Gouvernement d'union nationale : histoire d'un mythe

Ainsi donc, si l’on en croit un sondage paru ce dimanche dans le JDD, 78 % des Français rêveraient d’un gouvernement d’union nationale. Un tel gouvernement serait seul capable de trouver des solutions à la crise que traverse actuellement la France. Car en mettant fin aux querelles partisanes, il se concentrerait sur les « vrais » problèmes sans a priori idéologiques et donc avec le pragmatisme nécessaire. Sauf que le bilan des expériences européennes ne valide pas réellement cette théorie.I. Le bilan économiqueDans les pays en criseDans l’Europe en crise, l’union nationale s’est imposée dans deux pays : la Grèce et l’Italie. Dès 2011, le gouvernement Papademos en Grèce, a réuni les deux ennemis d’hier, le Pasok et la Nouvelle Démocratie. Après les élections de juin 2012, le gouvernement Samaras a poursuivi l’expérience avec le soutien supplémentaire du parti de centre-gauche Dimar. En Italie, le gouvernement Monti a été soutenu par le centre-droit et le centre-gauche, mais a été formé d’experts.Dans les deux cas, pourtant, le bilan est très mitigé. Les réformes menées en Grèce ont été souvent qualifiées par les rapports de la troïka d’insuffisants et l’union nationale n’a pas amélioré la situation. Il a fallu accorder aux gouvernements Papademos et Samaras des coupes dans la dette helléniques pour que le déficit se résorbe progressivement. En réalité, ce sont les pressions européennes qui ont conduit à l’adoption de réformes, alors que les partis, malgré la « grande coalition », ne parvenaient pas à se mettre d’accord.De même, en Italie, Mario Monti n’a pu imposer que des demi-réformes, notamment sur le marché du travail afin de trouver un compromis acceptables à tous les partis. Là encore, c’est la peur du « spread » qui a contraint les partis à agir, pas l’union nationale en elle-même. Et, rappelons-le, la coalition Monti n’a pas empêché l’Italie d’être attaquée par les marchés à l’été 2012. . C’est bien plutôt le programme OMT (rachat illimité de créances souveraines) de la BCE que « l’union nationale » qui a permis l’apaisement sur la dette transalpine. Du reste, des pays comme le Portugal ou l’Irlande ont fortement été fortement réformés avec des gouvernements « partisans. » Bref, « l’union nationale » est un gage politique donnée aux politiques de dévaluations internes menées dans certains pays, mais ce n’est pas une garantie d’efficacité économique.Un exemple autrichien ?Mais dans les pays du Nord ? On pourrait avancer le cas autrichien, où la grande coalition entre conservateurs et sociaux-démocrates est la norme depuis la fin de la guerre et où le chômage est le plus faible d’Europe. Mais ce faible taux de chômage s’explique en grande partie par la culture de concertation sociale qui existe également dans d’autres pays qui n’ont pas connu de gouvernements d’union nationale, comme la Suède ou le Danemark.Par ailleurs, l’Autriche, qui a perdu son triple A, a, malgré ses grandes coalitionsj, un problème de déficit de ses comptes publics que n’a pas la Suède. En Belgique ou aux Pays-Bas, les grandes coalitions semblent actuellement incapables de relever les défis de ces pays : dette publique et faible croissance dans le premier cas, endettement privé et récession dans le second.Le cas allemandReste évidemment l’exemple le plus fréquemment cité en France lorsqu’il s’agit d’union nationale : l’Allemagne qui a connu par deux fois une « grande coalition » entre les Chrétiens-démocrates et les Sociaux-démocrates : entre 1966 et 1969, puis entre 2005 et 2009. Sur le plan des réformes, le bilan de la première grande coalition est beaucoup plus convaincant que celui de la seconde. Mais en décembre 1966, le contexte était très favorable. Le SPD avait accepté cette expérience « temporaire » pour obtenir un brevet de respectabilité et prouver sa capacité à gouverner. Il faisait donc preuve d’une grande flexibilité.Une fois acquis ce brevet de respectabilité, le SPD a, en 1969, abandonné l’expérience pour diriger un gouvernement de coalition avec le FDP. Et poursuivre les réformes engagées sous la grande coalition. En 2002, la coalition d’Angela Merkel avec le SPD a poursuivi et appliqué les réformes engagées sous le gouvernement précédent de Gerhard Schröder, gouvernement de centre-gauche. Pour le reste, les deux partis ont été sur la défensive et ont surtout cherché à ménager leurs électorats sans prendre de risques. Une réforme a cependant été engagée, celle de la retraite, mais de façon très progressive : le report de l’âge de départ à la retraite a été fixé à 67 ans en 2030 seulement. Et elle est soumise à conditions et à révision. Les réformes de la seconde grande coalition sont donc bien moins ambitieuses que ceux du gouvernement de Gerhard Schröder. Autrement dit, l’union nationale n’est guère le gage d’une politique efficace à long terme sur le plan économique.II. Le bilan politique Une efficacité contestableSur le plan politique, la « suspension » du jeu politique durant l’union nationale présente des risques certains pour une efficacité assez faible. Du reste, la capacité à gouverner n’est nullement assuré par les gouvernements d’union nationale. Même dans les gouvernements d’union sacrée pendant la première guerre mondiale n’ont pas fait la preuve d’une réelle efficacité. L’Allemagne et la France ont acquis un exécutif fort après l’éclatement de cette union en 1917. Rappelons également que la France de la 4ème république ou l’Italie des années 1970 et 1980 étaient dirigées par des alliances entre la gauche et la droite, sans convaincre, bien au contraire, puisque l’on a mis en place dans ces pays des lois électorales visant à « dégager des majorités ».Une montée en puissance des démagoguesMais le principal danger de ces coalitions larges, c’est de faire le terreau des démagogies qui se présentent comme les seules oppositions et les seules alternatives. Le résultat en est un affaiblissement des partis d’union et un renforcement des forces populistes. Les élections allemandes de 2009 ont confirmé cette tendance, avec une percée des Libéraux du FDP qui avaient fait campagne sur des baisses d’impôts improbables et fort généreuses. L’autre vainqueur du scrutin avait été le parti de gauche de Die Linke.Parallèlement, les deux partis de la grande coalition reculaient de 13,6 points, tandis que l’abstention progressait de 7 points ! La grande coalition a donc affaibli la démocratie allemande. En 1969, après la première grande coalition, le parti néo-nazi NPD avait atteint son niveau record de l’après-guerre avec 4,3 % des voix. Ce phénomène se vérifie pratiquement partout : l’essor de Syriza en Grèce et de Beppe Grillo en Italie le prouve, alors qu’au Portugal, en Irlande et en Espagne, où il n’y a pas « d’union nationale », les sondages ne dénotent pas de poussée populiste. En Autriche même, c’est le régime de « grande coalition » qui a fait le terreau de l’extrême-droite et des populistes eurosceptiques, qui pèsent actuellement pour près d’un tiers de l’électorat. Globalement, compte tenu de l’état de la démocratie française, il n’est donc pas certain qu’un gouvernement d’union nationale soit une bonne chose. D’autant que ce ne sera pas un gage de gouvernabilité et d’efficacité réformatrice.  
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