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La Chine, championne du monde de la grande vitesse ferroviaire?? En août 2008, sous les feux des projecteurs à la veille de ses Jeux olympiques, Pékin fanfaronnait. La capitale, centre névralgique d'un futur réseau qui, d'ici à 2012, mobilisera plus de 200 milliards d'euros d'investissements pour la construction d'une quarantaine de lignes à grande vitesse, inaugurait alors la première d'entre elles entre Pékin et Tianjin. « La première ligne au monde où les trains atteindront en vitesse de pointe près de 350 km/h?! » se félicitait alors le vice-ministre aux Chemins de fer, Wang Zhiguo. Tandis que l'ingénieur en chef adjoint du même ministère, Zhang Shuguang, précisait fièrement?: « Les 120 kilomètres qui séparent les deux villes seront avalés en moins de trente minutes contre soixante-dix aujourd'hui?: c'est l'un des services de trains à grande vitesse les plus rapides au monde. »Tant les responsables gouvernementaux que les médias officiels n'avaient pas manqué à cette occasion de souligner le rôle des ingénieurs chinois dans cette nouvelle conquête technologique. Et bien veillé à ne pas mentionner les noms des constructeurs internationaux largement impliqués dans le programme chinois de la très grande vitesse ferroviaire. Pourtant, ce sont des trains Velaro de l'allemand Siemens qui roulent aujourd'hui sur la ligne Pékin-Tianjin. Et, la nouvelle est tombée cette semaine, les prochains trains nouvelle génération de la Chine, capables de rouler à 380 km/h, seront construits en partenariat par le canadien Bombardier et le constructeur chinois CSR. Soucieuse de motiver la concurrence, la Chine a également, par le passé, commandé des trains à grande vitesse au français Alstom et au japonais East Japan Railway.L'exemple du Velaro sino-allemand montre bien comment Pékin compte s'imposer, au moins aux yeux de ses concitoyens, comme un vrai acteur de la très grande vitesse ferroviaire. Officiellement, ces trains ? dont les premiers ont été importés d'Allemagne ? sont désormais construits à 100 % en Chine. « C'est faux, assure pourtant un expert européen qui préfère rester anonyme. Le taux de localisation est limité à 60 % ou 70 %. » Le nez, la caisse et les sièges ont bel et bien été fabriqués en Chine, mais de nombreuses pièces ont dû être importées. Et non des moindres?: les roues, les freins, le matériel électronique? « Les groupes étrangers restent responsables de la technique », continue cet expert.Si les Chinois ne peuvent pas encore se passer des étrangers, ces derniers « devront cependant s'habituer à ne remporter qu'une partie des contrats, pour des montants limités », prévient, sur place, un autre observateur. Au final, pour la commande de 100 trains de dernière génération, Siemens, allié à deux constructeurs chinois, n'aura touché que 750 millions d'euros. À titre de comparaison, Alstom a vendu 25 de ses nouveaux AGV à l'Italie pour environ 650 millions d'euros. Quant au transfert de technologie associé au contrat chinois, il est carrément classé « secret défense ».Le sujet est « sensible », assure un porte-parole de Siemens pour justifier le refus du groupe de répondre à nos questions. À Pékin, personne n'a oublié les propos tenus en janvier dernier dans « La Tribune » par le patron de la branche transport d'Alstom?: « Comme on s'y attendait, assurait alors Philippe Mellier, le marché [chinois] se ferme graduellement pour laisser les entreprises chinoises prospérer. » Avant d'ajouter?: « La question du transfert de technologie limite l'intérêt de faire de la très grande vitesse en Chine. » Singulier revirement pour le détenteur du record du monde de vitesse ferroviaire à 574 km/h. Surtout que, comme le rappelle un acteur du secteur sur place, « le groupe français a été le premier à accepter la fabrication de trains sous licence en Chine, obligeant tout le monde à suivre son exemple ». Par ailleurs, « le ministère n'a pas du tout apprécié les menaces proférées à l'égard des entreprises chinoises, alors que leur marché est sans doute l'un des plus ouverts puisque c'est celui où l'on trouve le plus grand nombre de groupe internationaux. En outre, Alstom s'est ridiculisé?: son PDG, Patrick Kron, est venu s'excuser, alors que jamais un patron ne met le genou à terre pour une erreur d'un subordonné. Les gens n'en revenaient pas?! » rapporte un acteur européen basé en Chine. Selon un autre observateur, le coup de sang de Philippe Mellier aurait été avant tout motivé par les échecs du groupe en Chine. « Depuis la perte du contrat Madrid-Barcelone face au projet de Siemens, en 2001, les Chinois n'ont plus d'yeux que pour les Allemands », rapporte ce dernier, assurant que « tout le monde dans le secteur sait qu'Alstom et la grande vitesse, en Chine, c'est mort depuis longtemps?! ». Selon cette même source, Alstom aurait en outre fait des erreurs en termes de ressources humaines, primordiales en Chine. Le groupe « a notamment renouvelé ses équipes sur place en 2003, au moment de la nomination du gouvernement actuel et alors que d'importantes décisions allaient être prises pour le rail ». Deux années auparavant, c'était les rotations opérées par Siemens qui « avaient permis [à Alstom] de remporter de nombreux contrats de métro », rappelle d'ailleurs cet expert européen. « C'est faux », réagit Philippe Mellier contacté par « La Tribune », précisant que « le groupe français à seulement mis fin en 2003 à [son] joint-venture avec Siemens pour, justement, exister par [lui-] même ». La mésaventure d'Alstom incite forcément ses concurrents à lisser leur communication. Du côté de Bombardier, en plein retour en grâce (le groupe n'avait jusqu'ici vendu que des trains de seconde génération à la Chine), le son de cloche n'est pas le même. « Les exigences des Chinois en matière de transfert de technologie n'ont rien d'inédit », commente André Navarri, président de la branche transport du géant canadien. Ces derniers veulent, explique-t-il, « comme les Américains et les Européens, que les trains soient fabriqués chez eux. Nous n'y voyons pas d'objection [et] ils le sont dans le cadre de nos joint-ventures ». Bombardier avoue travailler en Chine « exclusivement avec des fournisseurs chinois mais sans pression ». La main-d'?uvre et la sous-traitance locale permettent en effet de produire des trains au coût du marché, soit environ 20 % moins cher qu'en Europe selon nos informations.Plutôt que la fermeture du marché de la grande vitesse, la vraie révolution, en Chine, ne serait-elle pas la libéralisation des réseaux de transport urbain?? C'est en tout cas l'avis de la Régie des transports parisiens (RATP) qui nourrit de grandes ambitions en Chine. Condamnée à se diversifier pour faire face à la fin de son monopole en France, l'entreprise se verrait bien exploiter les réseaux de métro chinois, qu'une trentaine de grandes villes projettent de faire sortir de terre dans les années à venir. Parmi elles, dix-neuf disposent de projets plus ou moins finalisés. « En 2015, on estime qu'il y a aura plus de lignes de métro en Chine que dans tout le reste du monde?! » s'émerveille le directeur général du développement du groupe, Jean-Marc Janaillac. Or, si les neuf réseaux existants sont gérés par des sociétés publiques locales, « la plupart des nouvelles lignes devraient faire l'objet d'appels d'offres », rapporte Jean-Marc Janaillac. L'opérateur du métro parisien, dont la ligne automatique est mondialement connue, a donc créé en janvier un joint-venture piloté par la branche transport public du français Veolia, déjà leader en Chine dans le domaine de la distribution de l'eau. La structure devra réaliser en Asie 500 millions de chiffre d'affaires dès 2013, dont 40 % en Chine. « Pour commencer », notait à l'époque le directeur général de Veolia Transport Asie, Daniel Cukierman, qui venait de signer le premier fait d'armes de l'alliance, en acquérant 50 % des tramways de Hong Kong.Quelques années ne seront pas de trop, en effet, pour s'imposer sur ce marché. Pour l'heure, les deux seules lignes de métro ayant fait l'objet d'appels d'offres ont été raflées par le géant hong-kongais MTR Corporation. Véritable rouleau compresseur pour ses concurrents, ce dernier « prend tout à sa charge en Chine ? de la construction à l'exploitation ? et se rembourse avec des opérations de promotion immobilières sur les terrains concédés autour des nouvelles lignes », explique Jean-Marc Janaillac, qui assure que « ce modèle s'essouffle ». Les partenaires français tentent donc actuellement d'expliquer le modèle de délégation de service public (DSP) utilisé en Europe, où les autorités locales investissent dans le réseau, mais en retirent les bénéfices.En attendant, Veolia et la RATP placent leurs pions, avec une stratégie digne du cheval de Troie?: acquérir des réseaux de bus là où, plus tard, roulera le métro. « Une demi-douzaine de dossiers avancent parallèlement », note Veolia Transport, qui gère déjà les bus de Nanjing et de six villes des provinces du Jiangsu et de l'Anhui.Labeur et patience. Voilà les hommes d'affaires français mis à l'épreuve. À la clé? Une part plus ou moins importante d'un marché fleuve. Le gouvernement a, ces dernières semaines, annoncé une rallonge au budget ferroviaire de 90 milliards pour lancer le métro dans 22 villes du pays d'ici à 2015. En y ajoutant la manne prévue pour la grande vitesse, cela fait un gâteau d'environ 300 milliards d'euros? qui engendrera sans doute quelques concessions. n« Tout le monde dans le secteur sait qu'Alstom et la grande vitesse, en Chine, c'est mort depuis longtemps?! »« En 2015, on estime qu'il y a aura plus de lignes de métro en Chine que dans tout le reste du monde?! »
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