Le mégachantier de Chongqing

Il est 6 heures du matin à Chongqing, municipalité située en amont du Yangzi Jiang au sud-ouest de la Chine. Le centre commercial sur la péninsule de Yuzhong grouille déjà de monde. Des journaliers qui louent leurs services pour 2 yuans la course fument à l'abri de la bruine matinale, les femmes préparent les petits-déjeuners sur leurs chariots et les grossistes qui viennent acheter habits ou chaussures par centaines commencent à arriver sur place. M. Bao, un migrant débarqué à Chongqing il y a cinq ans, espère gagner aujourd'hui 30 yuans à porter des colis de deux fois sa taille. Il travaille tous les jours de 5 heures à 20 heures et renvoie chaque année une partie de son salaire dans son village d'origine. Il fait partie des 600.000 personnes qui débarquent à Chongqing tous les ans à la recherche de travail, appâtées par la croissance et le dynamisme de la ville : une croissance de 14,9 % en 2009. Le PIB par habitant était de 14.660 yuans en 2007 contre 4.733 yuans dix ans auparavant. « La vie est dure, mais je suis mieux ici qu'à ne rien faire dans mon village », avoue ce travailleur agricole retraité de 50 ans.C'est sur cette main-d'oeuvre mobile, disponible et peu chère que la municipalité de Chongqing espère fonder sa croissance. Trente-deux millions de personnes résident dans la municipalité aujourd'hui, ce qui en fait la plus peuplée du monde. Le centre qui contient déjà 16 millions de personnes espère, d'ici à 2020, en attirer encore 8 millions issus des localités environnantes. Le but est de rivaliser sur le long terme avec Pékin, Shanghai ou Shenzhen en termes de rayonnement international. Chongqing espère devenir la capitale de l'ouest de la Chine et se donne les moyens pour réussir. En 1997, la ville a été élevée au statut de municipalité ce qui lui a donné un véritable coup de pouce et confirmé le rôle premier que souhaitait lui donner le gouvernement central soucieux de répartir les fruits de la croissance entre l'est et l'ouest du pays. Sa situation géographique, en amont du plus grand fleuve de Chine qui la traverse d'est en ouest, en fait une voie d'accès idéal vers l'arrière-pays.« Le statut de municipalité a vraiment démarré la machine de croissance qu'est devenu Chongqing », explique Jon Sigurdson qui a écrit une thèse sur la ville. « À partir de ce moment elle a reçu des investissements massifs du gouvernement central pour se développer. Elle a bénéficié d'un appui politique et financier. » Le plan d'investissement dans les infrastructures s'élève à 67 milliards de dollars entre 2006 et 2011. Un observateur sur place rappelle que chaque jour la ville change de visage. Chongqing est aujourd'hui un chantier permanent. Partout les grues construisent, creusent et rasent. Le nouveau côtoie l'ancien, le tout au milieu de gigantesques terrains vagues dans l'attente d'être développés.Chongqing, c'est aussi un parc universitaire de onze universités (trois autres sont en construction), neuf lignes de métro monorail planifiées jusqu'en 2050, et 2.000 km d'autoroutes prévues pour 2012, contre à peine 100 il y a vingt ans. Chongqing contient également le premier port en amont du Yangzi Jiang avec une capacité de 120 millions de tonnes et un accès à un réseau de 30 voies navigables.Mais c'est depuis l'arrivée en 2007 à la tête du comité municipal du Parti communiste de l'ancien ministre du Commerce Bo Xilai que la ville a pris son véritable essor. « Il a très bien su promouvoir la ville à la fois à Pékin et à l'international », explique Jon Sigurdson. Bo Xilai, plus connu pour son récent coup de filet sur la mafia locale, a aussi largement contribué à réduire la pollution et à promouvoir le développement social de la ville. C'est aussi sous son mandat que la ville a été décrétée « zone de libre-échange » avec l'ambition claire de devenir un pôle d'exportations de biens bon marché comme le fut la zone économique spéciale de Shenzhen. En avril de cette année, la municipalité a annoncé des investissements supplémentaires de 147 milliards de dollars sur les cinq ans à venir.Mais urbaniser Chongqing n'est pas chose facile. Il y a d'abord sa topographie. La municipalité s'étale sur 82.000 km de zones montagneuses divisées par deux fleuves et leurs affluents. Ensuite il faut intégrer et loger des centaines de milliers de travailleurs migrants. Une masse démographique qui ne va pas sans poser de problèmes environnementaux. Il y a encore cinq ans, les pluies acides corrodaient les toits des habitations, et dans certains endroits, le sol était couvert de poussière noire toute l'année, se rappelle Wu Dengming, qui dirige une ONG environnementale sur place.Comme partout en Chine, derrière la façade de la croissance se cache donc une réalité sociale contrastée. Des centaines de milliers de personnes sont délogées de force avec peu de compensation. Comme cette grand-mère enterrée vivante par le promoteur immobilier en mars dernier car elle refusait de déménager. « Le gouvernement est très clair là-dessus. Il fera comme à Pékin ou Shanghai. La ville doit briller pour attirer les investissements. Qu'importe le coût ! » explique Yang Yuzhen, professeur d'urbanisme à l'université de Chongqing. Les projets faramineux s'alignent donc les uns derrière les autres : de la tour de 450 m dans le quartier de Jiefangbei qui sera finalisée en 2015 au projet « deux rivières, quatre rives » qui réaménagera toute une partie des quais de la ville.Et l'on touche là une des problématiques clés du développement urbain de Chongqing mais aussi de toute la Chine. Si le gouvernement local a reçu le feu vert de Pékin pour se rénover, une grande partie du financement de ses projets est à sa charge. Ne pouvant emprunter directement aux banques, il dépend donc des revenus du foncier pour financer la majorité de ses ambitions. Le système entraîne ainsi un véritable boom immobilier. De fait, les prix ont plus que doublé cette année dans certains quartiers du centre. M. Bao est obligé de partager un 60 m2 avec quatre autres familles. « La spéculation immobilière est un problème social pour le gouvernement local. L'enjeu est de ralentir les prix sans casser le marché. Car c'est toute la croissance de la ville qui repose sur ce système », explique David Boitout associé chez Gide à Shanghai. Le gouvernement central vient d'approuver la création d'une taxe immobilière sur les logements de luxe dans le but de freiner la spéculation. En attendant les projets continuent : l'aéroport international vient d'être agrandi. Et une troisième extension est déjà en construction. Virginie Mangin, à Chongqing.
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