Pour une éthique de la mondialisation

Voici les « Réflexions sur l'argent et la morale dans un monde incertain », de Stephen Green, enfin traduit en français. Plus aucune raison d'ignorer cet essai aussi érudit que passionnant de ce banquier éveillé. « Valeur sûre », en effet, que ces propos fiables et solides sur le grand bazar de la mondialisation. Une bonne boussole, en somme, que nous propose ce banquier, pasteur anglican à ses heures, qui a toujours tenté de réconcilier argent et morale. La crise financière lui a fourni l'occasion de pousser loin sa réflexion. Et il ne s'en prive pas, remontant dans chacun de ses chapitres le cours de l'histoire, multipliant références littéraires mais aussi reportages de sa vie d'homme d'affaires, autant d'éléments qui fournissent un panorama des plus complets de la complexité du monde actuel. On redoute la moraline du pasteur ? On découvre un homme profondément bienveillant et brillant, loin du donneur de leçons redouté. Lucide, en un mot. « Nous vivons à l'heure actuelle dans un monde où les affaires reposent sur des réseaux complexes de loyautés et de responsabilités et qui fait l'objet de pressions constantes, et pas seulement de la part des actionnaires, mais aussi du gouvernement, des médias, des groupes d'intérêt, des régulateurs et des avocats. »Sorte d'examen de conscience éclairé à la lanterne des faits, il navigue confortablement entre analyse collective et individuelle et n'omet aucun paramètre. « Qui sommes-nous, en quoi avons-nous changé, quels sont nos commencements et nos fins ? » interroge le banquier parti en exploration. Son voyage débute par une réflexion sur l'impact de la mondialisation sur l'histoire et la conscience des hommes. Pour en arriver à une analyse plus resserrée sur le sens du travail tant collectif qu'individuel, et la valeur de l'argent. Remettant en cause l'enseignement de certains économistes comme le professeur Milton Friedman qu'il accuse de simplisme, il préfère l'imagerie complexe de Teilhard de Chardin. Il ne s'agit donc ni d'une mondialisation aboutissant à un monde lissé, effaçant les différences entre nous, ni, à l'inverse, d'un monde de futurs conflits dans lequel de puissantes civilisations s'avancent en équilibre précaire au bord du précipice de l'inimitié réciproque, mais plutôt d'une mondialisation où s'accélère la présence humaine sans réduire l'individualité. Un paradoxe tendu qui fait de la mondialisation « ni un concept ni une idéologie, mais un phénomène présent dans notre vie, jailli de l'esprit humain ». Et l'auteur de pointer nos ambiguïtés. La première ? L'imperfection ou la tendance à être déçus et insatisfaits de ce que nous réalisons cependant de formidable. La deuxième tient dans la progression de notre confort et la crainte qu'il n'en soit pas de même pour nos enfants, donc l'impossible but du progrès humain. Enfin l'ambiguïté centrale de notre vie, l'espérance, celle où nous continuons parfois contre toute évidence de croire que quelque chose de mieux est possible. Pour échapper à ces trois pôles souvent démoralisants, nous cloisonnons tant et si bien que nous simplifions les règles de vie à commencer par celles de la vie professionnelle où il n'est pas besoin de soulever les questions de valeur (autre que la valeur actionnariale) de la rectitude (hormis celle de l'égalité) ou de la sagesse (autre que ce qu'il est pratique de faire). Alors ? Alors on se dit que ce banquier repenti, qui sera en janvier prochain dans un gouvernement britannique à la recherche d'un nouveau modèle libéral, sera sûrement à sa place, lui qui s'interroge sur la régulation du commerce entre les hommes. Convaincu qu'une économie moderne ne peut plus faire appel aux seules banques pour financer son développement, il prône la surveillance, la régulation et, quand il le faut, l'intervention des gouvernements. Comme lui, nous devons « reprendre notre souffle pour apprécier l'énormité absolue de ce qui est en tain d'arriver à l'espèce humaine [...] et nous engager à vivre dans ce grand bazar plein d'ambiguïtés ». Un livre à mettre entre toutes les mains dès 18 ans ! Sophie Péters « Valeur sûre. Réflexions sur l'argent et la morale dans un monde incertain », de Stephen Green. Éditions Collège des Bernardins (232 pages, 20 euros).
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