Dans les parfums de La Signoria

À peine posé, on n'a peut-être pas changé de pays mais en tout cas de planète. L'Airbus d'Air Corsica a redécollé vers le continent et on suffoque de chaleur et d'odeurs au milieu d'un cirque de montagnes laissant affleurer leurs os de granite nus. Pas le temps de reprendre ses sens, dans le moutonnement des chênes verts. À 5 kilomètres de Calvi, une chartreuse ocre et une poignée de bâtiments couleur de miel, lavés de soleil, surgissent entre vignobles et pins centenaires au tronc noir. Le monde moderne s'efface davantage. D'abord domaine du gouverneur génois de La Citadelle, cette ferme seigneuriale du XVIIe fut concédée au marquis Murat de la Serprière sous Louis XV, puis aux Michelin, puis à la famille actuelle. Des fleurs de lys au coeur du maquis. Veillée par Jean-Baptiste et Marie Ceccaldi, cette propriété de famille s'est embellie, complexifiée, raffinée, sans perdre son âme.Enfant, Marie venait y rêver. Mère de famille, elle y rêve encore. Le lieu garde un côté irréel, mélangeant les époques, préservant les recoins où l'on a la douce impression d'être seul. D'où ces pièces en trompe-l'oeil aux murs couleur de cire sur lesquels sourient des inconnues des années 1920, ce grand bain bouillonnant enfermé dans un kiosque à musique, ce boudoir de velours cramoisi, couleur de fauteuil de cinéma où est servi le buffet du petit déjeuner, clémentines pressées, miel du maquis et brocciu. Les vitraux du bar absorbent le soleil et le recrachent en petits jets, couleur de menthe et de citron, sur le comptoir en zinc qui garde la trace d'une ancienne fontaine à absinthe. Une chambre de voyage, avec canapé léopard, échelles en bambou, accueille gracieusement les hôtes sur le départ. La cuisine navigue au plus près des saveurs, du chapon rôti aux huîtres sauvages servis en terrasse ou sur la plage. Dans les 28 chambres, plutôt des suites peintes d'anis ou de bleu, des artistes ont laissé des patines striées d'éclats, comme délavées par le temps - une réussite, la 8, la plus petite du domaine. La piscine chauffée à l'abri des murs anciens égrène sa mélopée sucrée. Quatre petites villas à destination des familles comportent par-dessus leurs sols de terre cuite des fauteuils crapauds, des baignoires rétro, et des toiles fulgurantes signées Marie Ricco, nom de famille de Marie Ceccaldi. Dans leurs jardinets, des orangers, des pamplemousses lourds de fruits. La campagne alentour dégage une folle odeur d'immortelles. Un petit chemin grimpant sur les collines vous embarque, à 500 mètres à peine du domaine, dans une houle de bruyère arborescente, de cistes poisseux et de lavandes « staechas » d'où l'on s'extirpe difficilement pour accéder à un point de vue dominant la mer, et la citadelle avançant comme un poing ses murs ocre. Seigneurial ? Royal, même. A. de C.
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