Le Qatar cherche-t-il vraiment à se retirer des négociations à Gaza ?

OPINION. Depuis le début, le Qatar joue un rôle déterminant et a permis la libération de quelques dizaines d'otages mais le processus s'enlise depuis des semaines et des semaines. Par Sébastien Boussois, Docteur en sciences politiques*
(Crédits : J. Brouckaert / LT)

Depuis plusieurs jours, Doha a informé par la voix de son Premier ministre et de son ministre des Affaires étrangères Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani, son désir de réévaluer son rôle dans les négociations qui ont lieu depuis sept mois entre Israël et le Hamas pour un cessez-le-feu et la libération des otages. Depuis le début, le Qatar joue un rôle déterminant et a permis la libération de quelques dizaines d'otages, mais le processus s'enlise depuis des semaines et des semaines.

Car après la mort de près de 33.000 Gazaouis, faisant suite à l'attaque du Hamas et la mort de près de 1.200 Israéliens, les deux entités ont atteint un point qui pour beaucoup semble de non-retour. Pourtant, quid de l'avenir si l'on ne pousse pas au plus vite pour une reprise du dialogue et le retour à la « normale », si tant est que cela signifie quelque chose au Moyen-Orient ? Il faut passer du bruit des armes à celui des voix.

Mais la question se pose aussi pour l'avenir de Gaza et de son administration qui semble plus flou que jamais. C'est pour cela que la guerre a encore du bon pour Netanyahou qui s'est fixé des objectifs de guerre quasi-inatteignables (la destruction totale du Hamas, mais quid de son idéologie ?), afin de pousser à l'extrême le curseur de la vengeance et satisfaire sa coalition plus radicale que jamais.

Le Qatar n'est pas du genre à renoncer face à la tâche pour ramener toutes les parties à la table des négociations, mais plusieurs problèmes se posent depuis quelques temps et qui ne facilitent pas la reprise des discussions ni la conclusion d'un accord.

La difficile médiation

Tout d'abord, Doha fait face à un Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, intransigeant et qui rejette tout : le cessez-le-feu, un État palestinien, la relocalisation des Gazaouis sur tout le territoire. Bien qu'il envoie depuis des semaines régulièrement une délégation israélienne, on sent bien qu'il ne tient pas à un arrêt des hostilités. C'est dans la guerre qu'il fait oublier ses manquements du 7 octobre avec son ministre dit de la Sécurité nationale, l'extrémiste et suprématiste Itamar Ben Gvir. Celui-là même qui est décrié de toutes parts, car il vient de désigner l'État hébreu dans la série de bombardements qui ont eu lieu en Iran la semaine dernière. Pour le cabinet de guerre, de toute façon, c'est le retour complet de tous les otages (vivants et morts), sinon rien.

Le Qatar est à la peine ensuite avec un Hamas, qui joue double jeu : la négociation avec les exigences de cessez-le-feu total, la libération du plus grand nombre de prisonniers palestiniens (y compris les plus dangereux pour la sécurité d'Israël), la vie et l'amnistie de facto de ses dirigeants officiels. De l'autre, le groupe islamiste joue la carte de la résistance sur le terrain mettant en danger aussi les civils gazaouis comme depuis le début, entretenant le lien avec l'Iran pour continuer à recevoir des armes, et profiter pour ses dirigeants du confort à Doha. C'est pour cela que l'idée d'en finir avec la présence sur le sol qatari de Khaled Mechaal et Ismaël Haniyeh ( qui parvient même sans complexe à glorifier la mort de ses trois fils morts au combat contre Israël) est dans la balance actuellement.

Enfin dernier point, le Qatar, s'il est allié avec les États-Unis pour posséder sur son sol la plus grande base américaine hors-sol, est excédé par Joe Biden. On fait face à un manque criant de leadership de Biden, une administration américaine de moins en moins efficace dans les discussions, à quelques mois des élections et le probable retour de Trump, un Président Biden totalement pro-israélien et incapable de la moindre influence sur Netanyahou qui le mouche régulièrement, et une Amérique qui a posé son veto encore dernièrement contre le cessez-le-feu au CS des Nations Unies, mais également contre la reconnaissance de la Palestine comme membre à part entière des Nations-Unis.

Enfin, le Qatar sait que l'autre partenaire de négociation n'est pas acquis à sa cause : Sissi déteste les frères musulmans et le Hamas et l'Égypte plus proche de l'autorité palestinienne totalement marginalisée depuis le début de la guerre, qui attends son heure, avec l'ennemi émirati en sous-main.

Doha fait donc de plus en plus un grand écart intenable et il réfléchit au meilleur moyen de tirer son épingle du jeu pour parvenir à ses fins. Depuis des années, le Qatar a acquis une solide expérience de la médiation, mais le conflit israélo-palestinien est quasiment un cas d'école insoluble. Pour le moment, il fait pression pour se repositionner sur l'échiquier, réfléchir à l'après Biden, établir des contacts avec l'Autorité palestinienne pour éviter que Le Caire lui dame le pion, peser enfin comme il l'a fait jusque maintenant pour rester dans le jeu des puissances régionales qui seront, face à l'impuissance de la communauté internationale, celles capables de dénouer ce nœud gordien de la géopolitique mondiale. Doha en aura-t-il les épaules ?

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(*) Sébastien Boussois, Docteur en sciences politiques, chercheur en géopolitique, enseignant en relations internationales á l'IHECS (Bruxelles), collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), du CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et du NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm)

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