accompagner l'inévitable glissement du dollar, et préparer l'émergence d'un système monétaire tripartite. n Réformer le FMI pour rééquilibrer l'économie mondiale. Partant du principe que les pays d'Asie accumulent d'énormes réserves de change pour se prémunir contre une crise des balances des paiements, et s'affranchir de la surveillance du FMI, le Cepii à Paris, comme la Brookings Institution à Washington, proposent tous deux de modifier au plus vite l'équilibre des pouvoirs au sein du FMI. Objectif : lui donner à la fois plus de légitimité et d'indépendance vis-à-vis de ses grands actionnaires. À commencer par les États-Unis dont le FMI n'a jamais critiqué les déséquilibres extérieurs et intérieurs. Pour que le FMI devienne une instance où l'on ose aborder la question centrale des déséquilibres, estiment la Brookings Institution, le Cepii et l'Ifri, il faudrait lui donner un pouvoir politique. Par exemple, propose l'Ifri, créer en son sein un conseil exécutif comme cela avait été prévu lors de sa création ! n Créer le big-bang d'un « nouveau multilatéralisme ». Ce qui est frappant dans les réflexions menées aujourd'hui par tous les « think tanks », c'est l'appel quasi unanime ? à l'exception notable de la Rand Corporation ? à l'adoption de règles du jeu fixées de façon multilatérale. Le Center for American Progress, proche de l'administration Obama, estime que, pour promouvoir une vraie croissance durable, fondée sur une bonne allocation des ressources, il faut rénover sans plus attendre toutes les institutions multilatérales existantes dans le sens d'un renforcement sensible de leurs pouvoirs. Pour tous, y compris pour la Brookings Institution qui veut faire du G20 l'organe directeur de la gouvernance mondiale, c'est bien le sens de l'histoire.
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