Un tramway vers la folie

Isabelle Huppert et le metteur en scène Krystof Warlikowski transcendent la fameuse pièce de Tennessee Williams pour emporter le public dans un voyage au bout de la folie. Déroutant mais finalement majestueux.
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Elle a la bouche pâteuse, récite un refrain incompréhensible qui parle de coquillage, de mer, de papa. Assise sur un tabouret, dans une tenue déshabillée, jambes écartées, elle semble ivre ou défoncée. Dix minutes de folie. Dès le début de la pièce, Isabelle Huppert habite son rôle de Blanche Dubois, cette bourgeoise déchue et tragique de la fameuse pièce Tennessee Williams, un Tramway nommé désir, mille fois jouée et entièrement revisitée par le metteur en scène Krzystof Warlikowski au Théâtre de l'Odéon.

Le malaise est immédiat, dans un décor éclaté qui regroupe en lui seul plusieurs lieux, une salle de bains avec son siège de WC, une salle à manger, une chambre, un couloir, un bowling, des miroirs où sont projetés les visages des acteurs en direct par un subtil jeu de vidéo. La pièce démarre donc comme une tragédie avec ce prologue qui s'achève dans une sorte de fondu enchaîné avec la rencontre avec la voisine puis avec Stella, la s?ur de Blanche, remarquablement interprétée par Florence Thomassin, qui impose son jeu, plus froid, et sa voix plus grave.

Tour à tour, le public est touché par la peur et la pitié que cette jeune femme paumée, trop court vêtue, qui ne cesse de prendre des bains pour se laver de ses pêchés, hystérique, lui inspire. Au fur et à mesure les dialogues avec sa s?ur, son beau-frère Stanley (Andrzej Chyra) ou avec Mitch (Yann Collette), son amoureux qui aurait pu peut-être la sauver mais qui la répudie dès qu'il a connaissance de sa vie dissolue, alternent avec des chants ou des ch?urs, interprétés par Renate Jett, qui surprennent et parfois dérangent en cassant le fil de la pièce. Tout comme peuvent lasser les extraits rajoutés de la Dame aux Camélias, ou le très long combat de Trancrède et de Clorinde, ou la nudité omniprésente tout au long de la pièce.

Mais le pari de Krystof Warlikowki est sans nul doute gagné, même s'il laisse le public quelque peu déboussolé par tant de maestria scénique. On retrouve le goût du metteur en scène polonais pour l'esthétique, les sonorités, la musique et la vidéo live. Et quand c'est Isabelle Huppert, habituée aux rôles extrêmes, qui porte ces résonances, nous avons là un véritable voyage au bout de la folie.

"Un Tramway", mise en scène de Krzysztof Warlikowski au Théâtre de l'Odéon - Du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 15 heures, jusqu'au 3 avril - 10-32 euros - 01 44 85 40 40

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